Retour aux Vans chez Piet Huysentruyt que nous avions visité au mois
d’avril cette année.
Nous avions tellement apprécié sa cuisine, l’endroit et le personnage, qu’il
fallait que nous revenions dans ce petit village d’Ardèche un peu perdu. C’est
donc ce soir qui s’avéra être sans initialement le savoir, le dernier repas de cette saison que nous
arrivâmes avec un peu de brouillard. Un accueil toujours aussi charmant par
« la famille » ; je dis famille car aussi bien Cyriel le fils
que Vero sa femme sont toujours aussi
présent pour assumer l’accueil, le service et le bon déroulement de la soirée.
J’ai plutôt l’habitude de vouloir toujours aller visiter de nouvelles
tables mais chez « Likoke »…c’est une autre histoire… Ce qui
distingue un tel établissement d’un autre c’est que l’on ne sait jamais
vraiment à quoi s’attendre d’un point de vue culinaire et gustatif. Ce qui à
mon sens fait un grand chef, c’est la volonté à vouloir toujours améliorer
certains de ses plats mais surtout de vouloir voir sa cuisine évoluer, de
tester de nouvelles associations, d’étonner les clients que nous sommes. Et
cela…c’est rare, très rare. Piet est tout sauf quelqu’un qui va se cantonner
dans un répertoire de plats qu’il a cuisiné depuis des décennies et qui
deviendront comme le disent souvent les américains, des « plats
signatures ». Mais en plus, c’est aussi un esthète car un plat certes c’est
une assiette avec des ingrédients, mais lui ajoute un côté visuel très impressionnant.
Tout d’abord en venant finaliser ses assiettes à table mais aussi par
l’utilisation de diverses sortes d’assiettes ou je devrais plutôt dire de « supports ».
Bois, pierre…et peut-être un jour le métal… On ne saura pas ce que sera sa
prochaine idée. Chaque plat est toujours un moment d’attente et presque
d’inquiétude… Que va-t-il nous présenter ? Comment va-t-il essayer de nous
surprendre ? Tout ceci justifie sans hésitation une visite…puis une
seconde….et probablement d’autres… Il ne faudra non plus pas ignorer que c’est
aussi un personnage qui apprécie l’humour et qu’une soirée chez Likoké c’est
aussi par moment des sourires et des rires. Par exemple, certains plats seront
des clins d’œil à sa Belgique natale et certaines créations des approches
ludiques de certains classiques du plat-pays. Tant de raisons donc pour revenir
aux Vans…
Par temps clément c’est à l’extérieur que nous commençons la soirée mais
évidemment un soir de novembre, c’est directement dans la salle principale que
nous prendrons place.
Cette fois-ci nous aurons la chance de nous trouver juste
à côté du coin « dressage » où l’on peut apprécier Piet finaliser les
assiettes, certains jus ou sauces qui doivent
être manipulés au dernier moment. Je n’avais peut-être pas réalisé la première
fois ô combien l’idée d’avoir une cuisine en deux parties est quelque chose
d’unique. En effet, la cuisine se trouve au premier étage, les assiettes sont
acheminées par un passe plat et Piet comme « maitre de cérémonie »
apporte la touche finale dans un des coins de la salle ; un petit
laboratoire où l’on peut apprécier sa dextérité.
Comme la première fois nous choisirons le menu « Terre et
Rivière » à 160 Euros composé de neuf plats. Je dis neuf mais en réalité
chaque plat étant une association de plusieurs « supports», au final cela
doit faire probablement plus mais soyez rassuré, les tailles de chacun de
ceux-ci sont parfaitement adaptés. Un menu qui évidement diffère de la première
fois et qui se focalise autour des produits automnaux mais aussi quelques
bouchées que je qualifierai de « ludiques-belges»… Vous comprendrez le
pourquoi par la suite.
Entrons dans le vif du sujet avec un premier thème appelé « La
vigne ». Sur une branche de bois un ensemble de petites bouchées et un
élément liquide. Un jus de raisin de cépage Gamay légèrement fermenté dans une
petite éprouvette, un bricelet au bon goût de beurre en forme de feuille
d’érable réalisé avec du thé vert matcha dont le goût est tel de jeunes pousses de
légumes verts et quelques raisins secs. Deux billes de pommes
qui visuellement ressemblent à des raisins mais la pomme a mariné dans de la
grapa. Un amuse-bouche plutôt globalement sucré et sur certains aspects légèrement
acides qui mettent en appétit. Une très belle ode à l’automne.
