Cela
faisait des mois voire même plus que je souhaitais découvrir la cuisine de Kemal
Demirasal qui me semblait être absolument proche du rêve du moins en parcourant
déjà son site mais aussi suite à quelques rares articles parus ci et là.
Principalement sur des sites turques, mais rédigés par la plupart du temps des
anglo-saxons qui ont créés une certaine vague d’excitation dans le monde de la
gastronomie. Quelque chose me disait que cette table devait être au-delà de
tout ce que l’on peut imaginer du moins dans un pays comme la Turquie où la
gastronomie de haut vol n’a pas encore atteint son firmament et que les médias
européens n’ont pas encore vraiment découverts à part quelques exceptions que
j’ai déjà mentionnée dans mon billet sur « Neolokal » d’il y a
quelques jours.
« Alancha »
est au départ une table ouverte en mai 2013 qui se trouve entre Izmir et Cesme
sur la côte égéenne, plus précisément à Alaçati
qui fut à une époque un village grec et aujourd’hui une fameuse station balnéaire sur la mer Egée. Le nom étant à l’origine la seule forêt de
pins de Alaçati ou se trouve une clairière dont le nom turc est justement « Alancha ».
Un chef
autodidacte, six fois ancien champion de windsurfing, qui n’a pas spécialement suivi d’étude de
gastronomie et par conséquent n’a pas de trophée à brandir. Mais que cela ne
tienne, quand quelqu’un à du génie en lui, papier ou non, on peut s’attendre à
quelques chose d’exceptionnel. Un chef qui s’inspire selon ce qui se dit des
concepts ou méthodes scandinaves peut laisser pensif mais si l’on pense à
associer produits, nature, saisons, saveurs nouvelles et compositions
innovantes tout en appliquant cela de manière locale, cela peut donner quelque
chose de plus que remarquable. Un des secrets étant que ce chef est parti deux
années sur la route afin de découvrir les 50 meilleures tables du monde… Certes
il y aura des moments qui probablement le marqueront mais j’aurai tendance à
m’imaginer que c’est avant tout une démarche qui était recherchée et non pas
une réplique.
Une cuisine
d’inspiration locale, Anatolienne mais également avec des influences grecques
et nordiques comme précédemment relaté. Chaque plat étant une œuvre car on y identifiera une recette soit
revisitée, soit transformée. Des associations terriennes et marines qui
émerveillent à chaque moment le foodiste sérieux le plus exigeant et peut-être
même le plus blasé…
Si vous ne
passez pas par Alaçati, vous aurez néanmoins l’opportunité de vivre cette
expérience à Istamboul. Son second restaurant vient récemment d’ouvrir depuis
fin février de cette année dans ce que l’on appelle la « Maçka Residence »,
en réalité une des offres de l’hôtel Kempinski pour des appartements privés
dans la zone de Maçka du quartier de Nişantaşi. Soyez sur que
votre chauffeur de taxi connaisse l’endroit car non seulement le lieu est un
peu difficile à trouver mais surtout cette résidence n’est pas toujours connue
des locaux.
Un bâtiment aux allures très modernes et peut-être inspiré des constructions
que l’on pourrait trouver à Copenhague avec une esthétique assez épurée. Une décoration d’un célèbre designer local appelé Gürcan Dere.
Néanmoins, on aurait pu s’attendre à trouver un tel
établissement dans un hôtel un peu décentré ou alors dans un grand jardin, voir
le long du Bosphore. Eh bien non, « Alancha » occupe deux niveaux de
cette résidence un peu sur les hauts de la ville.
Une entrée entre de massives colonnes, quelques oliviers dans de grandes
jardinières boisées, sur l’un des côtés, une terrasse associée à un bar et la
seconde table du lieu où l’on sert de manière moins formelle quelques assiettes
ou même un menu. « Alancha Beets », serait si l’on veut le gastrobar.
C’est d’ailleurs là que vous serez accueilli et prendrez un verre. Une
agréable terrasse sur un deck de bois avec un mobilier assez design.
