Troisième
jour d’ouverture et nous voici dans la nouvelle « cathédrale » des
frères Torres simplement baptisée « Cocina Hermanos Torres ». Un
projet de dimension colossale qui depuis début juillet s’est réalisé,
permettant à leurs clients de montrer un rêve qu’ils avaient dans leur tête
depuis l'âge de 8 ans. Celles et ceux qui connaissent bien ces deux chefs
jumeaux cuisiniers, se rappelleront que jusqu’à quelques mois en arrière, tout
deux étaient à l’étoilé « Dos Cielos » dans l’hôtel Melia Sky. Un des
deux étoiles de la ville, une table plébiscitée dans la plupart des guides et visité
par les foodistes de l’ensemble de la planète.
On sait
qu’en Espagne et plus particulièrement en Catalogne et au Pays-Basque, on
apprécie ce que j’appelle le « show culinaire » qui prend une forme
ou une autre, entre l’utilisation de techniques aujourd’hui complètement
dépassées comme le « moléculaire » ou parfois le côté théâtral et la
mise en scène de repas. Aujourd’hui les frères Torres ont quitté le « Dos
Cielos » et ont ouvert leur propre établissement dans un ancien entrepôt
industriel de pneus de 800 m2 dans le quartier Les Corts dont on voit
encore les récents travaux ou machines devant l’entrée! Une incroyable aventure
et probablement à ce jour un concept inégalé dans le monde ; tout cela
selon les dires pour 2 millions d’euros. Sergio et Javier Torres sont en route
pour une probable troisième étoile.
Une porte
bien sombre sur une façade peinte de manière assez originale à travers laquelle
l’on devine un incroyable intérieur.
Une fois la
porte passée la première impression est très impressionnante car complètement
inattendue. Un hangar certes mais rénové
de manière complètement futuriste.
Imprégnés
par l’histoire de leur jeunesse avec leur grand-mère qui cuisinait au centre de
leur maison, ils décidèrent de reproduire ce concept, rassembler les gens
autour d’une cuisine. C’est pour cela que vous découvrirez un luxueux hangar avec
trois coins cuisine, répartis entre des tables tout autour pour 65 convives et
le tout desservi par une équipe de 35 personnes.
Trois plans
de cuisine autour desquels l’on mange, où l’on pourra observer tout au long du
repas comment la brigade traite les légumes, la viande, le poisson, les fonds
de sauces, la boulangerie et la pâtisserie. Plans qui probablement occupent 70%
de l’espace. L’idée étant également, l’échange…La relation entre client,
cuisine et salle. Un espace unique qui sans qu’on le sache est piloté par des
technologies de pointes mais évidemment n’a aucune incidence sur la cuisine
elle-même.
Une salle
très impressionnante ou en soirée l’on a l’impression de dîner sous un ciel
étoilé. Ceci associé aux deux pilotes du navire qui ne cesseront d’être
présents, se déplaçant entre les plans de travail, recevant les clients comme
des amis à la maison et qui en plus n’hésiteront pas à plaisanter avec vous.
Tout est organisé comme pour un festin et l’impression première est plutôt très
prometteuse !
D’autres
structures existent comme une cave en verre, conçue avec des feuilles de vigne,
projet écologique dans lequel les frères voulaient introduire la nature. D’un
autre côté, le bar à l’entrée où vous pouvez manger de façon informelle, une
zone de dégustation, un espace de R & D, des pièces vitrées pour la
préparation des ingrédients avant la cuisson (nettoyage, découpage ...) et une
salle de formation pour le personnel.
Une carte avec un menu dégustation qui aujourd’hui est encore à des tarifs raisonnables, à savoir 135 euros. En lisant l’intitulé des plats en et voyant le schéma qui explique ce menu, on comprend qu’il devrait s’agir d’une cuisine savoureuse, bien construite, solide, montrant le chemin parcouru par les deux chefs. Des plats qui vont des saveurs de l'enfance à la rigueur technique, de la simplicité à la complexité, sans renoncer au confort gastronomique ni au concept de modernité. Le menu est construit en crescendo et gagne en intensité, ce qui est très stimulant. Des recettes discrètes inspirées par les voyages, les souvenirs, les traditions populaires et les saveurs saisonnières.
