vendredi 22 avril 2022

Teatro kitchen & bar, Barcelone

 

Cela faisait un certain temps que l’on se demandait ce qu’il allait arriver avec l’ancien « Tickets » de Paral-lel, passant fréquemment devant et voyant le lieu sans âme. Deux années où l’un des plus emblématiques avait mis la clé sous le paillasson. Pas que cela soit l’unique table médiatisée en ville, mais assurément, le marketing étant tellement bien fait que les gens voyageaient du monde entier pour y manger. Je ne porterai pas de jugement si c’était justifié ou non, mais voila pas que « Tickets » renait sous le nom de « Teatro » avec une nouvelle équipe...enfin…oui et non. Bien entendu Albert Adria n’est plus présent car à l’époque il n’était qu’actionnaire mais une partie du personnel est donc revenu au « Teatro ».

Ouverture il y a trois semaines de cela (le 15 mars), et avec toujours à la tête les frères Iglesias du groupe ElBarri, comme par le passé, ainsi que nouvelle propriété sous l’égide de Manuel Lao. De plus l’arrière du restaurant qui a une époque s’appelait 41 degrés s’appelle maintenant Backstage. En réalité, une majeure partie du personnel de l’époque est revenue mais avec une différence majeure au niveau du prix car manger chez « Teatro » c’est passer de 160 a 60 euros...quoique je vais tout de même challenger ce commentaire venu de la presse.

Une proposition gastronomique aujourd’hui calquée sur ce qu’offrait « Tickets » mais sans les produits de luxe tels que caviar et autres wagyu. En cuisine, temporairement, Oliver Pena, chef cuisiner d’ « Enigma » qu’il va rejoindre dans quelques jours. Ce qui a mon avis peut-être un problème dans le futur mais j’élaborerai par la suite.

La structure du lieu n’a guère changé excepté le mobilier qui est un peu plus confortable que par le passé. Les espaces culinaires ont eux aussi été préservés, l’espace un peu simplifié. Tout cela pour dire que si vous rêviez d’aller chez « Tickets » dans le passé, que cela n’était pas dans vos budgets ou encore que vous n’avez jamais pu trouver de table, c’est le moment d’y aller car l’expérience est quasi similaire, à quelques détails prêts…

Trente professionnels travaillent donc avec Oliver Pena mais également le chef Gabriel Suñer, qui avait été chef du restaurant Cocina Hermanos Torres. Maintenant, qu’est-ce que l’on y mange ? Eh bien partiellement ce qui existait chez « Tickets » qui parfois provenait de « El Bulli », avec un éclectisme du passé qui se maintient : de l’Andalousie au Pérou et des produits crus à la sphérification, et le toue en une seule bouchée ; bien que le nombre de plats ait été considérablement réduit. En bref : la proposition a été synthétisée et les prix ont considérablement baissé. 


Maintenant, deux observations, la première c’est qu’il n’est pas simple de choisir ce que l’on veut manger et que si c’est votre première visite, il vaut mieux se laisser guider par votre serveur qui saura vous donner un aperçu de la cuisine d’antan. Il faut réaliser que si c’est le cas, et c’est ma recommandation, le prix du repas n’est pas de 60 euros comme annoncé mais plus proche de 100 euros, ce qui n’est pas un problème en soit si on le sait, et cela reste tout de même bien plus abordable que par le passé, mais il faut le savoir. Comme ce sont des bouchées, il est impossible la majeure partie du temps de ne prendre qu’un tapas, il faut le savoir.

La deuxième observation c’est qu’aujourd’hui pour « faire revenir » la clientèle, on capitalise sur le passé et sa mémorable cuisine. Mais celles et ceux qui la connaissent pourraient se demander « pourquoi revenir ? ». Puis, une fois venu…on ne reviendra pas pour les mêmes plats ! Et disons dans une année, que deviendra-t-il de cette proposition culinaire ? Constamment proposer les mets de « Tickets » ? Probablement peu d’intérêt ! Et qui fera évoluer l’offre ? Tout le monde n’est pas Albert Adria et constamment innover est un réel challenge, sachant qu’il faut un nouveau chef ambitieux et créatif, Oliver Pena quittant dans quelques jours, laissant Gabriel Suñer aux manettes … Pas simple selon moi…  « Teatro » devra tôt ou tard se réinventer et ce n’est pas gagné. Je vois un peu cela de manière négative mais je demande à être convaincu !


