vendredi 19 juillet 2024

Mare by Juan Viu, Cadix

 

Parfois il faut féliciter ces jeunes chefs qui se lancent par passion dans de nouvelles aventures, qui innove et qui propose quelque chose de plutôt assez inattendu dans une ville comme Cadix, quoi que Angel Leon ne soit pas loin et probablement encourage ces nouvelles adresses à se surpasser, sortir du lot. Juan Viu est un jeune chef qui a un parcours un peu particulier car il a démarré avec la pâtisserie. Il appartient à la quatrième génération d’une famille de pâtissiers-confiseurs basée à Barbate depuis 1886 et l’on sait combien il faut être précis, méticuleux et rigoureux dans ce domaine, ce qui transposé dans la cuisine ne peut que s’avérer très positif.

Formé à l’École supérieure d’hôtellerie de Séville, Il a au préalable travaillé dans de nombreuses maisons au cours de sa formation telles que les cuisines de Lillas Pastia avec Carmelo Bosque), puis bien entendu Aponiente avec Angel León, et au José Carlos García Restaurante à Málaga, etc. Par la suite, il a passé une période où il a conseillé plusieurs restaurants à Séville, jusqu’à ce qu’il se lance comme chef cuisinier de l’hôtel Gastronómico La Breña (Caños de Meca) et, de là, sont venues les ouvertures de Viu et Barrunto, à Barbate qui sont maintenant fermés. A un moment dans son parcours, il fût nommé chef révélation à Madrid Fusión en 2022.

Aujourd’hui, c’est une nouvelle étape de sa vie avec MARE by Juan Viu. Un chef ingénieux qui a baptisé son restaurant de la concaténation de « Mar » pour la mer, et Madre » pour mère ! Deux éléments qui l’influenceront à tous jamais. Etablissement ouvert il y a moins d’une année pendant l’été 2023.


Parfaitement situé dans le vieux Cadix, on ne peut pas vraiment deviner ce qui se cache derrière cette porte d’entrée de cette façade blanche sur cette place avec la seule note de couleur bleu marine à l’entrée pour rendre hommage à cette mer qu’est l’océan Atlantique qui se trouve à quelques mètres de son restaurant.

Un espace presque comme un laboratoire avec très peu de tables puisqu’il n’y en a que trois, peut-être une douzaine de personnes. Et si Juan assure la cuisine derrière son comptoir, c’est le son compère Dani Jiménez qui assurera en salle toute la soirée, sommelier de profession et travaille comme maître d’hôtel dans ce nouveau restaurant de haute cuisine à Cadix.


La salle à manger n’a pas vraiment de décoration car tout est blanc, juste quelques meubles pour stocker les vins et la verrerie. Tables et chaises en tissu de couleur bois. Les tables n’ont pas de nappes, tout étant fait pour que le convive puisse se concentrer sur ce qui est important, c’est-à-dire le plat et la nourriture. De la salle à manger, vous pouvez voir la cuisine et les dressages finaux de Juan.


La cuisine de Juan est un fabuleux hommage à la tradition culinaire des ménagères, des pêcheurs et marins. Sa proposition est un étonnant et unique menu de dégustation qui peut varier quotidiennement en fonction des arrivages. Les produits sont évidemment sélectionnés avec rigueur er proviennent des différents ports de pêche de Sanlúcar de Barrameda. El Puerto de Santa María, Barbate et Conil.  Il reste que le produit de la mer sera le principal protagoniste, avec des recettes traditionnelles de fruits de mer, une cuisine de pureté et d’essence.


Il s’agit donc d’un menu qui change tous les jours en fonction des produits de saison, avec une douzaine de plats, qui coûtera 85 euros, autour des produits de la mer avec les derniers plats une option viande, mais toujours avec une touche marine.

