jeudi 30 juin 2016

San Tommaso 10, Turin




Le café « San Tommaso 10» ne peut être considéré comme faisant partie de la série des magnifiques cafés historiques de Turin mais mérite néanmoins une halte. C’est ici qu’a commencé l’histoire de Luigi Lavazza en 1895 qui a commencé à préparer ses mélanges. Ancien laboratoire de recherche. En même temps café, restaurant et pâtisserie, la devanture de l’établissement dans la rue du même nom est plutôt sobre.


On y accède par le petit bar où l’on peut directement consommer au comptoir avec un œil sur les pâtisseries derrières les vitrines, avec des Cannoli, croissants et autres pâtisseries mais pourquoi ne pas profiter du petit salon adjacent.



Salon plutôt moderne avec le restaurant dans le fond, tables et chaises rouges, articles en vente dans des niches murales et quelques photos murales qui laissent supposer qu’un partenariat exista à un moment donné entre la grande marque et Ferran Adria.



Cet endroit ne propose pas qu’un choix traditionnel de cafés tels que espresso ou cappucino mais une série impressionnante de variations autour de ce breuvage. Probablement une cinquantaine de types de café sur cette carte, à en perdre son latin…


Dégustation tout d’abord d’un espresso top class suivi d’une autre, le gran riserva. Deux très bons cafés servis sur un plateau avec un petit verre d’eau légèrement gazeuse.


Une halte agréable pour découvrir la gamme de la marque mais surtout apprécier d’excellents cafés et plus pour celles et ceux qui souhaitent quelques créations autour du grain.

mardi 28 juin 2016

Del Cambio, Turin




Voici probablement l’une des plus belles tables ces derniers temps, non pas que pour la cuisine mais pour le concept dans son entier, voulant dire par cela, l’emplacement, le bâtiment, l’atmosphère, le service, le décor et le chef qui est surement l’un des plus prometteurs d’Italie aujourd’hui.  « Del Cambio » se trouve dans le centre de Turin sur la place Carignano en face du palais du même nom. Un palais qui fut fait érigé par le prince Emmanuel-Philibert de Savoie-Carignano, l’une des plus importantes et remarquables architectures du Baroque italien, l’aile postérieure qui donne sur la place Carlo Alberto fut construite après 1861 pour abriter les séances du premier Parlement Italien. Une très belle place pavée entourée d’autres très beaux édifices.


Devant ce palais et à côté du théâtre Carignano, ce restaurant se situe dans une magnifique maison datant du 18ème, qui selon ce qui m’a été compté fût dans le passé une mais d’échange de chevaux pour les voyageurs et qui servait également des repas. Un certain nombre de transformations et voilà aujourd’hui probablement l’une des plus belles salles classiques dans laquelle il m’a été donné la possibilité de dîner. Une terrasse entourée de buis, des personnes à l’accueil devant l’entrée principale élégamment habillés ; tout semble à priori être très luxueux.



« Del Cambio » qui fût ouvert en 1757 et qui est l’un des plus anciens restaurants au monde, était plutôt à l’époque réputé pour sa clientèle que sa cuisine. Un certain nombre de célébrités y sont passées telles que Nietzsche, Mozart, Maria Callas et Audrey Hepburn pour n’en citer que quelque uns, sans oublier la « dynastie Turinoise », les Agnelli. Sous le régime Napoléonien, le nom fut franchisé et devint « Café du Change », puis le nom original fût réinstauré. Cette table devint alors la salle à manger non officielle du premier parlement du pays. Une économie dans le pays qui déclina à partir des années 80 et un lieu qui frôla la banqueroute en raison des coûts élevés de maintenance. C’est alors en 2012 qu’un investisseur racheta l’ensemble du bâtiment pour en faire ce qu’il est aujourd’hui.





