jeudi 2 août 2018

Cocina Hermanos Torres, Barcelone


Troisième jour d’ouverture et nous voici dans la nouvelle « cathédrale » des frères Torres simplement baptisée « Cocina Hermanos Torres ». Un projet de dimension colossale qui depuis début juillet s’est réalisé, permettant à leurs clients de montrer un rêve qu’ils avaient dans leur tête depuis l'âge de 8 ans. Celles et ceux qui connaissent bien ces deux chefs jumeaux cuisiniers, se rappelleront que jusqu’à quelques mois en arrière, tout deux étaient à l’étoilé « Dos Cielos » dans l’hôtel Melia Sky. Un des deux étoiles de la ville, une table plébiscitée dans la plupart des guides et visité par les foodistes de l’ensemble de la planète.

On sait qu’en Espagne et plus particulièrement en Catalogne et au Pays-Basque, on apprécie ce que j’appelle le « show culinaire » qui prend une forme ou une autre, entre l’utilisation de techniques aujourd’hui complètement dépassées comme le « moléculaire » ou parfois le côté théâtral et la mise en scène de repas. Aujourd’hui les frères Torres ont quitté le « Dos Cielos » et ont ouvert leur propre établissement dans un ancien entrepôt industriel de pneus de 800 m2 dans le quartier Les Corts dont on voit encore les récents travaux ou machines devant l’entrée! Une incroyable aventure et probablement à ce jour un concept inégalé dans le monde ; tout cela selon les dires pour 2 millions d’euros. Sergio et Javier Torres sont en route pour une probable troisième étoile.


Une porte bien sombre sur une façade peinte de manière assez originale à travers laquelle l’on devine un incroyable intérieur.




Une fois la porte passée la première impression est très impressionnante car complètement inattendue.  Un hangar certes mais rénové de manière complètement futuriste.


Imprégnés par l’histoire de leur jeunesse avec leur grand-mère qui cuisinait au centre de leur maison, ils décidèrent de reproduire ce concept, rassembler les gens autour d’une cuisine. C’est pour cela que vous découvrirez un luxueux hangar avec trois coins cuisine, répartis entre des tables tout autour pour 65 convives et le tout desservi par une équipe de 35 personnes.




Trois plans de cuisine autour desquels l’on mange, où l’on pourra observer tout au long du repas comment la brigade traite les légumes, la viande, le poisson, les fonds de sauces, la boulangerie et la pâtisserie. Plans qui probablement occupent 70% de l’espace. L’idée étant également, l’échange…La relation entre client, cuisine et salle. Un espace unique qui sans qu’on le sache est piloté par des technologies de pointes mais évidemment n’a aucune incidence sur la cuisine elle-même.





Une salle très impressionnante ou en soirée l’on a l’impression de dîner sous un ciel étoilé. Ceci associé aux deux pilotes du navire qui ne cesseront d’être présents, se déplaçant entre les plans de travail, recevant les clients comme des amis à la maison et qui en plus n’hésiteront pas à plaisanter avec vous. Tout est organisé comme pour un festin et l’impression première est plutôt très prometteuse !


D’autres structures existent comme une cave en verre, conçue avec des feuilles de vigne, projet écologique dans lequel les frères voulaient introduire la nature. D’un autre côté, le bar à l’entrée où vous pouvez manger de façon informelle, une zone de dégustation, un espace de R & D, des pièces vitrées pour la préparation des ingrédients avant la cuisson (nettoyage, découpage ...) et une salle de formation pour le personnel.



Une carte avec un menu dégustation qui aujourd’hui est encore à des tarifs raisonnables, à savoir 135 euros. En lisant l’intitulé des plats en et voyant le schéma qui explique ce menu, on comprend qu’il devrait s’agir d’une cuisine savoureuse, bien construite, solide, montrant le chemin parcouru par les deux chefs. Des plats qui vont des saveurs de l'enfance à la rigueur technique, de la simplicité à la complexité, sans renoncer au confort gastronomique ni au concept de modernité. Le menu est construit en crescendo et gagne en intensité, ce qui est très stimulant. Des recettes discrètes inspirées par les voyages, les souvenirs, les traditions populaires et les saveurs saisonnières


Les sympathiques frères passeront à table afin de nous souhaiter la bienvenue et seront présent tout au long de la soirée.