En apéritif, étant bien entendu dans la région et grand amateur de Jerez, cela sera une exceptionnelle Manzanilla qui est un vin blanc sec, élaboré avec des raisins Palomino et vieilli sous une couche de levures appelée velo de flor. Son vieillissement est effectué exclusivement dans des caves à Sanlúcar de Barrameda. Ici sélectionnée par The Wine Bang qui est une association née pour le plaisir et la consommation de ses trois membres, les frères Pedro et Juan Morales et Víctor Soltero et qui ont la participation d’Armando Guerra, propriétaire avec son père Manolo ou El Guerrita, de la taverne Der Guerrita et de la Bodega Vinos. Ils sélectionnent des fûts uniques de différentes caves en pensant qu’ils sont irremplaçables et différents, même parmi leurs sœurs. Les vins TWB sont très limités et rarement trouvables dans les restaurants, exceptionnels !


Trois amuse-gueules autour du maquereau, avec tout d’abord dans un verre une vinaigrette de courgettes, à base de vinaigre de jerez, de courgette et huile d’olive.


Ensuite un panier de pâte croustillante qui est une interprétation du « dobladillo au maquereau de cadiz », qui est une sorte de petit sandwich local à base de pain, tomate, mayonnaise et maquereau. Ici, ce panier est rempli d’une sorte de vitello tonato mais réalisé avec du maquereau, une émulsion de tomates confites. Un hommage inventé par le bar de Punta San Felipe, bien qu’ici le support du poisson à l’huile soit ce petit panier de pâtes croustillantes.

Une « sardinada », qui a une base de sardine, pain et piment vert frit. Mais ici c’est de la brioche toastée, une sardine au vinaigre de jerez cuite au chalumeau et sur le dessus une émulsion de piments verts frits et réalisée avec le collagène de la sardine.

Le pain arrive. Il provient de la boulangerie Rico Paladar à Chipiona. Daniel Jiménez connaissait déjà cette boulangerie lorsqu’il travaillait dans son restaurant Botapunta à Sanlúcar et a recommandé à Viu le pain de mie et un autre avec un côté croustillant que le boulanger Daniel González confectionne.


Prochain met, la « piriñaca » qui est une salade de Cadix à base d’oignons, de poivrons rouges et verts et de tomates, servie avec du poisson rôti, assaisonné de sel, de vinaigre de jerez et d’huile d’olive, qui ici se présenté dans une émulsion froide, type gaspacho accompagnant du maquereau. Tous ces petits plats jusqu’à présent sont d’une grande fraicheur et légèreté, toujours gourmands et vraiment inspirés par les recettes de base.


Comme vin blanc avec ce repas un Socaire 2021 Palomino Fino. Un vin blanc d’Albariza, élaboré avec des raisins Palomino de Pago Matalian à Chiclana de la Frontera avec des sols d’albariza « de tajón ». Une fermentation et vieillissement en fûts, qui ont été utilisés pour la production de fino, pendant 24 mois sans voile de flore. En bouche, des saveurs d’amandes grillées volumineuses et élégantes, une finale légèrement saline et une persistance moyenne.


Le menu peut changer comme précédemment mentionné et il me semble que cela fut un « ajoblanco » de pignons de pin de La Breña, avec du cœur de thon, mais je ne suis plus trop sûr.


Un gaspachuelo avec une mayonnaise dans laquelle on ajoute un fumet de poisson, du jus de citron, poivre et sel, le tour versé sur un morceau de poisson blanc.


Le réputé cocktail de crevettes de Sanlúcar qui ici a une apparence différente des autres jours. Les crevettes de Sanlucar en marinade gaditane et fenouil, l’un de ses plats vedettes, qu’il prépare comme s’il s’agissait d’un classique cocktail de fruits de mer, à partir d’un pilpil neutre de poisson, tomate fermentée, Oloroso et jus d’orange. Pour son goût et sa qualité, la crevette de Sanlúcar est un incontournable du menu.


