Il me
tardait de revenir chez « Likoké », cette exceptionnelle table un peu
perdue dans l’Ardèche et qui nous avait deux fois grandement impressionnés. Venir
chez « Likoké », ce n’est ni « aller manger au restaurant, ni
aller manger tout cours », c’est une expérience ! C’est en fait venir
passer une soirée exceptionnelle chez des amis passionnés qui vous
accueilleront même quelques mois ou années plus tard comme s’ils vous avaient
vus la veille. Piet Huysentruyt le chef est un personnage plein de sensibilité,
attentif au moindre détail, quelqu’un avec qui le courant passe immédiatement
lorsque l’on partage les mêmes valeurs. Toujours le chef d’orchestre et en même
temps un cuisinier hors pair (se référer aux autres billets de ce site), il approche
quasiment tout avec un débordant enthousiasme et c’est qui fait que l’on a
toujours envie de venir et revenir manger chez lui. Une cuisine en perpétuelle
évolution grâce à sa fantastique équipe ou presque commando qui en permanence
le soutient et l’aide à créer ce quelque chose que peu de restaurant offrent.
Ce soir c’est
un repas très spécial car pour fêter je crois les trois années d’existence,
Piet a invité sur quelques jours un certain nombre de grands chefs et pas n’importe
lesquels… Aujourd’hui c’est le chef Akrame Benallal qui vient pour ce repas à
quatre mains et l’excitation est à son comble. Une soirée qui sans aucun doute
sera unique et exceptionnelle, avec à la base des types de cuisine probablement
assez différentes. C’est d’après ce qui sera dit en fin de soirée que ces deux
chefs se sont rencontrés lors de la remise de leur première étoile au Michelin
qu’ils se promirent de se revoir autour de fourneaux.
Je m’étais
imaginé que les assiettes qui sortiraient seraient des créations communes mais
en réalité il s’agira plutôt d’une série de plats soit composés par Piet soit
par Akrame. Intéressant de découvrir que l’organisation pour un tel événement
est d’une grande rigueur, avec d’innombrables échanges au préalable, des
préparations faites à l’avance et amenées dans un bac réfrigéré de Paris car il
est évidemment impossible de tout réaliser sur place dans le temps impartit. De
plus il aura fallu des commandes d’ingrédients et de produits spécifiques à l’avance
et j’en passe.
Ce soir la
terrasse été est encore ouverte a vu de la température clémente qu’il fait à l’extérieur.
Certaines personnes sont mêmes là pour prendre un apéritif.
Passage
immédiat à table et voici nos chefs en concertation avec également le fils de
Piet, Cyriel qui assure parfaitement l’organisation et le service en salle.
Akrame très aimablement passera à chaque table pour humblement se présenter,
saluer la clientèle et leur souhaiter une excellente soirée. Quelqu’un d’extrêmement
souriant et courtois. Un début de soirée très amical et une ambiance
décontractée malgré la légère tension car ce soir il faut beaucoup de synchronisation
en cuisine.
Une
nouveauté encore pour moi, avec cette nouvelle pièce pour repas privés dans une
autre section du restaurant, une pièce déjà ajoutée l’année passée.
Comme à l’accoutumée
nous serons placés dans la pièce principale sachant que les cuisines sont au
premier étage et que l’on peut également dîner en face de la brigade.
Le menu de
ce soir sera donc une alternance de plats des deux chefs dans scénario
prémédité mais plutôt une manière de faire découvrir les talents de chacun de
ceux-ci. Un menu qui sera accompagné de vins avec pour démarrer une agréable coupe
de champagne de la maison Lacourte-Godbillon.
Il faut que
je précise comme à l’accoutumée que de se rappeler de toutes les techniques et les
ingrédients utilisés par la cuisine de Piet restera toujours un exploit, donc
malgré mes notes j’espère que je n’aurai pas fait trop d’erreurs. Sa cuisine
est toujours une association de petits éléments qui se complètent toujours avec
une grande justesse.
