C’est toujours un moment plutôt excitant que de visiter une nouvelle table
qui de plus a obtenu les 3 macarons tellement enviés par un grand nombre de
restaurateurs. Généralement on peut s’attendre à une table où tout est
perfection, un lieu grandiose, un service irréprochable et bien entendu une
cuisine de haut vol. Ce qui me plait le moins souvent c’est ce côté
ostentatoire que peuvent avoir certains établissements qui ont atteints ce
niveau. « La Bouitte » n’est en aucun cas une de ces tables…
C’est donc en Savoie qu’il faut se rendre pour découvrir cette table qui
depuis janvier 2015 a donc obtenu sa troisième étoile au Michelin. Deux chefs,
le père et le fils, René et Maxime Meilleur. Une cuisine qui finalement et je
dis cela après ce repas, qui ne ressemble à presque aucune autre cuisine
actuelle de ce type d’établissement. Pas de manipulations chimiques, pas de
présentations délirantes à « ceux qui jouent à créer des tableaux »,
rien de moléculaire ou techno-émotionnel comme certains se plaisent à le
dire. On y trouvera une cuisine d’une
grande sincérité comme un hymne au terroir de leur vallée, des lacs et des montagnes
environnantes.
Direction
les Menuires et Val-Thorens pour skier mais une halte à
Saint-Martin-De-Belleville à quelques kilomètres de là. Pour celles et ceux qui
séjournerait dans les deux stations de ski et non à la « Bouitte »
elle-même, il faudra compter environ une quinzaine de minutes de route.
Une fois
arrivé malgré qu’il neige, vous ne pourrez qu’immédiatement être sous le charme
de ce magnifique chalet de vieux bois. Je dis chalet mais cela sera plutôt une
succession de bâtisse dans le même style avec le contrebas en pierre et le haut
en vieux bois. Sur la plupart des parois de vieilles luges, des cloches de
vaches, des chaudrons et un éclairage parfaitement étudié. C’est tout de suite
le coup de cœur et même sans être entré dans l’établissement, on ressent le
côté authentique.
Un peu plus
loin sur la gauche, les cuisines que l’on devine en voyant la brigade avec
leurs jolis bérets blancs, avec sur le mur une devise des plus rassurante.
On arrivera
finalement à l’entrée du restaurant en descendant quelques marches, laissant le
petit jardin et terrasse sur la gauche.
Une fois le
pas de porte passé, l’impression se confirme. Nous sommes dans un lieu hors du
commun, à savoir un chalet à la décoration authentique et très belle mais sans
un côté « luxe à tout prix ». L’accueil est souriant, l’ambiance
feutrée et propice à passer une très belle soirée presqu’un peu magique. Petit
salon boisé, série d’alcools régionaux, objets de décoration savoyards. Pas un
lieu qui souhaite à tout prix ressemble à une carte postale de la Savoie mais
un lieu avec du bon goût.
Petit
couloir comme dans une maison privative, horloge et nous voici dans la salle
principale.
A nouveau
l’impression première est que nous sommes presque dans une maison privée, un
nombre de table limité, une décoration toujours aussi de bon goût et pas tape à
l’œil, une ambiance presque inhabituelle pour un 3 macarons ce qui est plutôt
un compliment qu’une critique. On se sent tout de suite à l’aise, le personnel
est charmant et absolument professionnel et nous dirons décontracté.
Structures
boisées, vaisselle traditionnelle et meubles savoyards, une très belle salle à
mon avis bien plus accueillante que d’autres établissement de renom à la
montagne.
Chaque
table est très bien dressée avec une vaisselle artisanale savoyarde réalisé en
poterie jaune pâle ou vert, un seul couteau pour l’ensemble du repas pour se
remémorer la manière dont les ancêtres mangeaient.
Un apéritif
consistant d’un verre de crémant de Savoie avec un vermouth d’absinthe et voilà
la carte qui nous est tendue. Deux
formules, soit la carte soit les menus qui sont intitulés « Carte Blanche
à la cuisine des Chefs ».
Découverte de 4 surprises à 160 euros, 5 surprises à 190 euros, 8
surprises à 280 euros avec fromage. Nous choisirons la formule en 8 plats.
