mardi 14 août 2018

The Roof, Barcelone


C’est récemment que s’est ouvert à Barcelone l’hôtel EDITION situé au bord du quartier El Born, donc au centre de la ville, non loin de la cathédrale de Barcelone et juste à côté du marché Santa Caterina. Un très bel hôtel qui évidemment dispose d'un restaurant, d'un club et de salons, de bar à cocktails dont un sur le toit avec une d'une piscine extérieure et un centre de remise en forme. Appartenant au groupe Marriott, ce nouvel hôtel a été conçu avec l’un des plus fameux designers, Ian Shrager afin de créer un établissement dans un style « lifestyle de luxe ».  Si je vous parle pour une première fois d’un hôtel, c’est surtout en raison de ce qui est entrain de s’y passer au niveau restauration et de la démarche qui a été entreprise. Barcelone est une ville où il est assez fréquent de trouver de belles tables dans certains grands hotels, certaines d’ailleurs étoilées, cependant la plupart d’entre eux proposent un peu toujours la même chose et rendent finalement l’endroit plutôt assez quelconque.

Cet hôtel EDITION a eu l’ingénieuse idée de s’entourer de probablement l’un des couples les plus créatifs et doués dans les concepts de restauration moderne mais surtout plein d’idées et avec une expertise avec peu d’équivalents. Certains connaissent peut-être déjà « Cooking in Motion », une entreprise spécialisée dans le consulting pour la restauration, dans l’élaboration de nouveaux concepts et même dans l’événementiel avec des « pop up dinner » et soirées de dégustation de sake. Un couple qui a parcouru le monde de l’Asie à l’Amérique Latine avec une fantastique culture gastronomique et des connaissances très approfondies des produits et des ingrédients.

« Cooking in Motion », c’est l’équipe que forme Sebastian Mazzola, Argentin d’origine, arrivé en 2007 avec un passage chez El Bulli, puis quelques années responsables de projets chez les frères Adria, imaginant et développant des assiettes pour 41degrees, Tickets et Pakta. Sa partenaire Sussie Villarico d’origine Danoise est en charge de l’organisation, de la gestion de la société et a également a travaillé chez Albert Adria, dans les mêmes établissements. Mais en plus de cela, elle une des plus grandes expertes en sake, passa même des examens et peut-être considérée comme étant l’une des plus grandes sommelières pour ce type de boisson, continuellement à la recherche des meilleurs produits et cherchant toujours à perfectionner ses connaissances.

Vous comprendrez pourquoi cet hôtel a eu l’intelligence de choisir ce couple pour quelques années avec un tel cursus. Responsables des trois lieux où l’on peut manger, le restaurant que je pourrais qualifier de classique, un restaurant en sous-sol pour de l’événementiel avec un concept non encore dévoilé et le restaurant du rooftop appelé « The Roof ». En charge du recrutement de tous les chefs, des concepts culinaires, du coaching des équipes, du choix de la vaisselle et le plus important de la création des plats. En ce moment tout deux sont là pour les lancements et s’assurent que tout se passe donc au mieux.

Aujourd’hui nous avons eu la grande chance de découvrir ce rooftop avec sa cuisine flirtant entre Asie et Amérique su Sud. Mais avant de vous parler de notre expérience, il faut tout d’abord reconnaitre que la restauration de la plupart des rooftops de Barcelone est plutôt très quelconque, souvent simple, sans intérêt, proposant les sempiternels burgers, bravas et autres croquettes. Il y avait donc place à autre chose dans ce type d’environnement et croyez-moi, la proposition de Sebastian et Sussie est absolument fantastique, risque de rendre le rooftop de l’hôtel EDITION comme étant le must gastronomique des rooftops de Barcelone d’ici peu de temps car nous sommes encore en ce moment en période de ce que l’on appelle en anglais « soft opening » comme d’ailleurs les autres restaurants de l’hôtel. Sebastian nous aura concocté des assiettes qui dépassèrent tout ce que l’on aurait pu s’imaginer mais avant cela, laissez-moi vous présenter l’hôtel.

Sur le côté droit du marché de Santa-Catarina, une porte boisée qui ne laisse pas supposer que nous soyons face à un hôtel. En fait il s’agit de l’entrée du bar et du restaurant, la porte de l’hôtel se trouve sur la droite, encore que l’inscription soit un peu petite. C’est probablement recherché car l’on ne vient pas par hasard ici.


