Grandes
attentes pour une table aussi médiatisée et réputée que celle de « The
Test Kitchen ». La réservation est des plus compliquée car l’ouverture de
celle-ci se fait seulement deux mois à l’avance et il faut se trouver devant
son ordinateur à l’heure Sud-Africaine pour pouvoir espérer trouver une table.
Je dis espérer car en trois minutes tout était complet. Quelques cafouillages
techniques car j’étais à l’étranger avec une connexion pas des plus performante
et chanceux, me voici avec non pas une table mais avec deux places le long de la
cuisine. A noter que la salle est petite ce qui explique vraisemblablement la
difficulté à y obtenir une table.
Ce qui m’a
attiré tout de suite c’est le côté informel et industriel chic du concept.
Après des décennies de tables, le côté précieux, ostentatoire, classique me
plait de moins en moins. Pas que je renonce à ce genre d’établissements mais la
gastronomie a pris un tournant qui me semble de bon aloi ; se concentrer
sur l’assiette avant de privilégier le décorum. Mais attention, le décor de « The Test
Kitchen » n’est pas non plus laissé pour compte, c’est le style qui
diffère dans sa totalité. Et ici nous sommes dans un environnement que je
pourrais qualifier de « contemporain cool », quelque chose d’expérimental
comme le nom l’indique et aussi un peu théatral.
Luke
Dale-Roberts est le chef qui a un peu bouleversé ce World 50 Best il y a
quelque temps de cela et qui aujourd’hui se retrouve en 26ème
position. A nouveau, je risque de me répéter mais le classement ne m’intéresse
pas et est sujet à maintes critiques, néanmoins la liste des tables en faisant
partie restent en majorité des lieux à visiter. Un peu comme une rock star, une
table à la 22ème position mondiale qui est mentionnée comme étant la
meilleure en Afrique. Bon ça c’est le show…Maintenant qu’est-ce que cela donne ?
Un chef qui
a travaillé « chez nous » puisqu’il travailla entre autres à l’hôtel
Baur au Lac à Zürich mais aussi dans d’autres établissement en Angleterre et en
Asie. A noter que Luke Dale-Roberts travailla aussi à « La Colombe »
visitée le jour avant, table reprise par Scot Kirton. Un chef qui se focalise sur les goûts, ce qui
est des plus rassurant lorsque l’on voit de plus en plus d’assiettes certes
jolies, fleuries…mais sans aucunes saveurs. Souvent du copiés de grands chefs
mais sans aucune capacité à provoquer un émoi quelconque.
Une fois
arrivé dans cette cour de cette ancienne usine, vous serez très surpris par le
fait que l’on vous place tout d’abord dans ce que l’on appelle la « la
chambre sombre ». J’imagine une assimilation à la photographie où l’on
révèle dans la pénombre les photos dans les bains. Ici la probable découverte
progressive de sa cuisine au travers de saveurs dans une certaine lumière
diffuse. Très belle et luxueuse salle en hauteur avec des parois de bois, des statues
ou compositions artistiques presqu’un peu inquiétantes, de grandes œuvres murales
représentant des êtres humains stylisés et quelques sofas. Une antichambre qui
ne laisse aucunement imaginer comment sera la salle du restaurant. C’est un
lieu assez impressionnant, inattendu et même assez innovant où l’on parle à voix
basse.
C’est ici
que l’expérience commence avec une série de cocktails et de bouchées. Vous vous
verrez tendu une carte avec quatre cocktails avec des saveurs bien distinctes
et vous en sélectionnerez deux. C’est bien la première fois que l’on me propose
dans un menu-dégustation des cocktails et c’est plutôt très bien pensé car la
myxologie est quelque chose que j’apprécie particulièrement. Le « doux »
au Belvedere et fleurs, l’« acidulé », le « salé » qui est
une margarita aux feuilles de figues, l’ « amer » à la prune et
au serpolet.
Pour accompagner
ces cocktails, quelques bouchées avec pour commencer le « shortbread du milliardaire
de « The Test Kitchen » ».
