J’apprécie
varier les types de tables et naviguer des tables étoilées aux lieux plein de
charme ou simples et ce soir mon choix fut une des grandes tables étoilées de
Barcelone, « Cinc Sentits » que je n’avais pas encore eu l’occasion
de visiter. Choisie car je souhaitais ce déplacement visiter des chefs de la
cité Catalane responsables de leur établissement et qui sont en cuisine. Non
pas les secondes tables de chefs qui ont délégués leur savoir-faire à une
brigade probablement très compétente.
Il me
tardait de découvrir la cuisine de Jordi Artal une des grandes
figures de la cuisine Catalane, autodidacte qui commença à cuisiner pour des
amis lorsqu’il se trouvait à la fin des années 90 à San Francisco, car à la
base il était un technologiste. Réputé pour sublimer la cuisine de sa région en
utilisant les meilleurs produits bio et en revisitant des recettes séculaires et celle de sa mère afin de réaliser une
cuisine catalane contemporaine.
Avec sa sœur Amèlia il revient à Barcelone après la bulle internet des
années 2000 et décide d’ouvrir en 2004 son établissement dans le quartier de
l’Eixample. Jordi en cuisine et Amèlia comme gestionnaire du restaurant et
sommelière. Une
étoile obtenue après consécration en 2008.
C’est donc dans la rue aribau que vous trouverez cette table avec une
entrée plutôt assez moderne comparé à l’immeuble dans lequel elle se trouve.
L’intérieur est très chic avec ce décor très soigné et ces lumières
tamisées. Des tables recouvertes de nappes blanches, des bouquets de fleurs, une
ambiance feutrée, un endroit idéal pour une soirée romantique.
Les menus
nous sont apportés d’une manière très originale, comme des abat-jour autour d’un
tube métallique. Il nous est expliqué que ceci est censé représenter comment la
maman du chef s’éclairait dans le temps
en Catalogne. Nous choisirons le menu appelé « Gastronomique ». L’abat-jour
du milieu peut-être ou non allumé si l’on souhaite ou non…connaitre quels
seront les ingrédients servis.
Pour tout
de suite être dans l’atmosphère, on nous amène un « shot » à base de
sirop d’érable, crème fraiche et sabayon de Cava. Probablement que l’utilisation
de ce sirop est liée au fait que Jordi Artal connait bien les produits
canadiens, car ce dernier est né à Toronto d’un père canadien et d’une mère
catalane. Toujours est-il que cette probable ode au Canada est absolument
délicieuse avec les diverses strates chaudes et froides sur lesquelles on
retrouvera une pincée de sel de rochers. Des saveurs sucrées, salées,
crémeuses, mousseuses, remarquable…
Puis nous poursuivrons
avec le « vermouth » qui est en Catalogne cet apéritif que l’on
accompagne de petit tapas. Arrive un
plateau avec une série de bouchées que l’on déguste normalement selon une suite
logique.
Les olives
gordal farcies et marinées maison. De grosses olives vertes juteuses et
charnues qui poussent vers Séville a Alcalá
de Guadaíra y Utrera. Une texture ferme, un goût subtil grâce à la marinade et
surtout la farce à base d’une compote de citron.
Une Tuile d’amande
« Marcona ». Cette amande surnommée le « bijou des
amandes » est considérée comme la reine des amandes à travers le monde
entier. Il s’agit d’un fruit court, rond comme un cœur, cette variété d’amande
est très appréciée pour sa saveur douce et sa texture croquante. Ici travaillée
comme une tuile et farcie avec une pâte d’amande.
Le pain à
la tomate avec jambon Josélito. Le pain de cristal est frotté avec des tomates
et recouvert de ce jambon très réputé et ensuite recouvert de microbulles d’huile
d’olive.
Une
brochette de Poulpe grillé, déposé sur un carré de pomme de terre et saupoudré
de « pimentón », sorte de paprika légèrement
fumé.
Des Coques
sauce « espinaler » présentée dans une boite de conserve. « Espinaler »
est une marque de sauce
élaborée avec du vinaigre, du paprika et autres épices.
Un Toast d’anchois
et poivron fumé. Une bouchée qui arrive sous une cloche dans laquelle se trouve
de la fumée qui confère une saveur très particulière mais délicieuse au tout.
Le poivron réduit comme une compote est déposé sur l’anchois roulé.
Leur
interprétation des « patatas bravas » qui sont des chips de pomme de
terre que l’on trempera dans un aïoli pimenté.
Une série
de magnifiques amuse-gueules pour démarrer ce repas, réalisés avec les
meilleurs produits qu’il soit.
Nous enchainerons
avec le tapas qui s’avère être une huitre du delta de l’Ebre, citron, espuma d’eau
de mer, fleurs aromatiques. Le Delta de l'Ebre est connu pour la qualité des
moules et des huîtres qui y sont produites. ll s'agit de l'huître plate du
Japon, plus petite que l'huître normale mais d'une saveur plus intense et qui a une chair fine et goûteuse. L’ajout de cette
mousse et des saveurs citronnées en font quelque chose de très délicat en
bouche.
Nous nous
verrons servi ensuite d’excellents pains, le premier aux oignons et le second
nature, accompagnés d’huiles d’olives expressément produites pour le
restaurant.
Nous
continuerons avec les légumes écologiques, yaourt d’herbes fraiches, fleurs
aromatiques. Un plat qui n’est composé que de jeunes légumes frais savamment
assemblés comme l’on pourrait un peu trouver chez Michel Bras et son « gargouilllou
de légumes » ou même le « Satio
Tempestas » de Frantzen à Stockholm. Chaque légume à son goût bien distinct,
certains sont légèrement vinaigrés comme la betterave rouge. On y trouvera
entre autre de l’asperge, des pois mangetout, de jeunes oignons. Quand les
légumes sont sublimés comme ici, on ne peut que se délecter.