Une fois la porte passée, le restaurant sur la gauche dans un style assez contemporain, confortable et pas trop guindé. Banquettes, photos noir et blanc de personnalités espagnoles ou autres dans le monde des arts. C’est un style contemporain bien pensé qui devrait plaire à tout un chacun.


Dans le hall de l’hôtel, un premier bar avec une impressionnante paroi de décoration illuminée avec un grand nombre de bouteilles d’alcool. Un accueil très souriant, on sent que le client est attendu et on se préoccupe immédiatement des ses envies.



Prise de l’ascenseur pour aller au rooftop puisque c’est l’objet de ce billet. Arrivée sur une spendide terrasse avec une vue imparable. Lieu très privilégié, deck de bois, lits pour prendre le soleil et se reposer. Cela a été fait avec beaucoup de goût.






Certains endroits sont à l’ombre pour bien entendu prendre une collation et d’autres sont plutôt propice à la détente et passer ensuite dans piscine qui se trouve sur l’un des côtés du toit. Des plantes vertes, des photophores à même le sol, un ensemble de sofas recouverts de coussins et de toile blanche, le coucher de soleil doit être un moment plus que privilégié.


Au centre le bar et coin cuisine sur la droite où seront concoctées les miraculeuses assiettes imaginées par Sebastian et le chef responsable du rooftop. A noter qu’il est prévu qu’en période hivernale, les portes coulissantes seront fermées, ce qui permettra de toujours venir passer un agréable moment pour apprécier quelques assiettes mais selon ce que j’ai compris cela sera bien entendu organisé et limité en nombre de personnes.



Parlons un peu de la carte… Basée sur les innombrables voyages de Sussie et Sebastian, la proposition est ce que l’on appelle du « finger food », des plats que l’on mange avec les mains, de manière assez informelle, combinant saveurs d’Asie et d’Amérique Latine mais dans un style très personnel. Pas de vulgaires plats « fusion » sans aucun intérêt, mais des plats d’une incroyable recherche. Je dois dire que la sensibilité gustative de Sebastian est au delà de tout ce que l’on peut imaginer ; associer un produit du Japon avec quelques ingrédients par exemple du Pérou est avec lui une remarquable prouesse. Tout ce que nous avons pu goûter fût d’une telle limpidité, clarté au niveau des saveurs que l’on ne peut que s’émerveiller. Toujours des plats puissants en saveur où l’acidité est présente, les épices sont souvent des découvertes, l’utilisation des herbes font tout leur sens, la présentation est remarquable. Une cuisine d’auteur avec énormément de personnalité et je dirais même émouvante. Chaque élément à sa place et rien n’est jamais là « juste pour faire joli… ».



Un déjeuner guidé par Sussie et Sebastian où nous nous sommes laissé emporter comme dans un voyage avec pour commencer des tomates Raf dans une salade de pêches, ponzu, herbes et fleurs. Visuellement c’est d’une incroyable précision, coloré, mais surtout très attirant. Une composition d’une grande beauté qui fût d’une très grande fraicheur gustative. Tout d’abord l’association des très bonnes tomates qui sont on le rappelle un fruit, la pêche qui ne me serait probablement pas venue à l’esprit, mais quelle belle idée ! les tomates raf sont pelées et couvertes d’huile d’olive, on trouvera également de toutes petites tomates cerises bien sucrées, les pèches ont marinés dans un mélange de vinaigre de riz et de mirin ce vin de riz assez doux. Tout deux amènent cette petite acidité qui donne un coup de fouet en bouche et qui nous rappelle que cela reste bien entendu une salade. Mais on n’en reste pas là puisque dans la sauce on y ajouté une touche de sauce de Yuzu Kosho Ponzu, sorte de vinaigrette ici à base de yuzu, de jus de citron, de Yuzu Koshu ou Kosho qui est une pâte à base de piment, d'écorce de yuzu et de sel que l'on fait ensuite fermenter. Il est généralement utilisé comme condiment pour les plats nabemono, la soupe miso et le sashimi. Et encore un peu de gingembre. Sur le dessus, quelques herbes odoriférentes comme du shiso, des feuilles de wasabi et de moutarde, de fines lamelles de radis. Pour sortir une telle assiette, il faut une très grande maitrise pour ne pas sombrer dans l’incohérence. Douceur, acidité, amertume, pimenté, vous comprendrez facilement que l’équilibre gustatif est périlleux et demande une très grande maitrise.