Toujours est-il ci-dessous mon expérience sur la prestation proposée de ce soir-là. Menu donc géré par notre très efficace et compétent serveur qui bien entendu travaillait chez « Tickets ».  

Première bouchée avec la poire kru qui tire son nom de l’éteint Espai Kru, maintenant fusionnée avec les Rías de Galicia, rafraîchissante et légèrement astringente, rappelant les poires au vin de toujours.

Les incontournables olives sphériques imaginées à l’époque chez El Bulli.

Et la profiterole d’hibiscus au raifort, qui allie délicatesse et puissance, devenu l’un de mes favoris de la soirée.

Une jolie déclinaison autour du maïs avec les bravas palomitas et une autre sphérification avec une crème de maïs.

On ne pourra qu’apprécier le biscuit glacé au parmesan qui est aussi un classique de l’époque.

Même appréciation pour la pizzeta croustillante.

La célèbre airbaguette enveloppé dans de fines feuilles de bacon ibérique au paprika dont la graisse lors de l’exsudation inonde votre bouche.

L’excellent millefeuille de nori et de thon, avec du tapioca soufflé, qui en même temps croquent et explosent vous rappellent comment les frères Adrià ont changé la cuisine moderne.

De très belles huitres apprêtées de manière surprenante avec les premières dans un bortsch.

Les secondes à la thaï, à savoir un curry rouge avec du lait de coco.

Un mémorable maquereau au vinaigre, jambon, piparra et câpres.

La préparation à base de Straciatella, fèves, menthe et panceta est un peu trop salée mais la qualité des fèves est impressionnante.

Pas si emballé que cela avec le foie gras crémeux et amontillado, probablement parce que cela reste trop proche de ce que l’on peut trouver un peu partout en France, dans le genre « royale ».

Les fameux muffins à la mozzarella et à la truffe.

Puis on observera un changement presque radical en ce qui concerne les plats principaux, comme si l’on avait changé l’équipe avec un autre type de cuisine. Par exemple, le mollete de calamars, un petit pain d’origine andalouse. Plutôt bien évidemment classique mais bien fait.

Un plat à base de champignon portobello avec un fond de cèpes, crouton et aneth. Plutôt bistronomique et gourmand.

Ce qui est considéré un peu comme le plat principal est le poisson du jour, la daurade « boueuse » grillée. La boue dans la recette, se réfère à la préparation qui est faite avec des gousses d’ail, du paprika doux, du cumin et du vinaigre, qui recouvrent le poisson, donne la sensation de la couleur de la terre. Cette élaboration donnera une saveur agréable au poisson. Il y a peut-être moins de créativité dans ce plat mais cela reste très bon. Un poisson avec un point de cuisson parfait, associé à une sauce à base ñora qui est un type de poivron de forme ronde, de poivre, d’origan et de vinaigre. On prend le poisson, le pose sur une feuille ferme de laitue trocadéro et ajoute du chou rouge confit et une mayonnaise. En fait une sorte de taco de poisson qui lorgne entre le Mexique et les calçotadas en raison de cette sauce un peu sur le style romesco. Comme je le disais, c’est un plat un peu en dehors du contexte.

Pour les desserts, on revient un peu vers le début avec un millefeuille de crème et fraise bien réalisé.

Un petit côté show avec le très bon kakigori d’orange sanguine et mangue façon tex-mex.


Un excellent vin blanc que je prends assez souvent, le Montsant Dido 2020, Macabeu, Garnatxa Blanca Cartoixa.

Un repas entre « finger-food » et plats plus conventionnels, c’est comme cela que c’est proposé à ce stade pour la remise en route d’une des adresses les plus emblématiques de la ville en tout cas dans son ancienne appellation. Espérons que cela attire l’ancienne clientèle et le temps nous dira si c’est le cas. Probablement que la cible de cette clientèle va changer et sera plus locale, maintenant on se demandera si cela sera la bonne cible dans le temps, le prix d’un repas complet est plus proche de la centaine d’euros plus les vins. Mais comment l’offre va-t-elle évoluer car une fois avoir apprécié ces superbes bouchées, y retournerons-nous pour probablement trouver la même chose ? « Teatro » pourrait devenir un peu « la bibliothèque » des plats des frères Adria et cela serait dommage que cela soit le cas, en tout cas je peux facilement m’imaginer qu’ils aient la volonté de faire évoluer la proposition. La question étant maintenant dans quel sens ? Nous verrons bien entendu dans une année si cette table aura trouvé sa nouvelle voie.

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