En attendant les premiers amuses-bouche, une flute d’excellent Cava dont je n’aurai pas relevé le nom.



Le repas commence par des bouchées plus sentimentales que probablement gastronomiques avec tout d’abord un bourgeon de lys estival en hommage de leur mère Montserrat. Bourgeons que l’on peut aussi voir être associés sur ces probable tiges de bambou sur l’un des plans de travail. Maintenant cela reste tout de même une bouchée assez anecdotique.



Le pain et huile d’olive sont tous deux spectaculaires, à la mémoire de leur grand-mère Catalina, qui leur a appris à manger et à cuisiner.




Nous poursuivons avec de l’eau de tomate gelée comme un granité, gelée de câpres, aux concombre et sphère de céleri. Un joli visuel, la fraîcheur intense du plat est appréciée mais les saveurs pourraient être un plus prononcées.


Puis les graines de tournesol glacées qu'ils mangeaient en été avec leur père ... Sorte de petit-four ou sandwich glacé au centre présenté sur une fleur de tournesol. Un contraste assez marqué avec la première bouchée car celle-ci est plus riche en texture.


Une magnifique ménestra froide avec des légumes de saison biologique de leur jardin. Ce mélange est un ragoût typiquement espagnol fait avec des légumes variés, généralement ceux disponibles dans le jardin pendant la saison. Le nom générique de ce plat est à l’origine un ragoût de légumes et est généralement fait avec un fond d'un bouillon de légumes auquel l’on ajoute habituellement un ensemble de légumes coupés en brunoise :  oignon, céleri. Le nom vient de la minestra italienne qui est donc une soupe. Il y a ici 49 légumes bio dont la cuisson est d’une diabolique précision. Un jus de basilic, quelques goutes de graisse de jambon ibérique pour compléter. On ne pourra s’empêcher de penser au gargouillou de Michel Bras dans cette très bonne assiette pleine de fraicheur.


Un tartare de calmar dans son propre jus fermenté accompagné de caviar qui est un clin d'œil au Japon et qui illustre une cuisine solide, pleine de nuances. Il s’agit d’un consommé froid de poulet clarifié, la texture soyeuse du calmar en quenelle al dente marinée dans du saké est magnifique et se marie parfaitement avec les œufs de caviar béluga. Des jeux de textures qui stimulent le palais. 



Le faux riz de légumes est en fait avec de minuscules morceaux de légumes en forme de grain de riz cuits dans un bouillon avec une sauce délicieuse. Un succulent ragoût de légumes cuits dans une réduction avec un peu de fond de viande. Une jolie touche de poivre qui fait que cela soit un des rares plats au menu où le piquant est le plus clairement apprécié.


Ensuite, des clóchinas (moules) avec un gazpachuelo (à la base une soupe chaude avec de l’oeuf, jaune fouetté et assaisonnée de vinaigre ou de citron ; typique de l'Espagne, en particulier de l'Andalousie). Un voyage imaginaire à travers la Méditerranée entre Barcelone et Valence, plat frais et savoureux, dans lequel l’on met en évidence la finesse de la soupe et la qualité du produit avec une saveur de citronnelle.


Le plat suivant est du saumon « kvitsoy », sagou et algues. A nouveau on se soucie de la qualité du produit mais en lieu et place d’un produit de Norvège, j’aurais plutôt préféré un poisson local et saisonnier comme l’on trouve en ce moment. C’est une recette un peu trop internationale qui n’est pas trop le reflet de la gastronomie Catalane ou d’autres régions d’Espagne. Néanmoins le poisson est de grande qualité, juste gras comme il se doit et très bien associé aux algues qui ajoute une touche marine en bouche. Les perles de sagou, aussi connues sous le nom de perles du Japon, proviennent directement du tronc du palmier sagou. Seules, elles n’ont aucun goût particulier : on les consomme principalement pour leur texture. En effet, lorsqu’elles sont cuites, les perles de sagou deviennent molles et translucides. Elles sont sur les algues qui reposent dans le bouillon d’arrêtes.