Seconde bouchée, un SSam de thon épicé à l’avocat et au quinoa croustillant. Le Ssam, parfois aussi appelé ssäm, signifiant « enveloppé », fait référence à un plat de la cuisine coréenne dans lequel, en général, les légumes à feuilles sont utilisés pour emballer un morceau de viande tel que du porc.  Il est souvent accompagné d'un condiment appelé ssamjang et peut également être garni d'ail cru ou cuit, d'oignon, de poivron vert ou d'un banchan (petit plat d'accompagnement) tel que le kimchi. Le Ssam est généralement de la taille d'une bouchée pour éviter de faire déborder la garniture. Divers légumes sont utilisés comme ingrédients tels que la laitue comme ici, le chou, les feuilles de haricot et les feuilles de citrouille, qui sont utilisés crus ou blanchis. Ici nous trouverons le thon frais découpé en cubes, une fine purée d’avocat, de la mayonnaise au piment chipotle avec une touche de jus de citron vert. Le quinoa est soufflé et donne un côté croustillant au tout ; quelques fleurs d’hisbiscus marinées sur le dessus avec une feuille de coriandre fraiche. Ici nous somme dans un subtil jeu de diverses textures, entre croquant, croustillant, moelleux, pâteux et liquide. A nouveau les quantités de chaque élément est précis afin de ne pas rendre le tout uniforme en saveur.



Un petit voyage entre Mexique, Pérou et Japon qui à nouveau sera une prouesse avec la « Tosta » Hamachi au piment jaune Aji et patate douce. Au Mexique, une « Tosta » ou « Tostada » est une tortilla de maïs croustillante. Cela se fait en séchant les tortillas sur un comal chauffé au feu de bois ou au soleil, ou bien en les faisant frire. Actuellement, ce plat au Mexique est considéré comme étant de la restauration rapide en raison de sa facilité de consommation, de sa vente dans des endroits ouverts et parfois de sa production d'huile. Sebastian nous raconte qu’il a testé un très grand nombre de tortillas dans la friture avant de trouver celle qui convenait le mieux a ce plat. Pas grasse et surtout imperméable à ce qui se trouve dessus ; des patates douces découpées en tranches et rôties, un fabuleux sahismi de poisson Hamachi, poisson de mer qui est aussi appelé « Amberjack japonais », qui appartient à la famille du chinchard ou sériole. On ne le trouve qu’au nord-ouest de l’Océan Pacifique, entre le Japon et le Hawaii, découpé en tronçons et déposé sur la tostada. Une sauce péruvienne très crémeuse à base de piment jaune Aji, de mayonnaise, de jus de citron vert et de mirin. Quelques rondelles d’oignon rouge au vinaigre pour la touche d’acidité, de l’huile de coriandre et de la coriandre fraiche. A nouveau, vraiment jubilatoire.



Autre bouchée toujours inspirée par l’Amérique du sud, des beignets de Yuca croustillants avec une sauce chipotle et citron vert. Le Yuca est aussi communément appelé manioc, un tubercule avec une chair féculente de couleur blanc clair ou crème avec une texture granuleuse semblable à celle des pommes de terre. La texture charnue est souvent décrite comme ayant un goût doux, sucré et légèrement noiseté. Ici en beignet très léger sur lequel nous trouverons une touche pimentée avec la sauce chipotle, un peu de zeste de citron vert et des feuilles de capucine ont un goût frais, acidulé et poivré.


Pour continuer l’une des plus belles assiettes d’une incroyable fraicheur et saveur, les coquilles Saint-Jacques Aguachile, jus de piment Jalapeno, concombre et basilic. L’Aguachile est souvent associé avec le Mexique. Généralement il s’agit d’un plat à base de fruits de mer sur lequel se trouve une sauce a base de piment, de citron vert, sel, coriandre et tranches d’oignons. On y ajoute généralement des tranches de concombre. Ce qui fait la qualité de ce plat c’est sa préparation de dernier moment mais surtout le dosage des ingrédients se doit d’être précis. La coquille Saint-Jacques est d’une incroyable fraicheur, crue et découpée comme en sashimi, quelques morceaux de concombres pelés marinés, la sauce qui entoure est très proche de l’originale mais sublimée avec du jus de yuzu, du jus du piment jalapeño si typique du Mexique, du jus de citron et du mirin. Sur chaque pièce de saint-Jacques, des perles de tapioca infusée au dashi et sauce soja, une magnifique huile de basilic parcimonieusement ajoutée ainsi que des feuilles. A ce niveau là, cela devient prodigieux.