Normalement une base de shortbread qui est une pâte croustillante, sur
le dessus un caramel un peu collant et pour finir un glaçage chocolaté sur le
dessus. La grande différence avec cette recette de base c’est l’adjonction champignons
au shortbread, ensuite de foie gras et l’on sait bien que cet ingrédient avec
le chocolat est une géniale association. On n’oubliera pas la feuille d’or sur
le dessus. Cela démarre très fort car on ne s’attend pas du tout à ce genre de
saveur en bouche et l’émerveillement est déjà complet.
Du biltong
de bœuf wagyu local à la réglisse. Le mot biltong vient de l’Afrikaans, « Bil »
qui veut dire la croupe et « tong » la langue. Littéralement des
langues de viande, on comprend donc pourquoi ce nom quand on voit à quoi
ressemble la viande une fois séchée. Principalement fabriqué avec du bœuf, c’est
avant tout une façon de transformer la viande. En Afrique du Sud, on trouve du
biltong de poulet, d’autruche, de springbok, de kudu ou encore de poisson. Ici
il est donc réinventé avec du wagyu réalisé dans le pays, encore moelleux,
coupé en fines lamelles un peu comme un carpaccio. Nous sommes encouragés à
saisir la viande avec le bâton de réglisse, ce qui apporte une fine saveur
légèrement anisée-
Quelques pignons
salés légèrement tiédis.
Des olives
Morgenster de Stellenbosch, type Kalamata. Olives qui ont fermenté
naturellement pendant 12 à 14 mois, bien moelleuses et juteuses.
Le cocktail
« doux » au Belvedere et fleurs, en fait à base de vodka est très rafraichissant
et point trop doux.
L’« acidulé »
appelé TTK Sour, est un « sour » qui contient une base classique à
base de jus de citron vert et jaune, d’un jus de fruit doux et d’alcool.
Pour suivre
de petits légumes de la ferme présentés sur une pierre, avec des radis, des
petites betteraves et fenouil. A tremper dans un bol inspiré par le dip ssamjang
qui est d’inspiration coréenne, à base de pâte de soja fermentée, de piment, d’ail,
d’oignon, de miel et de sésame. Le dip a une légère saveur épicée ainsi que de
noisettes. Il est recouvert de cette pooudre type crumble réalisée avec du
toast et de la « marmite », plus pour amener une nouvelle texture au
tout.
Les bouchées
suivantes ressemblèrent plus à des snacks de bar tels que de la peau de porc
frite et soufflée, saupoudrée de sel de cèleri et vinaigre. Snack que l’on
trempe dans une étonnante mousse à la Guinness.
Le fabuleux
sandwich de caille à la mode pékinoise. Croustillant avec un surprenant
équilibre en bouche.
L’excellent
agneau fumé sur un wafer grillé d’orge et gingembre, avec une sauce XO.
Amuse-bouche avec une délicate douceur finale en bouche.
Second
délicieux cocktail avec le « salé » qui est une margarita aux
feuilles de figues.
Et pour
terminer, un très agréable rince-bouche assez revigorant avec un granité d’aiguilles
de pin, garni de gin et d’une gelée au tonic et de cubes de concombres
compressés.
La cérémonie est terminée dans cette chambre sombre et nous voilà accompagnés dans la chambre des lumières ! La différence est impressionnante car l’on passe d’une ambiance un peu mystique a celle d’une salle agitée ou l’atmosphère est vraiment à la fête. Vue plongeante sur la cuisine ouverte comme une scène de théâtre face aux quelques rares tables à manger. Une salle à haut plafond, un décor ici plus comme l’on pourrait s’attendre d’un atelier avec boiseries, murs de briques et structures métalliques. Au plafond des boules lumineuses comme tout éclairage.
Mais ce qui
est selon moi plus intéressant c’est d’être assis face à la scène car
effectivement rarement j’ai pu observer si bien une brigade opérer devant mes
yeux. Assis en rangées, comptoir en bois, nous sommes comme des élèves à l’écoute
de ce qui se passe devant nous.