A l’intérieur, ce gastrobar dans une pièce très contemporaine, avec un haut plafond, un bar face à un ensemble de
tables de bois plutôt originales car surélevées ou alors une grande table pour
groupes. Et à gauche du bar qui ressemblerait à un laboratoire de petit chimiste,
un ascenseur qui vous amènera au premier étage, sur la mezzanine qui conduit à
la partie gastronomique appelée « Alancha Tasting ».
Cette grande salle avec ses lumières suspendues depuis le haut plafond
et les plantes type fougères qui pendent sur les murs a beaucoup de charme et
de fraicheur.
Il ne faudrait surtout pas manquer de prendre un cocktail pour démarrer
une soirée ici pour maintes raisons et tout d’abord pour la « mixologie »…
Ce fut la première
fois que je vécu une expérience sensorielle dans un bar. « Alancha »
offre une approche qui est assez unique avec un choix de breuvages amenant des
sensations comme nulle part ailleurs. On parle ici de « mixologie
culinaire » avec des cocktails associant divers arômes et garnitures ;
parfois salés ou sucrés, avec de la
mousse ou de la fumée, de la douceur ou
de l’amertume et tout cela avec d’impressionnantes présentations. Des associations
magiques pour les palais ouverts d’esprit et les personnes qui apprécient
l’expérimentation.
« Alancha »
s’est donc associé avec un « mixologiste » au nom de Göksel Güleç qui depuis 1997 propose une approche innovante
de la manière de concevoir des cocktails que l’on peut trouver sur son site
« The Cooktail Master ».
Une recherche continue sur les associations et techniques telles que le fumage,
le brassage, l’utilisation de sel aromatisés, de produits de
saison et locaux.
Ce qui nous
amène à recevoir une carte avec une impressionnante série de breuvages. Un
cocktail appelé « Bubble « à base de cachaca au piment, citron vert,
cardamone, clou de girofle et concombre. Arrive à mon grand étonnement un verre
fumant autour duquel se trouve une poudre d’hibiscus salée comme pour une
margarita mais ici acidulée, une mousse très légère de concombre sur le dessus
et l’association des jus et alcools ensuite. Le plus surprenant sera de trouver
un caviar de concombre apportant une texture à cette boisson légèrement amère,
salée, sucrée et acide. Une grande harmonie en bouche.
Le second
incroyable cocktail aura pour nom, l’Espadon. A base de tequila à l’hibiscus
donnant cette couleur violacée, de liqueur d’orange, de clou de girofle et de cannelle. Un registre de saveurs exotiques
totalement différentes, très axées sur les épices boisées et une acidité bien
équilibrée.
Et comme
grignotage, rien de banal mais de délicieuses amandes fraiches sur un lit de
glace pilée. A ce moment lorsque l’on voit la subtilité, la beauté et les
saveurs de ces cocktails on ne peut que devenir encore plus impatient de
découvrir la suite…
L’hôtesse
vous accompagnera vers l’ascenseur et appuiera sur le bouton du premier pour
vous… Seconde surprise à l’ouverture de la porte… L’ensemble de l’équipe de
cuisine vous attend pour vous souhaiter la bienvenue… Ce qui est plutôt amusant
et vous constaterez que tous les hommes ont le même look à savoir celui de
hipster… Aucune arrière-pensée…c’est tendance…
Une équipe en cuisine répartie
sur les deux lieux avec entre autre un personnage important comme Murat
Deniz Temel qui fut le premier turc à
travailler chez NOMA et à faire également des stages chez Relae et même chez
Alex Atala de D.O.M. au Brésil.
Une rapide
traversée de la cuisine très moderne et vous voici dans la salle principale. Un
lieu très zen avec un ensemble de tables très espacées, des jeux de lumière
savamment étudiés, très subtils et
romantiques afin d’avoir un peu l’impression d’être comme dans un rêve. Ce
décor moderne et épuré est très réussi mais aussi un peu presque inquiétant par
son côté mystérieux. Les tables ne sont dressées qu’avec le strict minimum, verre
et serviette.
Sur l’une
des parois, une bibliothèque en bois naturel sur laquelle vous verrez un
certain nombre de plantes vertes tombantes semblables à des fougères, conférant
au tout un côté très nature ; ce qui est assurément recherché.