Pour
l’apéritif, le ton est immédiatement donné avec trois bouchées très différentes
les unes des autres. Une première sur le thème de la mer avec l’huitre
Gillardeau, voile d’eau de mer, perle de yuzu. Huitre dont la réputation n’est
plus à faire ici subtilement agrémentée de cette touche de type de citron
japonais au goût si parfumé. Ingrédient certes à la mode mais le plaisir reste
de déguster quelque chose d’aussi frais comme mise en bouche.
Nous
passerons à un autre type de bouchée, celle-ci à base de produit animal, la
tartelette de langue de veau, aromates. La pâte brisée est recouverte de cette
délicieuse langue sr laquelle nous trouverons un excellent fond de viande, le
tout ayant une légère saveur fumée.
Et comme troisième
amuse-bouche, une fantastique gougère à la morille. A l’extérieure des brisure morille séchée et
à l’intérieur une base de fromage et un ajout de morille fraiche.
Une jeune
fille viendra ensuite nous présenter un très joli chariot de pains maisons.
Premier pain proposé, la croix de Savoie qui se partage, quatre boules
attachées que l’on rompt et qui s’avérèrent être excellentes.
Avec cela
une série de beurres ; nature avec de la fleur de sel de Noirmoutier, un
autre au persil et un troisième, un mélange de beurre cuit et frais, méthode
qui était utilisée à l’époque pour la conservation.
Première
entrée ou plutôt mise-en-bouche avec la raclette aérienne au lait cru. Un met
qui veut rappeler au convive combien les mets aux fromages sont importants dans
la région mais également l’histoire du restaurant qui lorsqu’il démarra dans la
génération précédente proposait cette Raclette.
Evidemment il s’agit de quelque
chose de complètement revisité avec une préparation avec ce fromage probable
travaillée au siphon. C’est comme l’intitulé le dit c’est vraiment très aérien
et est un très bel hommage au terroir.
Le plat
suivant sera selon mes goûts, celui qui m’aura le plus impressionné car on y
trouvera une incroyable ingéniosité. Un intitulé plutôt étonnant, le Caviar
Alverta Imperial, neige de choux fleur, huile de noisettes sauvages. Un caviar
Petrossian issu de l’esturgeon blanc avec un grain fondant en bouche. Ce qui me
séduit c’est cette association avec cet appareil de choux fleur glacé
ressemblant presque à une très légère crème glacée. Le côté froid et le caviar
se marient en bouche avec perfection en y ajoutant une pointe d’acidité avec un
peu de citron vert en dessous. Le tout est complété par la finesse de cette
huile mais également quelques petites noisettes fraiches et des fleurs de
brocoli ci et là. Un grand moment gustatif.
Suite à ce
plat, une autre assiette centrée sur principalement le produit lui-même. L’asperge
de Roques Hautes, rôtie au beurre, mousseline acidulée, poivre de Timut.
Certainement la meilleure asperge qu’il existe, la référence de tous les
cuisiniers, celle qu’il faut avoir au moins une fois dégusté pour comprendre ce
qu’est la perfection. Poêlée à la perfection, elle est accompagnée d’une
magnifique mousseline parfumée à l’orange sanguine. Une sauce « dans
l’esprit d’une hollandaise » mais absolument parfaite. On trouvera sous
cette asperge quelques morceaux d’orange mais aussi des rondelles d’asperges
qui auront préalablement été marinées dans du vinaigre et de la sauce soja. Le
poivre de Timut, parfois appelé "poivre pamplemousse", est un faux
poivre originaire de la région de Katmandou au Népal. Son parfum aux arômes
d'agrumes proche du citron ou du pamplemousse relève également cette
assiette.
Nous
poursuivrons avec des cuisses de grenouilles en jambonnette, cuisson meunière,
ail noirci, céleri rave, persil plat émulsionné. Ces grenouilles ont été
décortiquées puis rassemblées, poêlées avec un subtil arome d’ail. En fond
l’onctueuse crème de céleri et la sauce à base de persil. L’ajout de quinoa
toasté apporte une intéressante touche à ce plat en y ajoutant une agréable
texture croquante. Le visuel est très agréable, ce plat est d’une grande
gourmandise et probablement les grenouilles les meilleures qu’il m’est été
proposé de manière originale.