Un type de met que l’on trouve souvent à Barcelone, souvent dans les tables péruviennes ou Nikei, la Causa. Un met donc d’origine péruvienne que l’on l’appelle généralement « causa rellena » « Rellena » signifie « farci » Et causa ? L’histoire nous dit que ce mets est né pendant la Guerre du Pacifique, en 1879, où le Chili a lutté contre le Pérou et la Bolivie. L’armée péruvienne avait tellement de mal à obtenir de la nourriture que les femmes collectaient des pommes de terre et d’autres aliments dans toutes les villes. Ainsi, elles ont créé ce repas qu’elles offraient aux soldats « pour la cause » (de défendre leur territoire). Voilà pourquoi « causa » ! La plupart du temps c’est un encas assez compact et bourratif, dissocié des ingrédients qui l’accompagne mais ici cela a été dument pensé car déjà le visuel est magnifique mais surtout la manière dont elle a été cuisinée. Il s’agit ici d’une causa de seiches Aburi, avocat, coriandre et yuzu. Traduit littéralement, Aburi signifie "brûlé par la flamme". Lorsque la flamme est appliquée aux aliments, souvent d’ailleurs des sushis, la chaleur change la saveur des sushis pour créer quelque chose de nouveau et d'excitant. La Causa est donc réalisée comme il se doit avec de la pomme de terre et du piment jaune ají comme il se doit. Une particularité, sa texture qui est incroyablement légère ! Le calamar est découpé en fines lamelles et grillé comme précédemment documenté, une sauce à base de jus de citron vert, d’huile d’olive et d’ail. Des petites touches de purée à base d’avocat et de kizami qui est une sorte de feuille d’algue nori mais hachée. Une touche de mayonnaise au yuzu, une huile à la coriandre et des pousses de coriandre ce qui est plutôt délicat et rare. Puis un peu de piment d’Espelette saupoudré sur le dessus. Cela semble être une assiette hautement complexe mais elle est tellement bien travaillée que les diverses saveurs se complètent à merveille.



Tout le monde connait le Clara qui est historiquement un mélange à part égale de bière et de limonade. L'ajout de limonade « Aclara » à la bière, d’où son nom Clara. La bière est introduite en Espagne au début du XXème siècle, on la mélangea déjà avec des Limonadas d'autres boissons fraîches. Dans les années 50, la limonade La Casera apparaît. C'est à cette période que la Bière et Las Caseras forment les mélanges que l'on appel aujourd’hui la Clara. Avec l’implication d’un barman Londonien, cette boisson a été revisitée en y ajoutant non pas de limonade mais du jus de citron et du yuzu, ce qui rend la boisson encore plus rafraichissante, parfumée et point trop sucrée.


Nous passerons au dessert qui sera du même niveau que l’ensemble de ce repas. Un Ceviche d’agrumes accompagné d’un sorbet à la lychee et de sésame noir. Ceviche car il s’agit de divers agrumes tels que pomelo chinois, orange et pomelo, tous marinés dans un jus finement citronné. Un sorbet pas trop sucré mais qui balance bien avec l’acidité et ce délicieux sésame noir caramélisé qui amène une texture croustillante au dessert.



Un repas accompagné d’un saké très fruité dont Sussie en connait toute l’histoire et qui sera une parfaite manière d’accompagner ce repas, une certaine fraicheur et douceur en bouche qui sera une magnifique association avec l’ensemble des mets. On remarquera également la beauté de la porcelaine dans laquelle le saké est servit, un artisan du quartier selon ma compréhension.


« The Roof » est encore en ce moment un lieu presque secret car les annonces d’ouverture de cet hôtel et de ses restaurants se fera début Septembre mais je peux vous garantir que l’on a ici probablement ici l’une des plus belles ouvertures de l’année avec une équipe de pointe qui a su sublimer le lieu avec une cuisine d’un très haut niveau et ce n’est que l’un des trois établissements… Une nouvelle adresse pour un splendide voyage culinaire. 


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