Et sur un
autre mur, des vases, pots avec des plantes qui nous laisseraient penser que
nous sommes presque dans un magasin de fleurs et de plantes ou peut-être dans
un jardin botanique.
Rien n’est
laissé au hasard car la musique est parfaitement sélectionnée et oscillant
entre chillout, downtempo et ambiant ou même des balades.
Comme nous
sommes en été, ce soir cela sera la terrasse où le repas sera servi. Peut-être
pas la terrasse que j’aurais pu m’imaginer car plutôt presque rudimentaire et
assez épurée comme le reste d’ailleurs.
Retour en
cuisine que nous avions rapidement traversée car cette dernière est
particulièrement belle avec ces associations de métal, poutres et semblant de
vieux murs. Même ici les éclairages sont très soignés.
Comme le
nom de l’établissement l’indique « Alancha Tasting »,
il s’agit d’un menu de dégustation à 240 TL qui peut s’associer avec
soit des vins, soit même avec des jus de fruits. Intitulé « la grande
migration », il s’agit d’une vingtaine de plats d’origine anatolienne mais
associés aux interactions avec divers
peuples, peuplades, civilisations et cultures telles que la Grèce, la Perse,
les Minoéns, les Phéniciens, les Ottomans, les Balkan,
les Seldjoukides et pour finir les Moloques.
Un menu qui
sera une succession de sensations les unes plus fortes que les autres et qui
commence par une suite de petits entremets avant les entrées comme un surprenant
bouillon de pleurotes fermentées et huile de citronnelle. En même temps
rafraichissant malgré que cela soit chaud, léger et subtilement parfumé. Une
manière de préparer le palais des convives.
Une
magnifique assiette nous est amenée avec comme principalement ses couleurs
blanches et noires. Une idée géniale que
de servir des feuilles de vigne séchées farcies avec un houmous et sur
lesquelles l’on trouvera des brisures de pignons. Généreux en bouche et avec des
textures inhabituelles pour des feuilles de vigne.
Et comme
troisième amuse-bouche, une innovante interprétation du poulet à la
circassienne qui est de la chaire de
poulet pilée mélangée avec du yaourt et des noix. Transformé ici en une sorte de
cromesquis passé à la friture et saupoudré de poudre de champignons fermentés.
Ensuite le
pain fait sur place nous est amené, accompagné d’une crème de fromage de chèvre
de Tulum saupoudré d’un peu de piment, d’huile d’olive, en lieu et place d’un
beurre conventionnel.
La première
entrée est à ce jour l’un des plus beau plat qu’il m’eut été présenté depuis le
début de cette année, tellement il y a derrière celui-ci une très grande réflexion
avec un résultat totalement bluffant. Il s’agit d’un plat traditionnel appelé « Buğday
Aşi » qui signifie « soupe
d’orge » et qui est né il y a plus de 12000 ans en Anatolie. Le symbole de
la transition de la vie nomade en vie sédentaire, le passage du paléolithique au néolithique. A la base, une soupe de yaourt
au riz ou au blé et même orge.
Totalement revisitée, cette soupe est ici froide, composée d’une très
ancienne sorte de boulgour appelé Siyez non
loin de la mer noire, de gruaux de sarrasin fumé, de jeunes pousses de
lentilles, de pois-chiches, yaourt et de l’huile mentholée, inspirée par des
recettes millénaires du centre et de l’est de l’Anatolie. Le plus impressionnant
est que cette soupe est servi dans un grand bol de glace solide amené individuellement
et déposé comme une assiette à soupe. Une extraordinaire fraicheur en bouche,
des saveurs végétales, fumées, acidulées qui se marient à la perfection et sans
jamais donner l’impression de déguster quelque chose de trop céréalier.
Absolument époustouflant de précision.
Comme il n’existait
aucun services sur la table notre serveur nous aura amené une boite où dans
laquelle vous trouverez une série de cuillers et fourchettes pour chaque met.