Pour continuer, le « Voyage
des terroirs ». Trois petite bouchées qui seront différentes dans
leurs saveurs et même une qui sera presqu’exotique, Cyriel ayant souvent voyagé
au Mexique a proposé un taco mexicain mais revisité. Sur une petite chips de
maïs frite, un morceau de dorade royale de première fraicheur, une touche de
guacamole mais ici dans une version allégée et vraisemblablement quelque chose
de pimenté. Le petit dé vert étant probablement un piment rapidement braisé.
Il faut dire que chaque plat qui est présenté dans les moindres détails
comporte la plupart du temps un nombre incroyable d’ingrédients afin de
restituer quelque chose d’admirable en bouche. Une fantastique idée que
d’offrir un bloc-notes et un crayon à chaque convive mais croyez-moi… la prise
de ces notes demande beaucoup trop d’attention au risque de rater l’essentiel…
Je m’efforcerai donc de vous décrire ce dont je me rappelle…
Il faut savoir que ce taco est dressé au dernier moment et que le poisson
sort d’une marinade à base de citron, d’huile et de quelques épices.
Petit rappel de notre première visite avec les fabuleuses charcuteries
du terroir ; le saucisson nature et le chorizo accompagnés d’une sauce
pimentée et de crumble.
Quand je décrivais le côté humoristique et créatif de Piet, vous
observez dans son petit laboratoire ces squelettes ou plutôt crânes sur trois
os comme des statues. Ne pensez pas qu’il s’agisse de quelques attirances pour
ce qui est macabre mais l’idée étant que l’Ardèche est la région ou le porc est
apprêté de milles manières, l’idée est venue de conserver ces crânes et de les
utiliser comme présentoirs pour certains plats !
Autre bouchée appelée « viande hachée moutarde-Caviar ». Piet
nous explique qu’il a reproduit un tartare (ou plutôt filet américain) assez
particulier que l’on trouve en Belgique car réalisé avec du porc.
A celui-ci un peu de purée de pomme de terre
a été ajouté et l’assaisonnement de rigueur comme des
« pickles » et est élégamment placé entre deux chips. Puis
Piet nous explique que nous avons la chance de déguster une rareté… le caviar
blanc qui vient directement d’Iran ! Il ouvre la boite, nous présente le
produit, dépose une belle ration de ce dernier…
Nous devons admettre que nous
sommes assez surpris et puis Piet rigole en nous disant que ce sont des graines
de moutardes… Une de ses ludiques
bouchées comme Piet aime présenter avec une touche d’humour.
Un très joli premier flacon de blanc avec un Saint-Peray 2011 cuvée
perstige de chez Stéphane Robert du Domaine du Tunnel. Un assemblage de
vieilles vignes, marsanne et de roussanne élevées pendant onze mois en fûts.
Nouvelle amuse-gueule avec le beignet de tête de porc. Arrive dans un
cornet quelques beignets très légers réalisés avec ces bas morceaux dans un
cornet comme l’on trouve dans les gargotes en Belgique.
On trempe le beignet
dans une sauce picalilli qui contient un certain nombre de condiments comme des
légumes découpés en petits morceaux, du vinaigre et des épices, de la moutarde
et du sucre. Ce pickles est recouvert de petites peau de cochon frites
croustillantes.
Et voici un moment unique avec ce plat absolument incroyable appelé,
fromage de chèvre : version automne. Visuellement déjà très beau avec ces
coupelles qui ressemblent à du granit avec quelques reflets or. On trouvera dans
l’une au fond de la poudre d’olives noires, des grains et de la gelée de grenade, , du
chou rouge cru et une surprenante version de chou rouge fermenté, le jus de ce
chou ; dans l’autre une huitre dans un dashi, du pumpernickel qui est un pain de seigle, le
fromage, sa crème et lait de chèvre en
forme de sucette comme un « gervais », une crème de laitue. Et l’on versera au dernier instant une huile
de verveine citronnée. Les associations sont fabuleuses, on passe de saveurs
douces à celles fermentées et le jeu des consistances est prodigieux.
Le pain est toujours aussi bon, réalisé avec de la farine de châtaigne
et accompagné soit de beurre soit de saindoux sur lequel se trouve des
croustillants de lard.
Autre magnifique concept intitulé « l’âge de la pierre » car
tout est servi dans de la roche ou de gros cailloux entaillés pour les
transformer en coupes. Arrive tout d’abord l’ensemble des finitions avec de la truffe
et un granité et ensuite une association de petits plats.
Dans un caillou, de la pomme granny-smith, de l’artichaut, de l’oreille
de porc, de la truite et du fromage ardéchois de Coucouron à la pâte persillée.
A premier abord on se demande toujours si ces associations vont fonctionner car
trouver des abats ou des bas morceaux avec du poisson et du fromage peut
sembler vraiment étrange… Mais c’est là que la magie se produit car jamais il n’y
aura une faute de goût. Les éléments sont parfaitement dosés et en fermant les
yeux on apprécie toutes les saveurs du plat. Le granité est déposé sur cette
forme de salade travaillée et la truffe d’été apporté une touche parfumée
additionnelle au tout. Un plat qui est parfait !
Mais ce n’est pas tout car sur côté nous est proposée une salade de
quinoa au jus de moule. Fausse moule reconstituée qui est ensuite brisée afin
de laisser le jus imprégner la céréale.
Autre assiette qui est la touche végétale avec pomme granny-smith,
artichaut et autres éléments que j’ai malheureusement oubliés…
Nouvelle assiette appelée « courge et chèvre » qui s’avéra
être à nouveau une splendide association de saveurs automnales avec la courge
butternut, la châtaigne, le fromage sous forme de lait de chèvre, quelques
champignons dont des chanterelles et trompettes de la mort, un peu de menthe et la très surprenante « couille
de bouc » qui ressemblerait à du ris de veau encore plus fin.
On ajoute
pour terminer un jus de lard fumé pour apporter une touche délicieusement fumée
au tout. Visuellement ce plat est une magnifique composition automnale.
Piet à ce moment commence son dressage pour le plat suivant qui est un jeu
de mots… « Cut the crab »…car effectivement il s’agira de crabe mais
l’expression en changeant une lettre signifie "arrête ces conneries"… Ici encore on
jouera avec abats et éléments marins. Les abats comme la cervelle de veau et la
langue seront déposés sur un crâne !
Arrive
ensuite sur une assiette une carapace de crabe, un beignet de crabe mou, du
crabe, de la blette, un morceau de chou grillé, du brocoli, du radis. Les
morceaux des abats seront ensuite ajoutés sur le dessus et l’on versera un jus
crémeux et mousseux travaillé avec de la choucroute pour ajouter une touche
légèrement acide.
Comme je m’étonne
des aspects mousseux des sauces qui ne sont pas des espuma, Piet m’invite à
visualiser le montage de l’une d’entre elles.
Je découvre que ses sauces sont souvent montées avec un émulsifiant
appelé « Sucro » souvent utilisé au Japon qui est un dérivé du saccharose
et qui permet de préparer des émulsions et obtenir des textures aérées.
Seconde
bouteille avec une syrah de la région du domaine Grangeon avec des arômes de
baies noires et un fin goût de réglisse qui s’harmonisera parfaitement avec le
plat principal.
Je parlais
de « plats signatures » au début et disais que ce n’était pas
vraiment le style de Piet que de toujours servir les mêmes plats, à une
exception près, le «Moambe ». Mais attention…cela n’a presque plus rien
avoir avec le même plat que j’ai dégusté au mois d’avril dernier. Ici il s’agit
de la « version 5.0 » ! Ce plat d’origine africaine a
complètement été repensé et si l’on compare déjà le visuel de l’époque vous comprendrez tout de suite l’énorme travail qui a été accompli et l’évolution
du dressage. Une assiette plus aboutie, des saveurs plus subtiles, de nouvelles
associations. Du rouget presque cru, de la crème de banane mais aussi un petit
hamburger de poulet cuit au barbecue. On y trouve également un lait de feuilles
de coriandre et du « kroepuk » de riz. Un plat repensé…qui en fait n’a
plus que le nom de semblable.
Ce qui
sera considéré comme étant le plat principal sera intitulé « la chasse au
pigeon des vignes ». Celui-ci arrive encore rosé sur du bois brulé qui
apporte à la chaire un agréable côté fumé. Ce bois très solide provient du genévrier et s’appelle « cade »
dont on extrait une l'huile très prisée en cosmétique en raison de ses vertus
cicatrisantes. On y a associé un élément marin, le supions grillé. Cet
extraordinaire pigeon est ensuite placé sur une assiette sur laquelle se trouve
une purée de persil tubéreux, girolle, ensuit l’on verse un jus réduit de
pigeon avec un peu d’encre de seiche, vinaigre de canneberge, quelques boules
gelées de yaourt et du cèleri rave.
Dans un
morceau de bois…un jus de cèleri rave fumé associé avec des morceaux de boudin.
Un met principal plein de finesse, avec des saveurs profondes et équilibrées.
Retour à
la Belgique avec un souvenir d’enfance, le vol-au vent. Réalisé avec des
écrevisses, sot l’y laisse et champignons. Le nom « vol-au-vent » est
à l'origine le nom du vidé en pâte feuilleté dans lequel on présentait des préparations
de ce type. En Belgique la dénomination « vol-au-vent » désigne
maintenant le plat dans son entièreté, un vidé farci d'un mélange de poulet, de
boulettes, de champignons et parfois, dans sa version plus luxueuse, des
ris-de-veau. En Belgique on y incorpore parfois des crevettes grises ou des
queues d’écrevisse comme ici.
J’apprécie
les fromages mais souvent sont de trop dans la plupart des menus importants. Rares
sont les chefs qui osent créer un plat autour d’un fromage et voici l’une des
plus grandes réussites que j’aie eu l’occasion de déguster. Une faisselle, avec
de l’oseille finement ciselée, des figues marinées, de l’andouillette et une
cacahouète reconstituée à partir de la pâte. Des saveurs douces, un fromage
avec également les saveurs des essences nucifères.
En fin de
repas, les desserts….Et quels desserts ! Le premier est assurément l’association
la plus téméraire qu’il m’ait été donné de déguster et probablement étonnera
plus d’une personne ! « La bouillabaisse » !
Un dessert
à base de poisson ! Oui vous avez bien lu… C’est cela le génie de Piet…
arriver à créer un dessert totalement surprenant, fabuleux, en utilisant des
éléments qui a priori seraient totalement incongrus pour la plupart des cuisiniers.
Tout joue sur les dosages, la préparation de chaque ingrédient pour tout d’abord
éviter que ce dessert aie un goût poissonneux mais aussi pour que cela devienne
quelque chose de gourmand et de sucré ! Une base de saumon, un dashi qui a
servi de marinade qui est à la base réalisé avec des algues, même de l’ail fermenté
et une crème glacée au safran. L’assiette et tout simplement magnifique et je
vous garantis que je n’aurais jamais pensé qu’il y avait des composantes
marines dans ce dessert… Impressionnant !
Second
dessert qui arrive sur un plateau de cailloux dont un des coins fume. Un
mélange odoriférant proche des odeurs de myrte. Ce dessert s’appelle « Kampvuur »
qui signifie feux de camp et la structure représente eh bien….un feux de camp !
De la glace aux betteraves rouges au centre, du chocolat en morceau taillé au
dernier moment qui a été enfumé pour conférer cette odeur si particulière, du crumble de speculoos, de la mousse de chocolat
blanc, des mures et du lard fumé ! L’ensemble est assez spectaculaire avec
diverses saveurs douces et fumées en bouche.
Comme
mignardises, nous terminerons avec les traditionnels saucissons de chocolat qui
se déclinent en versions ; morille-banane, betterave-laurier,
boudin-pommes, noix-romarin et orange-safran.
Quelques
bouchées finales avec entre autres un ananas marin, gel kalamansi et sans aucun doute d’autres
éléments que j’ai oublié à ce moment du repas…
Pour continuer
un « shot » de grenade au thé aux fleurs de Samba, zeste d’orange. Il
s’agit d’un mélange séché réalisé avec
des fleurs d'hibiscus, de morceaux de pomme, d'écorces de cynorrhodon et
d'orange, de fleurs de bleuet et de fleurs de souci, d’arômes de mangue et de
fruits tropicaux.
Des tranches de gaufre fumées au barbecue avec des cèpes
également fumées sur le dessus et une préparation à base de framboise.
L’apothéose
dans les mignardises….
Un repas
chez Likoké est une expérience unique, une aventure de quelques heures
totalement déroutante avec un chef qui se remet en question et qui explore de
nouvelles combinaisons de saveurs, de textures et d’ingrédients. On en ressort
éblouis par autant d’audace et de conviction car Piet n’est pas un cuisinier
comme les autres, il est avant tout un créateur qui respecte les produits de la
région dans laquelle il se trouve mais en chamboulant la donne avec grande
réussite des associations téméraires de ces magnifiques produits. Je ne peux que me réjouir de ma prochaine
visite…
Likoké
7 Route de Païolive
07140 Les Vans
France
+33 627 83 98 57
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