Voici probablement la table la plus étrange
ou bizarre qu’il m’ait été donner de visiter. Environ quarante-cinq années de
restaurants avec des vagues de gastronomie successives, des types de
restauration allant du classique au plus inventif…bref il faut tout de même un
peu beaucoup pour encore me surprendre. Eh bien question surprise…ce fût plutôt
réussi. L’Espagne et la Scandinavie sont
probablement les pays où l’on retrouve fréquemment de nouvelles saveurs et associations
souvent avec plus ou moins de succès. J’apprécie la découverte d’un nouveau chef,
d’une grande table étoilée où qu’elle soit. Cependant j’ai des principes de
base pour ce que je déguste. En dehors du décor et des produits qui doivent
être irréprochables, mes principes sont : un dressage de qualité et
esthétique, de multiples saveurs dans le plat mais sans devenir une course au
nombre de goûts, des jeux de textures, des arômes et odeurs complémentaires, la
précision des cuissons, la température des aliments et ne pas oublier de la
gourmandise. Cela semble évident mais combien sont le nombre d’assiettes où il
manque l’un de ces critères ? Selon mes critères, une table qui se veut mériter
ses macarons se doit d’avoir toutes ces caractéristiques.
Très souvent je lis ces reportages de blogueurs qui s’extasient pour tel
ou tel chef mais il y a beaucoup de vent dans cette foodmania… Combien tombent
dans le snobisme le plus incroyable car « eux ont réussis » à obtenir
une table chez… Donc ils ne vont pas « démolir » un chef car
« cela ne se fait pas » et lorsque l’on a dépensé des centaines
d’euros ou autre monnaie…on ne vas pas dire « que c’était,
quelconque… ». Regrettable d’après moi. Egalement ces tables qui
sombrent dans de la chimie pure mais évidemment…elles font partie du « Top
50 »…donc forcément… « géniales »… Puis ceux qui n’ont
aucune culture gastronomique et qui s’extasient devant tout. Il faudra aussi se
méfier du marketing intempestif, de ces agences payées par le restaurateur pour
lui faire sa promotion et qui encensent dans un article un chef puisqu’il a
payé… Et dieu sait s’il y en a dans Facebook qui ne font que cela et qui ne
sont de plus jamais « sortis de leur quartier » …
Ceci étant dit, revenons à « Aponiente » du chef Angel Leon
promu deux macarons et star montante en Espagne. Ayant déjà visité
Mugaritz, Martin Berasategui, El Celler de Can Roca, Quique Dacosta, ABaC, Carme Ruscalleda et tant
d’autres tables dans cette catégorie, je me réjouissais d’aller à El Puerto de
Santa María à vingt minutes de Cadiz. C’est depuis septembre 2015 que le
restaurant à ouvert dans un tout nouveau bâtiment. Le chef Angel Leon ayant la
réputation de proposer une cuisine de la mer avec une dimension gastronomique
nouvelle et sensuelle. Un nouveau site web très esthétique comme seuls les
espagnols et scandinaves savent faire…Désolé pour la France mais la plupart des
sites de restaurants sont simplement inintéressants pour ne pas dire autre
chose. On sent immédiatement qu’il y a beaucoup d’investisseurs sur cette
affaire, « Cruzcampo » fabriquant de bières présentes sur les tenues
en cuisine sur le site et aujourd’hui un autre « sponsor » avec
« Makro » qui est une chaîne de magasins de libre-service de gros
belge, d'origine néerlandais et qui appartient au groupe Metro. Je me dis tout
de suite que si les ingrédients proviennent de chez Metro… eh bien c’est mal
barré… Quand on est un chef étoilé et que l’on va faire ses courses chez ce
distributeur, il y a comme un malaise… Comme disait Vincent Pousson, « Mon
grand âge me permet d'avoir connu temps où les chefs, et plus encore les chefs
étoilés, c'est au marché qu'on les rencontrait, en buvant le coup avec le
tripier ou le chevrotier. Ou dans des cours de ferme.”. Bon on pensera que ce
n’est que de la pub, que les temps sont durs et que ce sont une gamme de petits
producteurs locaux qui achalandent cette table et non de l’agroalimentaire,
mais bon on n’est toute de même pas sur…
Le concept de Angel Leon est donc la mer ou plutôt l’océan ce qui
signifie que si vous n’appréciez pas les saveurs de la mer, passez votre
chemin. L’ensemble du menu ne proposant que des plats autour des
poissons et crustacés mais assurément incomparables avec n’importe quel autre
établissement.