Le calamar cuit à froid dans lequel le corps du calmar est haché et cru, présenté comme un tartare, sur une sauce émulsionnée à base d’un ragoût « en amarillo » de calamars. On y retrouve aussi d’une sorte de mayonnaise de rêve au goût de seiche. Dans un sens, cela rappelle une salade, mais sans pommes de terre. L'"en amarillo », est l’un des ragoûts caractéristiques de la province. Réalisé avec une sorte de croquette de purée de pommes de terre qui est cachée sous une sauce à base de têtes, de collagène, qui fournissent de la gélatine et donnent à la chose la texture d’un pilpil. Un tartare de calamars accompagné d’un ragoût traditionnel transformé en mayonnaise, de poivre noir et d’huile d’olive extra vierge. Un plat mémorable, pour ce qu’il signifie du passé et du futur.


Pour suivre une transformation d’une salade de laitue, thon et olive. Viu prépare un gaspacho de laitue qui entoure quelques morceaux de bonite crue et une poudre d’olive.


Des couteaux à la roteña. Comme son propre nom l'indique, la roteña est un ragoût typique de la région de Rota qui est fabriqué avec des oignons, du poivron vert, du poivron rouge, de la tomate, du bouillon de poisson, du brandy et de la manzanilla. Juan apporte une touche particulière, le laissant réduire un peu plus que d'habitude pour intensifier les saveurs.


Un plat un peu étrange qui sera celui auquel l’on ne s’attendrait pas, des huitres et rognons au jerez. L’association nous laisse un peu pensif car peut-être pas des plus évidente.


L’ « enblanco », une recette de poisson blanc avant tout familiale mais repensée ; un souvenir de l'affection avec laquelle la mère de Juan prenait soin de lui quand il était petit, et malade. Il a pensé mettre ce « blanc de mer » au menu afin de symboliser la notion de pureté. Une base de brandade, réalisé avec la peau, une saumure à base de lait, puis une cuisson à la vapeur du poisson, sur le dessus une émulsion type pilpil ou gazpachuelo réalisé avec les arrêtes, le collagène de la tête.


En partant d'un traditionnel ragoût jaune, élaboré à feu mijoté avec des oignons, de l'ail, du vin blanc et du bouillon de poisson, une sauce qui accompagne avec une friture de poisson de saison avec sa peau croustillante.


Un autre plat vedette avec le sofrito de sa grand-mère Trini, des morceaux de poissons cuits qui sont de la ventrèche de thon,  qui démontre la maîtrise du cuisinier en matière de cuisson, et le sofrito de sa grand-mère Trini explique dans l’assiette ce que signifie Mare. Ce sofrito, seul est monumental, réalisé avec oignons, poivrons rouges et verts, un peu de concentré de tomates, de la tomate naturelle, et une réduction de quatre à cinq heures.


Encore une viande avec un ris de veau bien grillé en sauce à l’oignon.


Puis après ce fantastique repas plein de saveurs, les desserts. Nous commençons avec des fraises de Conil cuites dans de l’Oloroso, accompagnée d’une glace double crème, et sur le dessus un surprenant granité d’eau d’huitre. Il fallait y penser mais cela fonctionne parfaitement.


Un autre dessert à base de pèche, yaourt et orange.


Les petits fours sont apportés directement de Très Martínez où travaille toujours sa mère Pepi, créatrice de deux rochers marins qui font un clin d’œil au film Thon et chocolat tourné à Barbate : celui au chocolat au lait, amande amère et mojama, et celui au chocolat blanc aux noix et œufs qui mugissent. Le jeu du sucré et du salé fonctionne parfaitement.


La musique qui nous a accompagnés lors de ce dîner mémorable, comme il ne pouvait en être autrement, était principalement des artistes de flamenco.  Une expérience assez inédite que de se retrouver dans un local proche d’un laboratoire en écoutant une telle musique toute en dégustant une cuisine qui va à l’essentiel, le produit, la tradition et bien entendu la gourmandise.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire