Voici
encore l’un de ces moments magiques que l’on peut vivre à Istamboul, un moment
où l’on rencontre des personnes qui ont le feu sacré, un homme qui devient en
peu de temps presqu’un ami. Rashit Özsüt
est le patron d’un petit établissement de Karaköy qui m’a demandé pas mal d’efforts
pour être trouvé. Son établissement appelé « Karaköy Özsüt » s’appelle
en réalité « Haci Hasan Fehmi Özsüt »
mais les habitués l’appelleront du premier nom.
C’est relativement simple de le trouver si l’on sait…et que l’on ne se
fie pas à l’adresse de la rue d’à côté qui s’appelle Kemankeş Mah. Il
faut prendre à droite au bout du pont de Galata en regardant la tour et sur le
premier square, l’établissement se trouve au coin.
Voilà un siècle
an pour an que la famille Özsüt possède
cet établissement qui de l’extérieur ne se distingue d’aucun autres
établissements de la rue ou du quartier.
Un café, une cafétéria, un snack, un
peu de tout cela à la fois. Les travailleurs passent devant, y prennent un
petit-déjeuner ou alors un rapide repas de midi mais on y viendra pour
principalement les desserts comme des puddings et son fabuleux « Kaymak » et je
pèse mes mots en disant fabuleux…
Un petit
café avec quelques tables en bois, une banquette murale et une série de photos
et de portraits qui intriguent et qui en disent long.
Des photos
avec le café il y a bien longtemps et même un parent posant élégamment habillé
devant la devanture.
Cette
famille Özsüt possède à la campagne une
ferme où ils élèvent des buffles d’eau que vous pourrez justement voir dans des
photos encadrées contre une sorte de mezzanine. C’est donc à Sariyer au nord d’Istamboul
que furent initialement élevés ces animaux mais aujourd’hui, l’élevage se fait
plus au nord non loin de la mer noire à Tekirdag.
Rashit avec
une veste blanche comme un cuisinier est là tout souriant, heureux de pouvoir
échanger quelques mots et ensuite de raconter son histoire, sa vie, soit en anglais soit en allemand car
ce-dernier a séjourné à une époque en Allemagne. Il va vous parler de sa famille,
de sa femme, de son établissement malheureusement peu fréquenté par les jeunes
turcs qui préfèrent aujourd’hui les « fast-food », puis de son
élevage mais surtout de la manière dont il prépare son dessert. Un personnage
avec une forte personnalité, quelqu’un d’heureux, radieux et souriant.
Il sera ravi
de nous présenter son père, son oncle, son frère sur de vieilles photos où l’on
peut encore voir ces personnages porter le « fes », une coiffure
rouge de forme conique mais plate sur le dessus, porté à l’époque Ottomane ;
personnages qui auront démarrés ce café en 1915 où l’on sert donc ce fameux « Kaymak ».
Il s’agit d’un
dessert réalisé à partir du lait de buffle. Celui-ci est cuit une première fois
à 85 degrés laissant intentionnellement quelques
bactéries et ensuite refroidis pendant une nuit, puis recuit une seconde fois.
Après le second refroidissement, on enlève la couche supérieure du produit. En
anglais cela s’appelle de la « clotted cream » et en français, la
meilleure traduction que j’ai pu trouver, le babeurre ou peut-être la crème
caillée. Enfin quelque chose entre le beurre et de la crème fraiche épaisse
avec une légère acidité.
Produit
biologique que l’on peut observer derrière la vitrine réfrigérée accompagné d’autres
dérivés du lait de buffle comme par exemple son fromage frais. Le « Kaymak »
y est présenté comme des rouleaux de cette crème que l’on récolte sur le lait.
Préparé selon les anciennes traditions et selon la recette de son grand-père.
Mais avant
de le déguster, Rashit nous amène tout d’abord quelque chose de totalement
nouveau ; une noix confite. Il s’agit de noix vertes qui sont encore
molles que l’on fait bouillir dans de l’eau chaude et qui ensuite sèchent au
soleil. Elles sont ensuite conservées dans le miel. Un fruit confit vraiment
délicieux qui pourrait accompagner quelques desserts.
Le « Kaymak »,
on le sert avec du miel qui se soit d’être parfait pour un tel dessert et ici
il est simplement formidable. On peut le manger avec du pain au petit-déjeuner
ou simplement comme un dessert comme aujourd’hui. Servi sur une assiette,
Rashit fait dégouliner le miel sur celui-ci avec un de ces instruments de bois
prévus à cet effet.
Une
expérience vraiment inoubliable car en bouche on appréciera le côté crémeux et délicat du « keymak »
avec sa légère acidité, avec le goût fleuri et doux du miel.
Rashit Özsüt est l’un des derniers personnages
qui prépare ce produit à Istamboul selon la tradition avec du lait frais
provenant de sa ferme. Un produit qui risque de disparaitre lorsqu’il prendra
sa retraite car il faut être passionné et focalisé sur la qualité pour un tel
degré de perfection. Il ne sert pas sa clientèle dans le but de s’enrichir mais
sans aucun doute pour honorer son histoire et surtout pour contenter sa
clientèle qui se réjouit continuellement de déguster son produit. Un moment
exceptionnel aussi bien au niveau gustatif qu’humain.
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