Mais entrons dans le vif du sujet. L’établissement est
relativement nouveau ou plutôt a déménagé si mes informations sont correctes au
mois de septembre dans un lieu forcement grandiose… Eh bien le lieu est plutôt
des plus surprenant… Vous arriverez dans une zone d’entrepôts non loin d’une
gare régionale. Lumières blafardes et étonnement quelques personnes attendent
dans la rue presque désaffectée.
Vous ne pourrez pas non plus vous tromper car le lieu est indiqué par
une enseigne lumineuse qui ferait presque penser à un arrêt de métro. Et
en contrebas une grande porte rouillée fermée. Le lieu ouvre à 21 :00
comme pour un spectacle et tous les convives sont invités à se présenter au
même moment.
21 :00 sonnante…la porte s’ouvre…
Le lieu est plutôt impressionnant avec cette entrée presque
pharaonique…Une impression d’entrer dans un temple ou quelque chose de
semblable. Une allée en bois, des montagnes de sel, un jeu de lumière un
peu irréel et au fond un hangar avec des plaques de métal rouillé et un savant
jeu de lumière. Il n’y a pas à redire, les espagnols question
« show » savent vraiment comment faire… De là à dire que nous sommes
en train d’entrer au Cirque du Soleil…nous n’en sommes pas loin. Après un contrôle
d’identité comme dans un club VIP, nous voici autorisés à avancer vers l’entrée
de ce hangar qui s’avère être en réalité un ancien moulin.
Derrière la structure de métal, nous voici près à entrer dans cet
endroit assez imaginaire.
L’intérieur est vraiment somptueux, une
ancienne bâtisse totalement rénovée avec un goût indéniable, un accueil aimable,
on patiente un court instant et nous voici parti pour une petite visite par une
hôtesse qui parle le français.
Arrêt pour un verre de Jerez sous l’œil réjouis du bonhomme Michelin qui
pour l’occasion s’est transformé en Poséidon, puis balade en direction de la
salle principale.
Une sonorisation avec le bruit de la mer, des structures très modernes
le long de cette allée avec la cave à vins avant d’arriver aux cuisines qui
elles aussi sont vitrées.
Première partie sur la gauche avec le coin boulangerie et pâtisseries. Les
cuisiniers se trouvent comme dans un aquarium et vous aurez le loisir un court
moment de les voir s’affairer à la préparation des divers pains ou dressages
des desserts.
Un peu plus loin, la cuisine elle-même avec son armée de chefs toqués. Tout
est d’une propreté exemplaire, un piano central, des planchas et un coin
dressage sur l’un des autres côtés. Cela frémis, cela fume, cela mitonne…
Vraiment une magnifique cuisine dans un cadre époustouflant.
Angel Leon est présent, semble donner des consignes mais ne semble pas
participer à la cuisine elle-même.
Dans un coin une table sur laquelle se trouve un ensemble de
charcuteries sur lesquelles je reviendrai plus tard.
Nous voici arrivé dans la salle à manger qui elle aussi est des plus
impressionnante. Ce qui saute aux yeux immédiatement c’est le nombre de
personnes qui assurent le service…De là à dire qu’à ce moment-là il y a plus de
personnel que de clients n’est pas exagéré. En réalité il y a une personne par
table pour l’ensemble du repas. Des tables qui ne sont pas dressées comme c’est
souvent le cas dans ce genre d’établissement de luxe en Espagne. Il y en a que cela
peut gêner, cela ne me pose pas de problème particulier.
Une fois installés, la carte présentée, au choix deux menus. Le
grand menu intitulé « Mar de Leva » à 195 Euros ou un second avec
moins de plats à 165 Euros.
Bon…maintenant que l’introduction a été faite… je ne vais pas vous
décrire en détail comme j’ai l’habitude la vingtaine de plats ou plus pour un
certain nombre de raisons mais simplement énumérer la liste des plats ou
bouchées. Ce « chef de la mer » part du principe que vous allez
apprécier et même vénérer un menu marin de A à Z. Soit… Mais je vous préviens
qu’il faut être bien accroché car rien ne ressemble à ce que vous pourriez attendre
d’un tel menu. De là à dire qu’il y a une obsession à vouloir à tout prix vous
en mettre plein la vue en triturant tous les produits de la mer sans jamais
vraiment pouvoir identifier vraiment les composantes…il y a quelques pas. Cela
semblera iconoclaste mais un grand nombre de plats sont mono-saveur, sont
souvent trop salés, toujours avec une forte odeur marine. On peut trouver cela
admirable… eh bien je dis simplement non. De multiples réductions, des
concentrations fortes en iode, des plats plus proches de l’exercice de style que
d’autre chose. A vrais dire, je me demande qui peut vraiment apprécier cette
cuisine, pas que cela ne soit pas bien cuisiné mais à la longue c’est
simplement lassant et même tout bonnement écœurant. Une recherche
scientifique…bon…j’applaudis mais ce que je veux dans mon assiette c’est
quelque chose de « bon » et pas de la m…. cérébrale. Certes le chef
connait sur le bout du doigt tous les produits de la mer mais cela ne fait pas
tout.