Pour
continuer un plat peut-être plus conventionnel en tout cas pour ceux qui
viennent de la région, le Pormonier et saucisse de couenne, consommé de queue
de bœuf, légumes croquants. Le pormonier aussi appelé pormonaise est une
saucisse de couleur verte car confectionnée aux herbes que l’on retrouve
également en Suisse. Ici accompagnée d’une seconde plutôt assez proche de la
longeole, une crête de coque, des cubes de foie gras, avec une série de jeunes
légumes, radis, carotte, navet, fane d’oignon. Sur le dessus un magnifique bouillon très
parfumé.
Le plat
principal avec la selle d’agneau servie rosée, timbale de petit pois
« crousti fondante ». La
viande est très tendre, le fond de sauce une perfection et ce qui apporte un
peu de fraicheur à l’assiette, c’est cette pâte croustillante avec une
préparation à base de petits pois dont certains encore entiers sur le dessus.
C’est printanier, léger, frais et un peu doux, en harmonie avec la viande.
Le plateau
de fromage sur une tourelle en bois est majestueux avec principalement une
sélection de la région. Le persillé de Tignes et le bleu de Termignon feront
partie de mon assiette.
Un
pré-dessert avec une eau de poire façon bière accompagné d’un « papier de
poire ». Un petit verre de liquide bien frais et légèrement sucré avec sur
le dessus un faux-col.
Je suis
rarement séduit par les desserts mais ceux qui nous auront été servis ce soir
auront été mémorable. Tout d’abord la pomme rôtie, marmelade acidulée, sorbet
flouve odorante, jus de cuisson. Difficile de s’imaginer que l’on puisse encore
créer un nouveau dessert avec ce fruit, eh bien ici c’est simplement divin. La
pommes a été cuite dans un foin qui lui conférera une saveur bien particulière.
Le sorbet est réalisé avec de la flouve odorante qui est une
plante médicinale qui diffuse un parfum de vanille et de foin. Ceci servi avec
un jus de pomme bien concentré, des cheveux d’ange et de la crème d’Isigny.
Autre
sublime dessert avec le « lait dans tous ses états », meringue,
confiture, sorbet, biscuit. Une ode au
lait qui se traduit par une impressionnante déclinaison de couches différentes
que l’on déguste toutes ensemble. Un assemblage qui nécessite beaucoup de
technique avec tout d’abord sur le dessus un disque de lait givré avec une
meringue lactée. De la glace au lait de brebis en dessous et encore une mousse
de lait. Comme socle un biscuit au lait croustillant ; tout autour une
confiture de lait. Un moment de plénitude sucrée qui rappellera certains
moments de l’enfance.
Passage au
petit salon et nous voici amené de très belles mignardises. De magnifiques rissoles
au safran des Hurtières déposées sur un lit végétal. Un chausson frit avec une
crème parfumée avec ce safran qui provient de la basse Maurienne. Une safraneraie
implantée sur la commune de Saint Pierre de Belleville, un petit village situé
au cœur du massif des Hurtières. A côté des vaches au chocolat Illanka.
« La
Cruche » qui est un roux brun avec la farine et le beurre. Quand la
couleur est devenue bien brune, on y verse du sucre et obtient une masse que l’on
applatit. Ce dessert savoyard était le bonbon des pauvres. Les petits
montagnards l'étalaient sur leur pain en rentrant de l'école. C'était leur
goûter.
Les « Biscuirons »
qui sont une interprétation des macarons mais réalisés avec du biscuit de Savoie
donc d’une extrême légèreté. Servis sur une assiette en trois variations. Le Gisèle
à la fleur d’oranger portant le nom de la grand-mère, le chantilly praline rose
et le crémeux citron meringué.
Une cave
plutôt onéreuse. Avec ce repas un Fitou Les Milles Vignes 2007 Cuvée de la
Cadette, un magnifique vin avec une robe rubis aux reflets rougeâtres,
brillante, intense et lumineuse.
Un repas
qui fut un hommage au terroir, présentant une magnifique série d’assiettes d’une
très grande précision. Une cuisine intemporelle et essentielle, une symphonie
de mets de la région et qui ne pourra laisser personne insensible, même les
amateurs de cuisine ultra moderne. René
et Maxime Meilleur passeront en salle pour s’assurer que tout se passe bien et
prendront même le temps de bavarder avec vous si vous le souhaitez. Des
personnes pleines de gentillesse, de sincérité et d’authenticité.
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