Les sympathiques
frères passeront à table afin de nous souhaiter la bienvenue et seront présent
tout au long de la soirée.
En attendant
les premiers amuses-bouche, une flute d’excellent Cava dont je n’aurai pas
relevé le nom.
Le repas commence par des bouchées plus sentimentales que probablement gastronomiques avec tout d’abord un bourgeon de lys estival en hommage de leur mère Montserrat. Bourgeons que l’on peut aussi voir être associés sur ces probable tiges de bambou sur l’un des plans de travail. Maintenant cela reste tout de même une bouchée assez anecdotique.
Le pain et
huile d’olive sont tous deux spectaculaires, à la mémoire de leur grand-mère
Catalina, qui leur a appris à manger et à cuisiner.
Nous
poursuivons avec de l’eau de tomate gelée comme un granité, gelée de câpres, aux
concombre et sphère de céleri. Un joli visuel, la fraîcheur intense du plat est
appréciée mais les saveurs pourraient être un plus prononcées.
Puis les
graines de tournesol glacées qu'ils mangeaient en été avec leur père ... Sorte
de petit-four ou sandwich glacé au centre présenté sur une fleur de tournesol.
Un contraste
assez marqué avec la première bouchée car celle-ci est plus riche en texture.
Une magnifique
ménestra froide avec des légumes de saison biologique de leur jardin. Ce mélange
est un ragoût typiquement espagnol fait avec des légumes variés, généralement
ceux disponibles dans le jardin pendant la saison. Le nom générique de ce plat est à l’origine un ragoût de légumes
et est généralement fait avec un fond d'un bouillon de légumes auquel l’on
ajoute habituellement un ensemble de légumes coupés en brunoise : oignon, céleri. Le nom vient de la minestra
italienne qui est donc une soupe. Il y a ici 49 légumes bio dont la cuisson est
d’une diabolique précision. Un jus de basilic, quelques goutes de graisse de
jambon ibérique pour compléter. On ne pourra s’empêcher de penser au
gargouillou de Michel Bras dans cette très bonne assiette pleine de fraicheur.
Un tartare
de calmar dans son propre jus fermenté accompagné de caviar qui est un clin
d'œil au Japon et qui illustre une cuisine solide, pleine de nuances. Il s’agit
d’un consommé froid de poulet clarifié, la texture soyeuse du calmar en
quenelle al dente marinée dans du saké est magnifique et se marie parfaitement
avec les œufs de caviar béluga. Des jeux de textures qui stimulent le palais.
Le faux riz
de légumes est en fait avec de minuscules morceaux de légumes en forme de grain
de riz cuits dans un bouillon avec une sauce délicieuse. Un
succulent ragoût de légumes cuits dans une réduction avec un peu de fond de
viande. Une
jolie touche de poivre qui fait que cela soit un des rares plats au menu où le
piquant est le plus clairement apprécié.
Ensuite, des
clóchinas (moules) avec un gazpachuelo (à la base une soupe chaude avec de l’oeuf,
jaune fouetté et assaisonnée de vinaigre ou de citron ; typique de l'Espagne, en particulier de
l'Andalousie). Un voyage imaginaire à travers la Méditerranée entre Barcelone
et Valence, plat frais et savoureux, dans lequel l’on met en évidence la
finesse de la soupe et la qualité du produit avec une saveur de citronnelle.
Le plat suivant
est du saumon « kvitsoy », sagou et algues. A nouveau on se soucie de
la qualité du produit mais en lieu et place d’un produit de Norvège, j’aurais
plutôt préféré un poisson local et saisonnier comme l’on trouve en ce moment. C’est
une recette un peu trop internationale qui n’est pas trop le reflet de la
gastronomie Catalane ou d’autres régions d’Espagne. Néanmoins le poisson est
de grande qualité, juste gras comme il se doit et très bien associé aux algues
qui ajoute une touche marine en bouche. Les perles de sagou, aussi connues sous
le nom de perles du Japon, proviennent directement du tronc du palmier sagou.
