La grande majorité des grands chefs espagnols étoilés ont leur second
restaurant à Barcelone. Presqu’aucune exception, des frères Roca à Martin
Berasategui et Carme Ruscalleda, sans oublier Jordi Cruz de ABaC. Lorsque l’on
parle d’autres établissements d’un chef, les styles peuvent varier. Le meilleur
exemple étant la série des tables de Albert Adria, entre Tickets, Enigma autres
Pakta. Dans le cas de Jordi Cruz, vous vous demanderez probablement ce qui
diffère Angle de ABaC, le premier ayant une étoile et le second deux. J’ai eu
beau chercher un peu partout sur la toile si quelqu’un avait été chez les deux
et plus ou moins identifié quelles étaient les différences, eh bien rien… Ayant
été chez ABaC, pourquoi ne pas essayer de comparer. Tous d’abord les deux se trouvent dans
des hotels, Angle se trouvant plus près du centre dans le quartier de l’Eixample
et à l’angle d’une rue…
Pas vraiment étonnant que le décor de la salle de Angle rappelle celui
de ABaC. Même habillage des tables, mêmes lumières, même atmosphère. Peut-être
que Angle est un peu moins strict dans le style mais nous ne sommes pas loin du
premier. Quoi que l’ensemble architectural soit ici nettement plus classique,
nettement plus traditionnel avec une seule et unique salle. Des tons blanc,
rouge sang donne une particularité à l’endroit. Le dressage des tables et
vaisselle est identique.
Et à l’entrée, une amusante statue de Jordi Cruz qui semble vous
souhaiter la bienvenue.
Le service lui est aussi absolument impeccable et attentif. Peut-être
que chez ABaC il sera un peu plus précieux, mais le style reste identique. Ce
qui me fit dire qu’aucun autre restaurant avec une étoile à Barcelone ne propose
une telle qualité de service qui est ici aussi lui exceptionnel.
Evidemment les tarifs ne sont pas les mêmes que chez le grand frère et
le grand menu est vraiment sagement tarifé compte tenu de la qualité des mets.
100 Euros pour 13 plats reste une réelle aubaine. A sa lecture on s’aperçoit d’ailleurs que
certains des plats sont ceux que l’on peut éventuellement manger chez ABaC, ce
qui est plutôt surprenant et peu fréquent de retrouver les plats d’un chef dans
un second établissement. En fait, toute nouvelle recrue fait tout d’abord un
séjour chez ABaC avant d’aller chez Angle. Ce qui explique pourquoi l’on trouve
certains plats « répliqués ». Bien entendu on se demandera si le
résultat est comparable. Je peux vous répondre que…cela dépend !
Cela commence avec un côté théâtral, un apéritif appelé vermout Angle.
Le vermout est évidement l’apéritif de Barcelone par excellence mais ici il est
travaillé de manière très audacieuse. Provenant d’un cocktail de fruit où l’on
trouve du vermout, il sera versé dans un bol puis sur celui-ci sera versé
progressivement de l’azote liquide. La surgélation sera donc presque
instantanée. Une fois le tout transformé en une sorte de sorbet, la préparation
sera insérée dans des mandarines glacées, on ajoutera des coques avec un peu de
piment et pour finir un spray de vermout. Le tout est rafraichissant, parfumé,
visuel.
Ici aussi vous sera proposé une huile d’olive vierge extra qui sera
versée dans ces petites boules métalliques et que l’on dégustera avec du pain
maison. Une huile de la maison Olis de Catalunya, le produit OleAurum avec des
arômes d’olives vertes arbequina, de pomme, un arrière-goût un peu piquant et
une fine amertume.
Pour suivre le fameux taco de maïs doux et foie gras avec un mole. Voici
un plat que l’on trouve chez ABaC et qui était à l’époque pour une raison
inconnue appelé focaccia
de foie gras et royal de gibier, miettes de maïs et glace au mole. Mais en
réalité il s’agissait bien d’un taco et fût un souvenir inoubliable. Presque la
même apparence avec un tacos dans lequel l’on retrouve le foie gras moelleux et
avec une bonne température sur lequel le même ingrédient a été râpé. Une
technique qui consiste à congeler un morceau et de la râper au dernier moment. Cependant je ne suis pas si sûr que la royale soit
la et la glace au mole qui était sur le côté n’est pas présente. Le serveur me
dit qu’elle est en dessous. Le mole étant une sauce mexicaine à base de
chocolat, de piments séchés ainsi que d’une multitude d’autres épices. Pour moi
ce plat n’est pas aussi bien mis en valeur que chez ABaC. Probablement
volontairement. Cela donne une idée, c’est très bon, cependant l’autre version
est vraiment supérieure.
Excellent riz de calamar style nigiri, peau de thon et wasabi frais.
Une inspiration japonaise avec un nigiri qui généralement est
présenté sous la forme d’une tranche de poisson cru qui repose sur du riz
vinaigré. Cependant ici le riz est en fait des tout petits morceaux de calamar.
Dessus la peau qui a été marinée et laquée. Sur le côté la racine fraiche
râpée. Très léger, gouteux et vraiment innovant.
Ensuite les petits Calçots confits au vinaigre balsamique et romesco
glacé. Ici nous avons un plat vraiment identique à ce qui fût servi chez ABaC.
