Direkte Boqueria n’existant plus…Vive
Direkte ! Ma première visite dans le premier établissement fût vraiment
mémorable quoi qu’un peu particulière car se passa pendant la période du covid
lorsque l’on mangeait à l’extérieur sous les arcades. L’intérieur lui a
toujours été de taille plutôt réduite et ne pouvait accueillir que peu de
clients, organisé comme un bar à la japonaise.
Au vu de l’éblouissant succès de la table du chef Arnau Muñío avec des périodes de longues attentes pour réserver une table, ensuite la petitesse de l’établissement, le marché de la Boqueria qui s’est malheureusement détérioré au fil des années avec une clientèle principalement touristique, cela ne pouvait qu’avoir un certain sens de vouloir aller dans un local à la mesure de ses ambitions mais surtout pouvoir encore améliorer la prestation de l’établissement.
Le choix plutôt classique de l’Eixample semble judicieux car Direkte n’a pas vraiment à faire ses preuves dans la restauration, donc ce quartier où se trouvent un certain nombre de tables gastronomiques est parfait. C’est donc dans la Carrer de Paris que la table se trouve et le lieu est tout bonnement magnifique.
Arnau Muñío s’est libèré des limites des 14 mètres carrés de la Direkte Boqueria et a agrandit la capacité de la salle à manger et de la cuisine, mais en conservant le concept de bar japonais qui le caractérise. 130 mètres carrés de nouveaux locaux, une cuisine beaucoup plus grande et un bar pour 18 personnes composent le nouvel espace.
Je ne suis pas vraiment grandement amateur de ces restaurants sur un mode japonais où l’on est aligné devant une cuisine. On est souvent mal assis sur des chaises hautes avec un espace pour manger des plus réduits. Ici ce n’est pas du tout le cas, c’est réfléchi et même si c’est un concept à la japonaise, cela a été vraiment bien pensé. L’élégant espace en bois face à la cuisine pour manger est large, les chaises sont confortables et il y a suffisamment d’espace entre les convives.
L’équipe en cuisine s’est étoffée, avec Esther Moliné, Mariona Piquer, Gaya Sironi, Maria Herrera, comme sommelier Adrià Martín et Siknder Singh.
Comme par le passé, il n’y a pas de carte mais trois menus tarifés, 72, 86 et 98 €.
Ce qui est particulier chez Direkte, c’est
cette complexité dans chaque assiette mais en contrepartie cette lecture aisée
des assiettes et cette cohérence au niveau des textures et des saveurs. Il y aura
toujours un peu de magie dans chaque plat. Certains qualifient cette cuisine de
« fusion » mais je pense que c’est vraiment trop réductif et un peu
simpliste comme appellation. Tout ici est le fruit d’une longue réflexion dans
le but de créer des plats vraiment uniques, sans faute de goût, avec des
produits de grande qualité et locaux dans la mesure du possible. Certes
quelques influences, tout d’abord au sens large espagnoles, au sens local catalanes
et ensuite asiatiques, principalement japonaises. Mais aucun moment nous aurons
l’impression de manger une copie d’un plat de l’une de ces régions. Il s’agirait
plutôt d’une nouvelle cuisine catalane.
Chaque plat nécessitera quelques
explications car il serait dommage de ne pas comprendre les objectifs de l’assiettes,
de ne pas identifier les ingrédients. Mais rassurez-vous, les cuisiniers vous
présenteront ces mets, maintenant se rappeler de tous les éléments d’une assiette
demanderait d’enregistrer le discours…. Un grand nombre de plats mais tout sera
parfaitement orchestré et sans attente ni précipitation.
Je ne pourrai que me rappeler sommairement
des éléments des assiettes, basé sur le menu qui me fût envoyé par courrier
électronique quelques jours après car potentiellement, les plats peuvent changer
en fonction des arrivages, ou alors les associations.