Dans les années 70, « Del Cambio » n’était fréquenté que par une clientèle vieillissante et était un endroit où la cuisine était plutôt mauvaise et l’intérieur complètement défraichi. Turin, capitale du slowfood, Fiat prenant le contrôle de Chrysler, cet investisseur souhaita redonner la splendeur d’antan à cet établissement. Les salles furent rénovées en s’inspirant du film le « Great Gatsby » de Jack Clayton et du « Marie Antoinette » de Sophie Coppola. Une centaine d’ouvriers rénovèrent le lieu en rafraichissant les boiseries ainsi que ce salon qui date du 19ème.  Pour amener une petite touche un peu moderne, on demanda à l’artiste Izhar Patkin de décorer 200 assiettes de Sèvre.


Un premier petit salon qui sert à l’accueil avant d’entrer dans cette merveilleuse salle.


Dans une seconde salle qui est aussi utilisée pour la restauration, les panneaux modernes ont été réalisés par le designer Martino Gamper. Les tables rondes sont en bois assez épurées avec des chaises avec du velours rouge.





Même si l’endroit est des plus chic, on s’y sentira parfaitement à l’aise sans jamais ressentir une ambiance trop empruntée ce qui aurait pu être le cas. Voilà l’endroit que vous découvrirez, chargé d’histoire, magnifique, romantique ; cette splendide salle avec ces lustres de cristaux, ces gerbes de fleurs, ces chandeliers. C’est tout simplement très impressionnant et émouvant.

Des tables magnifiquement et classiquement dressées de nappes blanches et de couverts en argent avec un petite bougie sur la table. Le service est incroyablement professionnel, une armée de serveurs avec une probable hiérarchie, certains en queue de pie, d’autres en costumes. Chemises blanches avec bouton de manchette, nœuds papillon, il y a quelques chose d’un peu magique dans cette salle.


Mais venons-en à la cuisine et au cuisinier. On pourrait s’imaginer immédiatement trouver une cuisine très classique, presqu’un peu décalée par rapport à la génération de cuisinier actuelle, eh bien non ou alors pas tout à fait… Matteo Baronetto qui a travaillé au préalable à Milan chez Carlo Cracco sera tenté par cette nouvelle expérience liée donc à l‘ouverture de cette nouvelle maison et se trouve être en train de révolutionner la cuisine Piémontaise. Partagé entre une cuisine séculaire et une approche innovante, ce repas sera une magnifique expérience avec des hauts et quelque fois un peu moins de réussite que je vais expliquer. Le problème majeur que l’on peut trouver en Italie c’est ce côté un peu conservateur dans la gastronomie. Combien sont les chefs qui s’aventurent vers de nouvelles contrées comme des Massimo Bottura et d’autres ? Eh bien très peu. La clientèle ne peut concevoir de manger un plat complètement transformé et c’est bien cela le problème de Matteo Baronetto. Il se sent obligé de satisfaire plusieurs sortes de clientèle et sans ces plats traditionnels comme par exemple le Financier, il y a fort à parier que le lieu serait déserté par cette bourgeoisie turinoise. Un peu contraint donc d’avoir une carte variée avec deux types de cuisine car on ne vient pas encore du bout du monde pour sa cuisine personnelle. Une situation un peu comme un dilemme et qui illustre clairement que « les étoiles », « le nom » et probablement « la ville » influencent considérablement la cuisine d’un chef. A ce jour un macaron mais pourrait bien se transformer en deux.

Aujourd’hui nous avons particulièrement de la chance car la table qui nous est attribuée était celle du premier ministre Cavour. Table située dans un coin d’où il pouvait voir s’il était appelé depuis la terrasse du palais Carignano.


Avant de regarder la carte nous prendrons une coupe de Ca’del Bosco Franciacorta 2011 Collection Saten. Une méthode champenoise très élégante et fine à base de Chardonnay et de Pinot blanc.


Comme accompagnement une série de petites bouchées très inspirées entre classiques et modernes avec une petite brioche surmontée de lamelles de mortadelle, des olives avec une farce à base de veau et porc, une gelée de Campari avec une touche de beurre de cacahouète et une madeleine aux amandes. Tout est gourmand et dans un terrain de saveurs locales.