Le cocido madrileño est transformé en un plat froid plein de nuances. Il s’agit ici de pois chiches verts, avec un jus de jambon et voile de bacon ibérique ou peut être lard Colonnata. Un autre plat qui met en évidence l’utilisation de bouillon, un fil conducteur du repas. Une présentation sophistiquée, un plat classique mais ici avec une réelle touche contemporaine. Ce bouillon à base d’une réduction de jambon est onctueux et en même temps un peu collant.


Les pâtes sont présentes sous la forme de ce délicieux ravioli de cuisse de cailles en escabèche. Ravioli dans un splendide jus avec une fine touche d'acidité. 




Intermède avec de l’azote liquide avec une senteur de figue car des feuilles se trouvent en dessous.



C’est très souvent le plat principal qui est un ton en dessous dans les grandes tables mais ici les frères Torres se surpassent avec cette caille sauvage accompagnée d’une sauce à l'anguille ou plutôt je devrais dire de congre qui est aussi une anguille de mer. La volaille est particulièrement bien cuite, la sauce est bien travaillée, réduite juste assez, brillante et splendide, apporte le un côté gourmand à la caille.



Retour vers les produits de la mer avec une galette de thon juteuse dans son jus avec de minuscules pommes de terre soufflées qui met le point final à la partie salée. Le thon (de la pèche Arrom) est cuit au vin rouge, des carottes comme accompagnement.




Avant les desserts, une collation de fromage frais, une crème glacée au fromage de chèvre dans un crumble à l'avoine, présenté sur une feuille de figue.



Rafa Delgado, le grand chef pâtissier du restaurant, est en charge des desserts. La fleur de lait d'amande est très bien construite, avec le produit saisonnier de référence. Différentes intensités de saveur et de textures, le croustillant, la glace et les amandes fraiches elles-mêmes, en lait et en morceaux.



Ensuite les gnocchis de pêche, le produit de saison le plus pertinent. Un dessert sucré mais pas qui associe textures et températures. Quelques graines de vanilles, des touches de pâte de tamarin, un sorbet  aux feuilles de pêche. Le contraste avec l’acidité du tamarin est la bienvenue.



Pour terminer, cette version de la Forêt Noire, dans laquelle le gâteau a été remplacé par un
nuage (comme une mousse) givrée au chocolat avec des cerises en sirop.



Une mignardise appelée La joya pour accompagner l’excellent café.



Comme vins, tout d’abord un Montsant Dido Blanc 2016 frais et avec du corps. Des notes fruitées et une bonne acidité. Une bonne persistance et des nuances herbacées.


Suivi d’un Coma Bruna Très Old Vinyes 2015, vin de l’Emporda avec une entrée puissante, intense et savoureuse en bouche. Soyeux et charnu avec une grande présence de fruits et des notes mentholées.


Passage au bar où nous serons offerts des cocktails.






Malgré le fait que cela soit le troisième jour d’ouverture, nous n’avons pas identifié de problème avec le service qui fût excellent de bout en bout.



Une très belle soirée dans un cadre définitivement unique. Pour autant que l’on souhaite classifier la cuisine de ce soir, cela sera plutôt assez difficile. Ce fût principalement des assiettes, faciles à comprendre par une large clientèle, qui aspirent à la modernité, mais qui surtout apprécie un certain classicisme renouvelé. Pas de style moléculaire si fréquent encore parfois en Catalogne, mais une cuisine finalement plutôt assez internationale dans le sens où les frères Torres ont un long parcours. Pas loin de trente années à avoir cuisiné au contact d’autres grands chefs dans le monde. On pensera parfois à des plats appréciés dans d’autres tables étoilées, les plats ont souvent un peu gommé les caractéristiques de l’Espagne et bien entendu de la Catalogne. Certains plats avaient plus d’identités que d’autres, mais on appréciera bien entendu les techniques totalement maitrisées de chaque assiette.

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