Nous
poursuivons avec la « Brise Egéenne ». Pendant la période d’été, sur la côte égéenne
on sert principalement des mezzés. Le plus souvent des salades avec les
meilleurs légumes imaginables comme par exemple des tomates ou alors une purée
de fève, et encore du Christe-Marine aussi appelé fenouil de mer blanchi, du
fromage frais. Ce plat est un hommage à ces mezzés avec comme but d’associer
toutes ces saveurs rafraichissantes de la mer Egée dans une assiette. D’une
très grande beauté, cette assiette associera avec beaucoup de fraicheur donc,
des tomates très douces, une sauce à base de fèves et fenouil de mer comme fond
et sur les côté du fromage cottage. Le résultat est un voyage gustatif qui
semble assez simple mais d’une totale perfection.
Prochain
met avec le « Zeytinyağli » qui signifie « fait avec de l’huile d’olive.
Dans la culture anatolienne, les mères, grands-mères ou épouses cuisent depuis
des générations les légumes dans cette huile. Le résultat n’est frits et ni
confit car la technique consiste à cuire lentement les légumes dans un pot avec
de l’huile d’olive et de préserver la fraicheur du produit. Un plat souvent
servi avec une garniture de riz appelée « pilaff ». Nous retrouverons
au fond de l’assiette des petits pois, des pois-chiches, de la tomate, des
carottes et des oignons, le tout recouvert d’une fine sauce montée à l’huile d’olive
et quelques brindilles d’aneth. La chips qui est réalisée avec une farine de
riz symbolise le « pilaff ».
Nouveau
plat avec les « sarma » qui normalement sont des feuilles de chou
farcies mais dont le nom est aussi
utilisé pour appeler les « dolma » qui elles sont des feuilles de
vigne farcies. En fait le mot « sarma »
signifie « rouler ». Il faut reconnaitre que de confectionner des
feuilles de vigne farcies n’est pas si simple parce que celles-ci devraient
déjà être très fines. La plupart du temps farcies avec un riz épicé et de la
viande hachée. Mais ici ce plat n’est qu’à nouveau qu’une inspiration car elle
a été déstructurée. La feuille de vigne est fraiche, la viande est devenue un
magnifique tartare découpé au couteau et parfaitement assaisonné et sur un côté
un riz épicé où l’on identifiera un peu de cannelle, des raisins secs, des
pignons et des herbes tels que du persil plat. C’est un plat remarquable et à
nouveau de grande fraicheur et plein de saveurs.
Un plat
plein de soleil arrive appelé « l’homme au maïs ». Un plat lié au souvenir des vendeurs
ambulants sur la plage et criant « maaaaaiiiiissss tennndddre…. » ou
quelque chose dans le genre. Le souvenir enfantin d’acheter et de mordre dans l’épi
avec en arrière-plan l’odeur de la mer et les vagues… Un plat d’une très grande
douceur lié à l’utilisation de grains de maïs plutôt sucrés, de crème de maïs
comme fond dans laquelle a été intégrée du fromage de chèvre Tulum de Bergama et
dessus de la coriandre en graines broyées.
Des saveurs
marines avec un intitulé « odeurs de Gallipolli ». Lieu avec de forts
vents, de grosses vagues ainsi que des courants d’eau froide et la nature….sauvage…
Gallipoli péninsule située en Turquie, dépendant de la Thrace où l’on trouve
les meilleurs produits de la mer, tels que les coques, les palourdes associés à
des herbes de plage de la région d’Anatolie. Nous retrouverons un mélange de
moules bleues, de cerises, de baies et de l’estragon qui est, il ne faut pas l’oublier d’origine d’Asie
centrale. Le tout est recouvert de salicornes, une plante sauvage de bord de
mer qui ne pousse qu'en sol salé. Une très originale et belle assiette, entre marine par le côté salé et douce avec
les fruits.