Un plateau nous
est amené avec une très belle sélection de pains.
Suite à
cela, une coupelle avec une composition orangée à base de poisson mariné et
fumé, de carotte marinée et d’un chips de dashi. Un très veau visuel, no brise
le chips et ramasse la pâte délicatement parfumée.
L’eau qui
nous est servie est mélangée avec des fleurs amenant un goût assez subtil. De l’eau
infusée au rose géranium avec des glaçons au pétales de roses.
Petit oubli
de ma part car je m’aperçois que l’on m’a amené un écrin de plantes et fleurs
mais je ne me rappelle plus à quoi celui-ci a bien servi…
Première réelle
assiette avec le foie gras parfumé à la pèche, vanille et rose. Une surprenante
et magique association du foie qui a des effluves de fleurs.
Une réinterprétation
d’un classique mais complètement déstructuré, la salade niçoise avec du thon
selon « The Test Kitchen ». On retrouvera certains éléments mais
retravaillés sous forme de crème ou de jeu de textures comme du croustillant.
Magnifique
composition que le loup de mer fumé 12 heures, extraction de céleri, navet
congelé et moutarde, pommes concentrées au citron vert. Ce plat est un chef d’œuvre
et couvre tout ce qui peut être concevable en tant que palettes de saveurs. L’onctuosité
du poisson en bouche, la douceur de la pomme, le côté un peu relevé de la
moutarde. C’est beau, c’est frais, et peut-être une nouvelle manière d’interpréter
le ceviche.
Changement
de direction et probablement à classer dans les plats plus consistants. Le
chou-fleur à la truffe, fromage et sauce à l’ail noir. Définitivement pas le
chou-fleur au gratin de votre maman, un plat saisissant de justesse en bouche
avec cette sauce très pointue en saveur.
Une
poitrine de canard parfaitement cuite car sous vide, une purée de navet
onctueuse parsemée de brisures de noix de cachou, accompagné d’un autre navet
mais celui-ci au barbecue, le tout avec une fine sauce à l’orange que l’on
ajoute au dernier moment. Un plat « signature » qui existe depuis
2010, date d’ouverture du restaurant.
Jubilatoire
note finale avec ce somptueux ris de veau enrobé dans de la pancetta fumée à
l’aiguille de pin. Le bol avec les
aiguilles arrive sur table avec le ris sur une brochette. Plat d’une grande
gourmandise, aromatique, accompagnée de cette étonnante farce au cœur de bœuf
sur une seconde assiette.
Nous
passerons aux desserts avec une glace à la camomille, un petit gâteau au beurre
brun et cardamome et des graines de tournesol grillées. Quelque chose qui à
prime abord apparaît somme étant simple en exécution mais tellement riche en saveurs
et d’une grande légèreté.
Suivi d’un
second dessert, une glace aux fraises et à la rose, une meringue à la noix de
coco, un sorbet aux fraises et à la menthe, rhubarbe et vanille brulée. Un
moment de fraicheur pour terminer ce repas. Toujours autant de justesse dans
les saveurs et de précision dans la réalisation.
En début de
repas vous sera apporté une coupe de Cap Classique inclue dans le prix du menu,
que je compléterai par une bouteille de Shiraz Kevin Arnold en 2012 Ashleigh
Anne. Un excellent vin aux saveurs de fruits compotés, avec une légère saveur
de clou de girofle, de poivre et de réglisse.
Un moment
assez inoubliable que cette soirée depuis la première bouchée jusque la
dernière. Une expérience sensorielle qui nous transporte pendant quelques
heures dans un nouvel univers. Ce concept de chambre sombre et de chambre des
lumières vient compléter à merveille la découverte d’une cuisine inventive mais
qui ne tombe jamais dans une lassante et chimique cuisine moléculaire. Chaque
plat eut son propre style, se doit être capable de délivrer un message, d’être
visuellement parfait.
Quarante
personnes seulement par soirée, ce qui rend le moment encore plus intense,
magique et garantit de vivre une expérience complètement différente. Le « The
Test Kitchen » porte bien son nom…
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