Tout commence par un bouillon ou potage printanier
aux moules du delta de l'Èbre, du gombo, gingembre, œufs de poisson volant
Tobiko, avec une touche de vinaigre de riz, feuilles de capucine. Une sorte de dashi (出汁) qui est un type de bouillon clair réalisé à partir de différents
ingrédients séchés infusés dans de l'eau. Un bouillon d’une étonnante structure
mais merveilleusement gouteux.
Des crevettes douces de Tarragone avec du néflier, de la crème de Pistache, du fromage "Mato" frais maison au lait de chèvre et feuilles, tiges et racines de Wasabi. Les fruits du néflier se récoltent alors au printemps. Ils sont ovoïdes, de couleur jaune orangé. Leur chair, à la saveur rappelant la pêche, le citron et la mangue. Quelques œufs de crevettes bleus sur le dessus. Les crevettes portant des œufs bleus sont précieuses pour la sensation unique qu'ils procurent lorsque les œufs éclatent sous la dent.
Du maquereau fumé, avec une sauce romesco, un miso de tomate maison et une soupe d'oignons grillés, de l’anchois et de l’ail rôti. Le bouillon d’oignons utilise le robata qui est une ancienne technique culinaire japonaise qui utilise un gril à charbon pour cuire la viande et le poisson.
Un étonnant et délicieux « Esqueixada » de thon rouge avec lait de pignons maison, pignons grillés et bouillon d'os de thon avec fleurs de pignons de pin fermentées. Normalement l'esqueixada est faite principalement de morue dessalée déchirée en lambeaux mélangée à du thon et à divers légumes méditerranéens comme des tomates, oignons blancs, poivrons et olives. Mais ici c’est du thon ! L’esqueixada est prélevée sur l’arête du thon. En accompagnement un bouillon de thon aux fleurs et baies de sureau séchées, fleur de pin fermentée. Il y a également du garum de thon réalisé avec les arrêtes de thon, séchées et fumées.
De superbes asperges blanches de Navarre, miso aux pignons de pin maison, soja, vinaigre de riz miel à l'ail noir, café et raifort. Il est clair qu’Arnau ne fait pas partie de « l’école minimaliste », mais de celle de la complexité justifiée. C’est son style, et le résultat en bouche est indiscutable.
Belle assiette avec les « Calmars aux haricots et haricots aux calamars ». Des calamars au jus de fèves à la catalane, des pois mange-tout, des couennes de porc ibérique caramélisées et de l’huile de menthe poivrée. Le calamar est strié sur le moment, avant de passer au chalumeau. Accompagné de fèves au bouillon de calamars avec de la bajoue de porc ibériques coupée en dés.
Un mer et montagne végétal avec des petits pois du Maresme au codium frais, des algues kombu tororo et du wasabi. Le kombu est une algue incontournable pour la préparation de nombreuses sauces et bouillons dans la cuisine japonaise. Son cœur râpé noir est emblématique de Toyama, ses notes iodées et sucrées sont addictives. C’est un furikake, condiment utilisé dans la cuisine japonaise par excellence. Ce contraste entre la douceur du pois et la fraîcheur du wasabi et l’iode des algues est très intéressant.
Nous poursuivons avec un Fricandó ou fricassée de Saint-Jacques avec des « moixarnons » ou aussi apelé « senderuelas », poudre de piment shichimi. "Moixernons" en catalan signifie "champignons de Saint-Georges" ou "faux mousserons" en français. Il s'agit d'une variété de champignon comestible, en particulier le Marasmius oreades. Ces champignons sont appréciés pour leur saveur terreuse et légèrement sucrée, et sont souvent utilisés dans les ragoûts, les plats de riz et les sauces. Le chichim est en fait un curry japonais, créé par des herboristes d'Edo au XVIIe siècle et dont le piquant modéré et les notes fraîches d'agrumes et d'algues relèveront une cuisine la plus simple. C’est une magnifique réinterprétation du plat classique Catalan.