Le met qui suit restera lui aussi inscrit dans ma mémoire pour un
moment, les « sardines de Karaburun ». « Karaburun » est une
péninsule prêt du golfe d’Izmir où l’on trouve des poissons gras comme le
calamar, la sardine, le hareng et le
maquereau. Ce plat associe avec génie des ingrédients délicats de diverses
régions. Ces sardines de la mer Egée sont totalement nettoyées et levées en filet dont d’une
très grande finesse, crues et légèrement fumées-salées, elles ont une texture
bien grasse. Des asperges vertes de la mer de Marmara sont finement tranchées
et déposées en dessous du poisson. Le caviar que l’on trouve au-dessus est l’un
des plus prestigieux de la mer Caspienne. Un de ces plats uniques ou les
associations sont simplement divines.
Comme l’un
des convives n’apprécie pas les sardines, un autre plat lui fut présenté, un
poulpe avec une purée de pois chiche au citron, sauce coriandre, poudre d’orange
et ciboulette. Un autre magnifique plat tout aussi délicieux. Des associations
parfaites entre la fraicheur des agrumes du citron et de l’orange avec cette
purée. L’ajout de la ciboulette avec son bulbe grillé apporte une touche
terrienne au plat, créant un équilibre parfait avec la saveur marine du poulpe.
Nous
continuons avec le « Garum », une ancienne sauce phénicienne,
utilisée pendant les périodes étrusques
et en Grèce antique. Réalisée avec des viscères de poisson, de l’huitre
suivi par une fermentation avec du sel, on l’utilise dans un certain nombre de
plats. Quelque chose assez rapproché des sauces asiatiques style Nuoc Mam et du
concept de saveur japonais appelé « umami ». Les Phéniciens étaient
réputés pour leur commerce du sel ainsi que pour la fabrication de cette sauce.
Ici elle a été confectionnée avec des anchois et sardines fumées et salées. Nous retrouverons un poisson cuit à la
perfection ; le bar. Celui-ci recouvert de fines lamelles de radis, de
poudre séchée d‘orange et de la sauce « garum » avec un peu d’estragon
Comme les Phéniciens furent les premiers a utiliser l’alphabet, vous
remarquerez que les assiettes sont décorées de lettres. Un plat dont les
saveurs explosent en bouche.
Le met que
l’on pourrait comme principal est un kebab à la pistache. A vrais dire je me
demandais bien ce que le chef pourrait nous sortir car être créatif avec tel
plat relèverait d’un exploit. Eh bien exploit…il y a eu pour ce plat d’origine
de Mésopotamie. La viande a été hachée avec le traditionnel couteau des
bouchers turcs et mélangée généreusement avec des pistaches broyées mais
surtout la cuisson est parfaite. Présenté en un petit steak rond, il est
recouvert d’une mure bien sucrée et déposé sur cet excellent babeurre turc
appelé « kaymak ». Un peu d’épice « sumac » pour une fine
touche d’acidité. Simplement « le kebab revisité à la perfection ».
Premier prédessert
appelé « fête d’un déjeuner estival », car l’été quand il fait chaud
et que l’heure du lunch arrive dans les familles, il est coutume de découper
une pastèque et de la déguster à la main avec de la feta et quelques herbes
fraiches. Le tout a été repensé et transformé en un granité de pastèque parfumé
à la menthe sur une crème à la feta. Très
ingénieux et rafraichissant, servi élégamment dans un bol de marbre.
Un premier délicieux
dessert appelé « semolina halva ». Généralement le halva est réalisé
avec du sésame et plus précisément de la tahini. Une tradition au Moyen-Orient et
ici en Turquie des chercheurs ont
retrouvés des vases et poteries enterrés prêt de tombes datant des périodes du
début de la culture anatolienne qui contenait du halva comme cadeau pour le
défunt dans le but de mieux passer dans l’au-delà. Même aujourd’hui cette
tradition semble être perpétuée lors d’enterrement. La recette ici consiste ici
en la préparation d’un socle de semoule avec un peu de mélasse de grenade ainsi
que des pignons caramélisés, sur lequel nous trouverons une crème glacées au
fromage cottage et de la poudre d’orange.