Autre observation, pendant tout ce repas nous avons eu le maitre d’hôtel
principal qui nous a commenté chaque assiette mais très souvent il s’agissait
plus de l’histoire d’un plat ou de son contexte que de ce que vraiment le chef
veut réaliser… Une énumération d’ingrédients qu’il est absolument impossible de
se remémorer et qui souvent fini par une dégustation tiède.
Tout commence plutôt bien avec une tortilla croustillante de crevettes.
Arrive ensuite les pâtisseries marines qui sont enveloppées dans un
grand papier pour probablement conserver le tout au chaud.
Visuellement c’est plutôt amusant car ressemble à des pâtisseries
sucrées. Une petite brioche blanche, une autre brioche de calamar, un
San Marcos de crabe vert et un gâteau de plancton. Ce n’est pas désagréable mais plutôt ludique.
Arrive Angel Leon avec son chariot de charcuteries… fabriquée avec 100%
de produits marins. C’est joli, c’est un exploit. Maintenant je défie
qui que ce soit les yeux fermés qu’il s’agit de poisson tellement le goût est
salé ou assaisonné avec du paprika.
Chorizo.
Saucisson type lyonnais.
Poisson fumé.
Galantine.
C’est ludique mais c'est tout…
Première série de pain avec soit des bretzels soit des grissins.
Autre charcuterie avec un morceau de saucisse toujours de produits de la
mer qui ressemble à s’y méprendre à une Merguez.
Autre bouchée chaude dont je ne me rappelle plus des ingrédients.
Nous continuerons avec le taco halofilo
présenté sur une sculpture en verre verte. Une mousse d’algue voulant simuler
un guacamole.
Nouvelle bouchée peut-être un peu plus différente avec le « reject
à la rotena » et une omelette de crevettes.
Le « reject à la rotena » est une espèce de cromesquis avec à
l’intérieur une préparation dans laquelle l’on peut identifier tomate et
poivron.
L’omelette de crevettes.
Passage au froid avec la salade de buisson salées et petite coquille de
mer.
Soupe froide de moule.
Nouveau service de pain.
Un des plats les plus intéressants avec l’huitre au cumin.
Le cocktail de homard, une transformation des cocktails d’antan avec ce
goût de sauce calypso.
Autre service de pain avec un premier à la tomate.
Le second aux algues.
Ceviche de maquereau.
Passage aux plats principaux avec la sole beurre blanc. Grosse
explication car la sole est « albinos » donc avec une peau
blanche…mais en bouche ne diffère pas d’une autre sole.
Lisa rablé.
Le ris de poisson que j’ai laissé car honnêtement de la peau de poisson
grenouille ne me plait pas vraiment avec ce côté gluant.
Petit « show » à table avec la « preisse à seiche ».
On vous écrase sous une presse le crustacé dont sort l’encre puis dans
un poêle mélangé avec du cognac (ou armagnac ?) afin de réaliser une sauce
versée sur un ravioli. Quelque chose de
vraiment très salé.
Les pâtes aux planctons qui sont censées être un des plats « signature »
du chef mais il semblerait qu’il y ait une évolution avec une autre forme de
pâtes.
Passage aux desserts avec un verre de vin Pandorga, un excellent Jerez
plutôt doux sans être écœurant.
Premier dessert, citron – abricot.
Puis cerise – café.
Et pour terminer Tonneau, à base de whisky qui
rappelle les grands voyages de l’Espagne à la Grande Bretagne.
Des desserts convenables mais qui ne me laisseront pas de grands
souvenirs.
Le « sommet » de cette soirée restera avec les mignardises… Si
vous souhaitez vivre l’expérience de votre vie…et vous en rappeler à tout
jamais….Essayez le « chocolat à l’anchois »… de quoi vous faire devenir livide...
Un ratage avec la mauvaise recommandation du jeune sommelier avec un Shaya
Habis 2011 Veredejo, vin beaucoup trop fruité pour un tel repas.
S’il y en a qui dirent qu’il s’agit de l’un des dix meilleurs
restaurants les plus importants du monde, (The Wall Street Journal et The New
York Times), je ne sais franchement pas ce qu’ils ont mangé. Même si je
respecte ce cuisinier, cette cuisine n’a absolument pas comblé mes attentes. On
peut dire que c’est une question de goûts mais je n’en serai jamais persuadé…
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