Ensuite « Nos boulettes de viande» ; des morilles farcies au pied de cochon et châtaigne d’eau, jus de pied épicé, moutarde maison, crème sésame blanc. Les morilles ont été farcies de pied de porc pour suggérer une boulette, et imbibées de la sauce gélatineuse des abats.
Autre incroyable réinterprétation, de l’huître fumée et cap-i-pota, champignon sparassis crispa et cacahuètes grillées. En fait la sauce traditionnelle de la cap-i-pota, assaisonne une huître, les tripes sont ce champignon aussi appelé morilles des pins, champignon chou-fleur, morille blanche, morille d’automne ou crête de coq ressemble à un gros chou-fleur ou une éponge de mer. Sa chair blanc jaunâtre a une douce saveur de noix. Les « mongetes » sont des cacahuètes cuisinées de manière qu’elles deviennent très molles, un peu de vinaigre de jerez.
Premier dessert appelé « Tout le riz ». Dessert au riz avec un caramel de miso sucré et une crème de sésame noir. Une crème de riz au lait, de la glace amazake, mochi, du gofio, du riz soufflé. L’amazake est une boisson à double fermentation, non alcoolisée, naturellement sucrée grâce aux enzymes présentes dans le koji qui transforment les sucres simples en glucides. Originaire du Japon, cette boisson est très digeste, utilisée pour la glace. Le gofio est une farine élaborée à partir de céréales grillées, principalement du maïs (appelé « millo » aux Canaries) ou du blé.
L’incontournable et dessert signature que le merveilleux cheesecake fumé au thé matcha que l’on ne présente plus.
Quelques mignardises avec la gelée de mucilage de cacao péruvien qui est une pâte de fruits de pulpe du cacao.
Une Dorayaki à la ganache au chocolat. C’est une spécialité japonaise très appréciée et rendue célèbre par le film "Les délices de Tokyo". Elle est habituellement composée de deux pancakes et fourrés à la pâte de haricots rouges.
Et finalement un Polvoron au chocolat et
beurre de cacao péruvien. Le polvorón est une spécialité culinaire
espagnole faite notamment de sucre, farine, graisse animale de vache ou de porc
et cannelle. C'est une pâtisserie très friable dans laquelle sont parfois
ajoutées des amandes en poudre.
Pour les vins, c’est le très sympathique Adrià
Martín qui nous conseillera avec tout d’abord un Quars Priorat 2022. Un
Priorat El Mas de l’A. La Morera. De couleur jaune pâle, ce vin blanc a un nez
sensuel avec des notes de coing, de brise marine fraîche et salée et d'herbes.
Ensuite un vin rouge avec un Solergibert Pla de Bagès 2019. Cabernet Sauvignon et Cabernet Franc, une couleur grenat, un bon équilibre fruit-bois, où les fruits rouges et les épices se détachent avec un fond fumé. Bien structuré et rond, il est moelleux en entrée et dense en bouche.
Pour terminer, Sol i Serena Garnatxa d’Emporda Espolla CC1931 de la Celler Cooperatiu d'Espolla. Ce vin est le résultat d’une tentative de récupération d’un système largement utilisé dans le vieillissement à travers les Albères et donne des vins vraiment intéressants. En gros, ce qu’ils ont fait, c’est sélectionner l’un des fûts qui font partie de Garnatxa Solera d’Espolla et qui sont restés plus d’un an dans les fenêtres de la façade du vin en verre de faible capacité. La température est enregistrée à l’aide d’un thermomètre à mémoire et la différence de température pendant cette période varie entre 39 ° C et -3 ° C’est un vin doux naturel obtenu par l’ajout d’alcool de vin de demi-fermentation et d’un double vieillissement oxydatif.
Clairement Direkte a atteint un niveau supérieur de croisière et a toutes les conditions pour obtenir une éventuelle étoile Michelin au vu de la fantastique prestation offerte ce soir. Des assiettes mémorables, une cuisine lumineuse, légère, créative, un service impeccable et un cadre luxueux mais non ostentatoire.
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