Une première
partie avec des mises en bouche et le Hay Cube (Likoké), le cube de foin. Pas
tout à fait sur du pourquoi du foin mais cela commence vraiment fort avec cet
amuse-bouche légèrement influencé par le japon e d’ailleurs servi par un des
chefs de la brigade qui est japonais. Un cube d’agneau froid recouvert d’une
poudre verte et sur lequel l’on trouvera un morceau de maquereau fumé ainsi qu’une
crème à base d’ail noir. Un ail qui est maturé une trentaine de jours dans des
récipients clos à 80 °C dans une atmosphère humide. Le goût de cette viande
fondante, le fumé du poisson, le goût de réglisse et caramel de l’ail se
marient à merveille. La présentation sur une buche, du romarin et un poisson
séché est très esthétique.
Second
amuse-bouche qui lui est dans un tout autre registre. La brioche vapeur
(Akrame). D’inspiration chinoise et japonaise, souvent nommé « bao »,
en ce moment assez à la mode comme par exemple en Angleterre. Celle-ci est
recouverte d’un mélange à base d’anchois, olive et parmesan. Une bouchée
aérienne qui est des plus plaisante.
Impressionnante
autre amuse-bouche avec le Cracker (Akrame). Présenté sur une planche de bois,
une petite tartelette croustillante sur laquelle nous retrouverons une association
de dés de kiwi, des œufs de truites marinés, de l’avocat, de la menthe et anis.
Une explosion de saveurs en bouche, un petit côté un peu influencé peut-être
par l’Amérique du sud ou centrale.
Un verre de
vin de la Clape, la Brise Marine du château Lanégly avec une belle note
minérale et des arômes de fruits exotiques.
Retour chez
Piet avec son interprétation de la Calderade (Likoké). A l’origine une recette portugaise
et importée par ceux-ci au Congo belge. La « Caldeirada », c'est un
peu "la bouillabaisse" du Portugal, un plat de pêcheurs, sorte de
pot-au-feu de poissons dont la composition varie selon la pêche et le marché, à
base de poisson, poivrons, oignons, huile d’olive, ail, tomate et pomme de
terre. Evidement complètement transformée et sublimée. L’esthétique est très
travaillé avec cette magnifique assiette de pierre, on y trouvera du jus de
tomate, du balsamique blanc dans la sauce et une base d’oignon brulé. Beaucoup
de travail pour un très beau résultat.
Le pain
servi toujours aussi délicieux est à la farine de châtaignes accompagné de
beurre salé.
Transition
vers les entrées avec maintenant la section nommée « Dégustation ».
Les assiettes sont finies directement par Piet qui comme à l’accoutumée le
maitre de cérémonie. A noter que Akrame est au premier pour dresser les
siennes.
Le visuel
du plat qui arrive est vrai tableau. Plat appelé, Moules Carotte et Mangue
(Likoké). Sur une assiette anthracite, une succession de petits rouleaux de
carottes et mangues, avec à l’intérieur parfois une moule. Sur le côté une neige
de jus de moule, un jus de moule à la vanille, quelques tronçons de carottes
grillées, des feuilles de soucis sur le dessus. Des alternances de saveurs
douces exotiques avec des parfums marins.
Assiette
complétée par un bol dans lequel l’on trouvera une moule déstructurée utilisant
des techniques de sphérification avec cette moule « dans la moule »,
le rappel de la carotte et de la mangue comme une tartelette.
Visite au
premier afin de voir ce que Akrame nous prépare. Dans un coin de la cuisine on dresse les
assiettes suivantes et peut admirer le « Big Green Egg », le barbecue
en céramique inspiré du Kamado, récipient de cuisson traditionnel utilisé en
Chine et au Japon depuis plus d’un millénaire qui est utilisé pour griller et
fumer les ingrédients.
De l’autre
côté Akrame dresse les assiettes qui suivront avec si je me rappelle bien un de
ses chefs de sa brigade qui l’a accompagné.
On s’attèle
également à dresser avec Anthony.
Puis
redescente en salle principale pour le plat qui suivra et qui sera absolument mémorable.
Un nouveau
vin avec un Vouvray de chez Mathieu Cosme, Les Promenards. Un chenin blanc avec
une belle acidité et minéralité.
Ce plat qui
suit sera vraiment époustouflant. Tourteau, Endive et Café (Akrame). Si l’intitulé
mentionne l’endive, il s’agit plutôt de radicchio, sorte de chicorée à feuille
rouge, développé en Italie du Nord dans la
région de Vérone avec son goût original subtilement amer. Les feuilles
enveloppent la préparation de crabe qui est fumée et en dessous un peu de betterave
et une magnifique sauce à base de café. Le genre de plat qui va à l’essentiel où
tous les sens seront éveillés, d’une perfection gustative.