Un des
plats les plus magiques fut ce que l’on appelle souvent un « plat
signature » en tout cas dans les pays anglo-saxons, le foie-gras
« coca ». Il s’agit d’un
rectangle de foie-gras caramélisé sur un lit de poireaux confits dans l’huile
d’olive et vinaigre de Chardonnay, le tout assemblé comme un toast. La
« coca » catalane est une sorte de pain préparé avec de la farine, d'eau et parfois
d'huile d'olive. Sur le dessus de ce met, de la ciboulette finement tranchée et
quelques grains de sel qui ajoute quelques saveurs. Sur le côté une quelques gouttes d’un
sirop de raisin Pedro Ximenez complètent cette magnifique assiette. Ce qui est
remarquable c’est que année après année, je découvre de nouvelles manière
d’apprêter cet ingrédient, ici de manière sublimée.
Premier
produit de la mer avec la Noix de Saint-Jacques, topinambour, oignon, jambon
ibérique. Celles-ci est snackée, est encore moelleuse à l’intérieur, déposée
sur une délicieuse purée de ce « légume oublié » dans laquelle on
perçoit le beurre et la crème. Sur le côté une gouteuse sauce à base d’oignons
qui ressemble en fait à un sirop et un chips de jambon.
Un poisson
avec le « Denté » sauvage, fumet fumé, pomme de terre et oignon. Un
poisson de rochers de la famille du pagre. Son corps assez haut et comprimé
ressemble à celui de la daurade avec une tête plus grosse. Il possède
une chair ferme et d'un goût excellent, rehaussé intelligemment par
un fumet de poisson fumé. Il est déposé sur quelques tranches de pomme de terre
et recouvert d’oignons croustillants. Un poisson parfaitement cuit et une
recette inspirée des plats de poissons catalans.
En met
principale, la Poitrine de Pigeon d’Araiz, poire au vin rouge. Un pigeon d’élevage de Valtierra en Navarre nourri aux
céréales, qui est fréquemment utilisé par les grands chefs. Il est simplement servi
rosé accompagné de fines tranches de poires encore légèrement croquantes, au
vin. Ce pigeon est d’une irréprochable qualité et la cuisson est parfaite.
On se
demande avec le plat précédent pourquoi l’assiette est trouée… C’est à notre
grande surprise que l’on découvre qu’en dessous il y a une suite… Le haut de l’assiette
est enlevé et l’on se retrouve avec le Foie en croquettes ainsi que ses cuisses
en faux riz. Ces croquettes sont délicieuses et se marie parfaitement avec ce
mélange d’épeautre, de céleri branche et les cuisses découpées en fins
morceaux. Une façon très inattendue de servir ce pigeon ; des saveurs
classiques maitrisées pour un très bon plat.
Premier
dessert appelé Citron, crème, biscuit, glace, granité de cava. Une crème de
citron au fond, le granité pour une touche plus acide et fraiche, la glace
citron très crémeuse, et un biscuit pour ajouter une texture.
Un second dessert
réalisé sur le thème du lait, avec une glace au barbecue avec son côté un peu
fumé, du croquant de lait, un lait caramélisé, et du papier en yaourt. Il y a
quelque chose de proche des saveurs du « dulce de leche », confiture
de lait dans ce dessert.
Et pour
terminer, Le dernier péché, chocolat tiède, glace à l’huile d’olive et pain
croustillant. Cette association marche à merveille. Inspiré d’un classique
dessert catalan, l’association du chocolat, de l'huile d'olive et du sel
remonte loin dans le temps. Selon certains historiens, suite à la Seconde
Guerre mondiale, lorsque des ingrédients de luxe tels que le chocolat étaient
strictement rationnés, les Catalans faisaient fondre un morceau de chocolat, l'étalaient
sur du pain grillé et saupoudraient d’huile d'olive et d’un peu de sel sur le
dessus pour un sucré-salé. Plusieurs Chefs d'avant-garde ont repris l'idée et transformé
cette recette comme ici.
Et
finalement, une bouchée ludique, le Tube de « galleta Maria ».
Présenté comme un tube de dentifrice, on aspire cette texture préparée à base
de biscuit assez proche du petit-lu que l’on consomme également en Amérique
latine.
Un premier
vin blanc avec un Gessami 2013 D.O. Penèdes de la maison Gramona. Des cépages
Muscat et Sauvignon blanc. Un vin avec
une robe jaune pâle, très beau gras. Des arômes de fruits exotiques, de citron
vert et de clémentine.
Et une
bouteille de Aspriu 2009 D.O. Penèdes de la maison Pardas. Un mélange de
Cabernet Franc et Cabernet Sauvignon. Fruité, équilibré, minéral, élégant et de
la structure.
Le service est exemplaire, amical
et attentif, rondement mené par un des
chefs de salle, sommelier au français parfait et une connaissance très précise
des mets et évidement des vins.
La cuisine
de Jordi Artal est d’une grande subtilité, finalement assez classique, car incomparable a aucune des autres cuisines
que j’ai eu l’occasion de tester en Catalogne et surement peu semblable à celle
de Ferran Adria qui a engendré une série de chefs qui s’inspirent un peu trop
du maitre. Au plus proche l’on pourrait penser à Carme Ruscalleda si l’on
essaie de faire une comparaison. Sa cuisine est brillante car se base sur de
magnifiques produits, ingrédients et non des techniques farfelues ou chimiques
comme c’est souvent le cas dans d’autres établissements…
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