Il nous sera également amené une corbeille de chips de riz parfumée avec diverses saveurs comme épinard, seiche, tomate et aussi des fleurs de courgettes traitée comme une chips.


La carte reste très classique dans l’intitulé des plats mais ne donne pas toujours une réelle idée de ce qui réellement arrivera. C’est pour cela que je vous recommande de demander ce que sont les plats « signature » et ceux créatifs afin de vraiment découvrir la cuisine du chef. La lecture de la carte laisse transparaître qu’il y a deux sortes de cuisine. Comme le choix s’avère être difficile, deux menus « dégustation » sont proposés en six et neuf plats respectivement à 110 et 140 euros. C’est ce dernier que nous choisirons. Un menu composé au dernier instant par le chef qu’il annotera sur un papier, composé seulement partiellement des mets à la carte.

Pour commencer une « feuille » qui s’avère être deux fins bricelets réalisés à base de farine bise entre lesquelles se trouvent quelques feuilles de salade ainsi que des œufs de saumon. Probablement une manière d’éveiller le palais avec le côté très puissant de l’œuf de poisson et la touche croustillante. Un peu mono-saveur mais une entrée en matière tout à fait plaisante.


Quelques grissins nous serons amenés ainsi que deux excellents pains maison.



Première réelle entrée qui nous impressionnera particulièrement avec des fèves surmontée d’un sorbet à la fleur de sureau sur lequel on trouvera du caviar. A prime abord un peu surpris de trouver des fèves non pelées mais celles-ci sont très tendre et probablement contrastent avec le produit de luxe du dessus. L’idée d’un sorbet doux et tellement parfumé avec le côté puissant des œufs de poisson est une vraie merveille. Une assiette très étudiée tout en harmonie.


Seconde assiette tout aussi mémorable à l’apparence plutôt classique mais elle aussi très étudiée avec la Salade piémontaise. Non pas celle que l’on trouve un peu partout mais on y trouvera chaque ingrédient complètement repensé. Légumes découpés de diverses manières pour jouer avec les textures, diverses feuilles, herbes, radis, asperges crues, oignons farcis, fenouil, champignon, poivron. Certains légumes ont été légèrement marinés, d’autres sont simplement crus et au centre quelques feuilles de salade dans lesquelles se trouve une farce avec une fine saveur d’anchois. C’est très frais, parfaitement équilibré et avec quelques belles découvertes en bouche plutôt inattendues.



Autre moment assez impressionnant avec le jambon et melon Del Cambio. A priori on se dirait..  « ah..du jambon melon comme à la maison…mais…. ». L’apparence laisse pensif. Un morceau de melon enrobé de gras de porc…Eh bien non. En bouche on hésite un moment et s’aperçoit que la fine lamelle blanche est légèrement croquante. Il s’agit d’une fine lamelle de radis blanche cuite à basse température avec du jambon Pata Negra de chez la célèbre maison espagnole Josélito qui ne sert qu’à donner un parfum. Du jambon qui n’en est pas… A noter que l’Italie reconnait en ce moment la qualité des produits espagnols et cela reste plutôt surprenant.



Prochain plat plutôt visuellement surprenant avec quelques feuilles de salade Castelfranco cuites qui sont légèrement passées à l’huile d’olive et un piment doux.


A côté quelques crevettes rouges de San Remo.


On entoure celles-ci dans une feuille avant de les déguster. La crevette est exceptionnelle un peu semblable à celle de Palamos, encore bien moelleuse et peu cuite. L’entourer de cette feuille de salade parfumée est un très agréable moment gustatif.


Nous poursuivons avec une surprenante et délicieuse crème brulée réalisée avec seulement de l’huile d’olive extra vierge, de la gousse de vanille et de l’eau de cuisson de seiches. Un plat réputé et qui est vraiment impressionnant car monter une crème comme celle-ci sans œufs et avec un tel parfum est plutôt un exploit.