Seules, elles n’ont aucun goût particulier : on les consomme
principalement pour leur texture. En effet, lorsqu’elles sont cuites, les
perles de sagou deviennent molles et translucides. Elles sont sur les algues qui
reposent dans le bouillon d’arrêtes.
Le cocido
madrileño est transformé en un plat froid plein de nuances. Il s’agit ici de pois
chiches verts, avec un jus de jambon et voile de bacon ibérique ou peut
être lard Colonnata. Un autre plat qui met en évidence l’utilisation de
bouillon, un fil conducteur du repas. Une présentation sophistiquée, un plat
classique mais ici avec une réelle touche contemporaine. Ce
bouillon à base d’une réduction de jambon est onctueux et en même temps un peu
collant.
Les pâtes
sont présentes sous la forme de ce délicieux ravioli de cuisse de cailles en escabèche. Ravioli
dans un splendide jus avec une fine touche d'acidité.
Intermède
avec de l’azote liquide avec une senteur de figue car des feuilles se trouvent
en dessous.
C’est très
souvent le plat principal qui est un ton en dessous dans les grandes tables
mais ici les frères Torres se surpassent avec cette caille sauvage accompagnée d’une
sauce à l'anguille ou plutôt je devrais dire de congre qui est aussi une
anguille de mer. La volaille est particulièrement bien cuite, la sauce est bien
travaillée, réduite juste assez, brillante et splendide, apporte le un côté
gourmand à la caille.
Retour vers
les produits de la mer avec une galette de thon juteuse dans son jus avec de
minuscules pommes de terre soufflées qui met le point final à la partie salée. Le thon (de la pèche Arrom) est cuit au vin rouge, des carottes
comme accompagnement.
Avant les
desserts, une collation de fromage frais, une crème glacée au fromage de chèvre
dans un crumble à l'avoine, présenté sur une feuille de figue.
Rafa
Delgado, le grand chef pâtissier du restaurant, est en charge des desserts.
La fleur de
lait d'amande est très bien construite, avec le produit saisonnier de référence.
Différentes
intensités de saveur et de textures, le croustillant, la glace et les amandes
fraiches elles-mêmes, en lait et en morceaux.
Ensuite les
gnocchis de pêche, le produit de saison le plus pertinent. Un dessert sucré
mais pas qui associe textures et températures. Quelques
graines de vanilles, des touches de pâte de tamarin, un sorbet aux
feuilles de pêche. Le contraste avec l’acidité du tamarin est la bienvenue.
Pour terminer,
cette version de la Forêt Noire, dans laquelle le gâteau a été remplacé par un
nuage (comme une mousse) givrée au chocolat avec des cerises en sirop.
nuage (comme une mousse) givrée au chocolat avec des cerises en sirop.
Une
mignardise appelée La joya pour accompagner l’excellent café.
Comme vins,
tout d’abord un Montsant Dido Blanc 2016 frais et avec du corps. Des notes
fruitées et une bonne acidité. Une bonne persistance et des nuances herbacées.
Suivi d’un Coma Bruna Très Old Vinyes 2015, vin de l’Emporda avec une entrée puissante, intense et savoureuse en bouche. Soyeux et charnu avec une grande présence de fruits et des notes mentholées.
Malgré le fait que cela soit le troisième jour d’ouverture, nous n’avons pas identifié de problème avec le service qui fût excellent de bout en bout.
Une très belle soirée dans un cadre définitivement unique. Pour autant que l’on souhaite classifier la cuisine de ce soir, cela sera plutôt assez difficile. Ce fût principalement des assiettes, faciles à comprendre par une large clientèle, qui aspirent à la modernité, mais qui surtout apprécie un certain classicisme renouvelé. Pas de style moléculaire si fréquent encore parfois en Catalogne, mais une cuisine finalement plutôt assez internationale dans le sens où les frères Torres ont un long parcours. Pas loin de trente années à avoir cuisiné au contact d’autres grands chefs dans le monde. On pensera parfois à des plats appréciés dans d’autres tables étoilées, les plats ont souvent un peu gommé les caractéristiques de l’Espagne et bien entendu de la Catalogne. Certains plats avaient plus d’identités que d’autres, mais on appréciera bien entendu les techniques totalement maitrisées de chaque assiette.
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