Et pour
terminer une toute nouvelle interprétation du dessert probablement le plus
connu et apprécié du pays, le « baklava ». Un dessert qui date d’il y
a plusieurs siècles et raffiné par la suite dans les palais Ottomans. D’ailleurs
certains de ces palais pouvaient héberger environ 4000 personnes et les chefs
en cuisine provenant de diverses régions se devaient de créer de nouveaux plats
avec divers ingrédients, ce qui permit au « baklava » d’évoluer au
fil des siècles. La recette originelle était constituée de 41 fines couches de
pâte filo entre lesquelles l’on trouvait les célèbres pistaches de Gaziantep.
Ce « baklava » a complètement été repensé et allégé avec l’utilisation
d’une pâte assez semblable à la pâte feuilletée, découpée en triangle et dorée,
voir presque caramélisée, avec au centre
une très fine farce réalisée avec une panna cotta aux pistaches. Un fabuleux
classique complètement recrée.
Le repas se
termine avec quelques petits fours dont des sedums qui sont des plantes
sauvages de rocaille qui stockent de l'eau dans leurs feuilles, recouvertes de
chocolat amer avec sur le dessus du sel d’hibiscus.
Et un autre
appelé originellement « Kerebiç »
qui est typique du Liban, du nord de la Syrie et du sud de la Turquie (Mersin
et Antep). Un gâteau dont le sucre est apporté par le natef, une mousse à la
texture unique et au goût inhabituel qui provient de la racine de saponaire, une
plante courante partout dans le monde. Comme son nom l’indique, elle contient
de la saponine, un savon naturel. Le
natef est enrichi de blanc d’œufs et cannelle. Vous verrez donc toute cette
manipulation réalisée devant vous dans du nitrogène et ensuite servie sur une
serviette.
Avec ce
repas une unique bouteille de Cataratto 2014 Yanik Ulke, un vin blanc assez
brillant dont le cépage offre des caractéristiques florales mais aussi
minérales.
En ce qui
concerne le service, le personnel est
plutôt distingué, calme mais qui néanmoins manque encore un peu de précision
probablement lié à la jeunesse de l’établissement d’Istamboul. Par contre ceci
peut être excusable dans une certaine mesure lorsque l’on connait le concept de
Kemal Demirasal qui consiste à ne pas vraiment employer du personnel classique
mais d’utiliser toute l’équipe en cuisine pour venir présenter chaque plat et ce qui fut le cas. Peut-être que ce
concept aurait dû être expliqué dès le départ car franchement inattendu est
presque révolutionnaire !
Ce repas ne
s’est pas terminé de manière conventionnelle car nous nous sommes vu proposer
de visiter les annexes au rez de chaussée ou se passe la recherche, le
développement et l’innovation. Un lieu secret où l’on fait l’effort de tester
ou valider de nouveaux ingrédients et de nouvelles techniques en relation avec
le passé mais aussi le futur de cette extraordinaire cuisine. Ici tous les tests
sont menés quel que soit l’issue, réussite ou échec. Chaque jour dans ce
laboratoire de nouvelles expérimentations sont menées afin d’aboutir à de nouvelles
recettes. D’ailleurs le chef est un ami de Quique Dacosta, dont l’ouvrage se
trouvait sur une des tables de travail.
Une cuisine
d’une très grande élégance, harmonieuse, poétique, colorée et innovante. Certes on pourrait revenir à ce que je disais
en préambule lié à une forme d’inspiration nordique ou même hispanique mais en
réalité, je dirais que c’est plus un état d’esprit et jamais un plagiat quel
qu’il soit.
Tous les
sens sont en émoi lorsque l’on découvre une assiette exactement comme chez l’un
de ces chefs que je classifierais de « moderne » et non de
« techno-émotionnel » ou même pire…. « Moléculaire ». Une soirée presque spirituelle mais aussi théâtrale
avec un enchainement d’actes les uns plus intenses et émotionnels que les
autres. A aucun moment l’idée m’a effleuré l’esprit de retrouver la cuisine de
quelqu’un d’autre, j’ai eu l’impression de découvrir ce soir une nouvelle
dimension de la cuisine grâce au génial Kemal Demirasal et de surcroit une
cuisine turque qui est en train de vivre sa révolution… Une table qui a toute
sa place dans les 50 meilleurs restaurants du monde….qu’on se le dise…
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