Nouveau vin
avec un Mercurey du Domaine Meix Foulot. Vin ferme et racé qui s’harmonisera
parfaitement avec le plat suivant.
Une
magnifique assiette avec la Sole Stendhal et pommes de terre (Akrame). La couleur
du plat se réfère a « Le Rouge et le Noir » avec une sole d’une cuisson
parfaite avec une partie recouverte d’une préparation de betterave et l’autre
de braise de bambou. Sur le côté les pommes de terre qui ont marinés dans les
mêmes bases.
Un vin d’Ardèche
de Thierry Doulmet Aujourd’hui pour Demain.
Retour chez
Piet avec son essentiel Moambe (Likoké) qui est toujours un moment de
délicatesse et qui évolue à chaque visite. La volaille cuite dans l’huile de
palme, de la crème de banane, du piment, des crevettes grises, le croustillant
de poulet, de la tapenade de palme, des champignons marinés, de la galette de
riz. Toujours une surprenante association de textures et saveurs avec ce visuel
toujours changeant.
Passage au
très bon Faugères du Domaine Leon Barral dont la réputation n’est plus à faire.
Dernier
plat principal avec le Pigeon et céleri rave (Likoké). Présenté en deux
services avec tout d’abord une réinterprétation du « bitterballen »
qui est selon moi d’origine néerlandaise mais évidemment Piet soutient que c’est
Flamand en souriant. Bien loin du snack original car déjà la volaille est un
peu fumée, et le tout a été reconstruit comme un cromesquis. Les boules de
pigeon frites sont déposées dans un cornet délicatement décoré avec des fleurs.
La poitrine
est cuite à la perfection, servie avec un fond de sauce bien relevé, une purée
de céleri et son chips.
Avant les
desserts, un agréable crémant du jura du domaine Pignier.
En fait
plutôt un fromage ou une composition fromagère proche d’un dessert puisqu’il s’agit
d’un Saint-Félicien, sucre et vinaigrette (Akrame). Nous ne sommes pas loin de
la recette de la crème brulée, avec une utilisation de cassonade, un condiment
à base de cumin sur le côté dans l’idée d’une compote et un coulis sur le
dessous à base d’herbes. Les associations sucré et fromage sont toujours très agréable
et celles-ci est tout particulièrement réussie.
Nous
terminerons avec un Solera Lulu de Campaucels du Languedoc, 100% Grenache, gras
et délicat avec des arômes orangés.
Et comme
dessert un riz au lait et chocolat noir (Akrame). En fait il ne s’agit pas de
riz mais pâtes grecques recouverte d’une crème à base de cacao, un peu de
flocons de sel, du citron vert râpé et des pâtes soufflées.
Quelques
amusants bonbon avec le café. Akrame nous propose du Cachou normalement réalisé
avec de l’acacias.
Piet, de savoureuses
tartelettes aux topinambours et noisettes râpées sur le dessus.
Un joli
moment cérémonial après toutes ces festivités ou Piet nous fait un discours et
nous raconte sa découverte et sa relation amicale avec Akrame.
Une dédicace
d’Akrame sur un cochon de porcelaine pour mémoriser cet événement culinaire.
Piet
offrira son ouvrage de photos PH 9715 à Akrame.
Puis « monsieur Super Power » à son tour fera un discours plein de gentillesse et de sincérité pour énoncer ses motivations à venir faire ce « 4 mains ».
La sucette
de rigueur pour terminer cette fabuleuse et intime soirée avec ces deux
incroyables chefs.
Une soirée
pleine de magie où clairement l’on observera deux types de cuisine complètement
différentes et à la limite presque opposées. Un Piet qui aime faire parler ses
assiettes avec des références à son histoire, son pays d’origine, des assiettes
colorées, vivantes, complexes et visuelles et toujours très explosives en
bouche. La cuisine du fantastique Akrame qui est essentielle, très aboutie avec
un concept où il y a une recherche de simplification extrême mais dans le bon
sens du terme. Le produit dans toute sa splendeur, des associations de saveurs
et textures absolument parfaites, des visuels épurés et magnifique. En passant
de table en table, je l’ai entendu dire « le plus compliqué dans la
cuisine, c’est de faire simple ». Tout est résumé en quelques mots. Une
soirée mémorable et qui probablement restera unique.
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