Même dressage, même support en pierre. Les Calçots qui sont des légumes de
saison semblables à de jeunes poireaux/oignons nouveaux sont grillés a point,
la glace est tout aussi bonne avec sur le dessus du charbon fumé qui amène une
texture différente additionnelle.
Plat suivant avec des pois de Maresme, cabillaud, truffe et saucisse
catalane. Ces pois proviennent d’une région au Nord de Barcelone, une bande de
terre entre mer et montagne qui produit de magnifique petits pois grâce à son territoire
exceptionnel. Le poisson et petit morceau encore un peu moelleux au centre, la
saucisse n’est est pas vraiment une mais une sphère dans laquelle se trouve les
éléments de quelque chose semblable a une botifarra catalane. En réalité à l’intérieur un peu
liquide, utilisant une technique de sphèrification
inventée par « El Bulli ». Très beau jeu de diverses textures, saveurs
influencées par la Catalogne et produits saisonniers.
Autre clin d’œil très judicieux à la cuisine locale avec le jaune d’œuf
mariné avec une sélection de charcuteries ibériques. On trouvera en dessous de
la pomme de terre, du jambon sur le dessus, une tranche de pain croustillante et
un œuf cuit à la perfection. Union classique mais revisitée.
Plat suivant, une bouillabaisse de crevettes scarlet avec une infusion
à l’anis. Crevette parfois appelée gambon écarlate ou carabinero en Espagne. L’assiette
arrive avec seulement le crustacé. Le plat se finalise à table où notre serveur
arrive avec un petit réchaud sur lequel un bouillon de tête de crevettes et
légumes sera cuisiné. Une fois cuit, le bouillon anisé sera filtré et versé sur
l’assiette. La crevette est délicieuse, le bouillon exceptionnel.
Plat principal avec un poulet de basse-cour accompagné d’un riz au
Saint Félicien, noix et beurre de truffes. Le riz est cuit dans un bouillon de
volaille est parfait, la volaille est très moelleuse et étonnement notre
serveur verse le fromage coulant sur le dessus. Une association qui me rappelle
un peu le poulet à l’époisses en Bourgogne. Un plat gourmand assez rustique et présenté
assez simplement.
Un peu plus de sophistication avec le très beau poisson du marché
grillé, bouillon d’arrêtes et texture de chou-fleur pourpre. Cabillaud cuit à
la seconde, trois sauces en forme de cercle, ce qui est un exploit technique
plutôt remarquable au niveau du dressage : les saveurs des sauces sont
complémentaires, on prend beaucoup de plaisir avec ce plat.
Du premier menu à 75 euros, un changement avec le suprême de pintade au
foie gras, ail noir et aubergines. Saveurs précises, recette plutôt classique
mais volaille et foie fonctionne toujours à merveille et cette petite touche d’ail
amène beaucoup d’originalité, sans oublier l’aubergine délicatement fumée.
Un plat que l’on traduit par fusion de montagne et mer, la viande du
boucher avec des sardines et betteraves. Saveurs tout aussi complémentaires,
agréable dressage, la betterave tapisse le fond de l’assiette.
Les desserts sont raffinés et élégamment dressés comme par exemple la
gourmande glace à la banane caramélisée au gingembre et chocolat épicé. Frais,
exotique mais aussi des saveurs connues comme caramel et chocolat.
Egalement des changements avec les deux desserts du menu à 75 euros pour
l’un des convives avec la glace à la noix de coco au curry de madras, ananas et
gâteau spongieux à la cacahouète. Très original et subtil en bouche.
La texture de chocolats avec une crème glacée à la vanille et noisettes.
Un dessert vraiment très classique mais très bien réalisé au visuel agréable.
Et pour moi le plus aérien et magnifique, le biscuit croustillant au
yaourt, fleurs et glace à la violette. Très belle assiette avec des saveurs
contrastées, du croquant, du floral, du fruit.
Petits fours pour achever ce repas qui inclut le fameux rouge à lèvre
glacé de Jordi Cruz.
Pour démarrer un cava rosé Microcosmos Ilopart. Probablement le
meilleur bu à ce jour,
Une belle teinte rose avec quelques reflets brique. Floral avec une
belle longueur en bouche.
Puis un Finca Abadal 3.9 Pla de Bages, un vin minéral avec une riche
expression, une robe cerise, des arômes de fruits rouges.
Indéniablement un très beau repas qui finalement s’approche de la cuisine
de ABaC mais tout de même sans en atteindre complètement les sommets. Le
meilleur exemple est ce tacos qui souffre un peu de la comparaison. Autrement
toutes les autres assiettes furent d’un très bon niveau et même supérieures
souvent à une seule étoile. Le menu est cohérent, les plats superbement
exécutés. La différence est quand même minime si ce n’est le côté encore plus
élégant de l’autre établissement ainsi que l’architecture plus moderne du lieu.
On est vraiment proche car le service est aussi chez Angle excellent.
Probablement l’un des meilleurs un macaron et bien au-dessus du lot de
certaines autres tables étoilées. Il faut aussi se rappeler que les deux menus
sont à 75 et 100 Euros, que c’est un excellent moyen de découvrir la cuisine du
fantastique Jordi Cruz.