Prochaine assiette tout aussi créative avec une gelée de tomate sur un assemblage de fruits et légumes. Une gelée réalisée avec l’eau de tomate sous laquelle l’on trouvera des tomates, fraises de bois, champignons en fines lamelles, quelques brins de fenouil. C’est d’unt très grande fraicheur et légèreté.


On s’étonnera de trouver une autre assiette avec deux morceaux de pêches et des lamelles de poutargue. L’idée étant de finir le précédent plat avec des saveurs différentes et fortes. Pas franchement nécessaire selon nous.


La suite sera un peu moins convaincante avec tout d’abord des Taglioni rôtis, sauce tomate et anchois. Les pâtes rubans sont simplement croustillantes, un peu séchées avec un coulis de tomates et quelques morceaux d’anchois frais. Un peu trop simple et en décalage avec les subtiles précédentes assiettes. A noter que cette technique de préparation de pâtes se trouve aussi en Chine.


Nous continuerons dans quelque chose de très classique mais parfaitement réalisé, des raviolis à la scarole, olives noires, vongole et citron. Cela reste de bonnes pâtes mais les saveurs seront moins impressionnantes que dans les premiers plats.



Le plat principal sera un bar cuit dans la laitue de mer, radis et salade d’algues nori. S’il y a bien un critère de première importance, c’est non seulement la qualité du poisson qui est ici irréprochable mais aussi sa cuisson. Et c’est un peu la que le bât blesse. La chaire est un peu trop cuite même si le goût est là. L’accompagnement est plutôt bienvenu mais comme ce poisson est vraiment au cœur de l’assiette on regrettera cette minute de trop.


Le dessert en forme de boule de chocolat noir dans laquelle se trouve une autre boule de chocolat blanc et une préparation à base de noix de coco et d’ananas est aussi un peu classique au niveau des saveurs et un peu trop sucré.


Quelques jolies mignardises pour compléter ce repas. Tartelettes, noisettes enrobées de chocolat et fines lamelles d’agrumes et betteraves séchées.





La carte des vins est un vrai roman et un modèle dans son genre, cependant extrêmement chère. Une bouteille de Vie Di Romans Flors di Uis 2013. Un superbe vin du Frioul réalisé à base de Riesling avec une couleur dorée, des nez de rose et de jasmin.


Ensuite un Nebbiolo d’Alba Hilberg 2011, très agréable vin du Piémont, élégant, structuré avec une belle harmonie au nez et en bouche.


Nous continuerons cette très belle soirée en passant au premier au bar Cavour qui ressemble un peu à une bibliothèque.



On y verra d’anciens menus affichés dans des cadres ainsi que d’anciennes peintures. Un très joli bar où l’on peut également manger quelques petites assiettes.





Face à ce bar une salle pour passer la soirée avec quelques cocktails.


Et même un tout nouveau salon où l’on pourra fumer le cigare.




On se réjouira de passer par les cuisines où nous pourrons discuter un moment avec le chef qui s’avéra être tout à fait ouvert à la discussion et à l’échange d’idée.




Depuis la réouverture du restaurant, celui-ci a racheté l’ancienne pharmacie adjacente qui a été reconvertie en un lieu pour prendre un café, une épicerie et pâtisserie-chocolaterie la journée.







En sous-sol une impressionnante cave à vin avec plusieurs milliers de bouteilles.




Un concept très ambitieux qui ne peut en rester là avec tous ces investissements. L’avenir nous dira si la clientèle sera présente dans cette très grande structure. Quoi qu’il en soit, cette salle de restaurant est absolument remarquable, de toute beauté avec une élégance sans équivoque. La cuisine de Matteo Baronetto est encore partagée entre une créativité de très bon goût car n’utilise pas de techniques moléculaires mais se plait à retravailler de manière complètement différente cette cuisine Piémontaise. De assiettes souvent impressionnante de justesse mais quelques-unes un peu moins convaincantes car peut-être trop classiques. Il y a fort à parier que sa cuisine évoluera en fonction de la clientèle et de sa reconnaissance internationale. Toujours est-il que ce fût un de mes repas en Italie les plus impressionnant dans son ensemble.