San Sebastian est devenue en quelques années une des capitales
gastronomiques au monde et s’apprête en plus à devenir la capitale
culturelle de l’Europe en 2016. Elle dispose d’une impressionnante et
magnifique collection de lieux gastronomiques ; une quinzaine d’étoiles
pour 185 000 habitants, ce qui est plutôt bluffant… Parmi ces tables…. «
LA » table que tout le monde entier souhaite visiter, 2 étoiles au
Michelin, identifiée comme sixième meilleur restaurant du monde par
notre eau gazeuse italienne préférée, mais ceci n’est pas vraiment la
motivation première et reste un peu enfantin…
On ne va pas chez
Mugaritz que pour manger mais pour vivre une expérience qui est au delà
de tout ce que l’on peut s’imaginer, c’est un moment zen, un moment où
le temps s’arrête et tous les sens sont en émoi. Oublier tout ce que
l’on a pu déguster depuis « le début de notre vie» et reprendre à zéro…
C’est
quelques kilomètres en dehors de San Sebastian, pas loin de Errenteria,
en pleine campagne que Mugaritz se situe. Pas si difficile d’accès
lorsque l’on se fie aux indications aimablement transmises après
réservation et en Français ! Arrivé sur un parking qui ressemblerait par
sa taille plutôt à l’entrée d’un musée, vous voici en face d’une maison
plutôt conventionnelle sans particularité qui en fait vient d’être
rebâtie après un incendie il y a quelques années.
Une bâtisse plutôt
ressemblante à une grange dans laquelle l’on peut observer par la
fenêtre une structure plutôt basée sur le bois. On entrevoit une partie
des cuisines à travers une fenêtre et l’on se dirige vers le jardin.
Ces cuisines d’ailleurs sont considérées comme ce qui existe de plus
sophistiqué dans le monde et probablement les plus coûteuses jamais
construites (plus de détails par la suite).
Arrivé à l’entrée
après un bref échange souriant avec l’hôtesse à l’accueil, vous voila
convié a prendre place sur l’agréable terrasse dans une petite cours
pavée qui jouxte le restaurant.
Quelques meubles de teck, quelques
coussins. L’endroit est fort agréable et l’ambiance est plutôt
décontractée lorsque l’on observe ses voisins. C’est ici que vous
prendrez votre apéritif et que le repas démarrera. Vêtus de noir,
c’est un ballet de serveurs qui défilent, qui viennent vous présenter
la carte des vins, qui s’occuperont de vous lors de cette soirée
complètement exceptionnelle. Jamais je n’avais vu autant de
professionnalisme que ce soir, avec des personnes qui connaissent sur le
bout des doigts toutes les composantes des mets, qui ont une
connaissance approfondie des concepts de la maison et qui resteront
d’une incroyable disponibilité. Le recrutement de ce personnel est
presque plus sérieux que dans une entreprise classique ; tests
psychologiques, test de connaissances, attitude, langage et j’en
passe…Et vous allez comprendre rapidement qu’il est essentiel que ce
service soit de ce niveau car sans ce dernier il deviendra presque
impossible d’apprécier ce repas a sa juste valeur. Pour vous donner une
idée, il y a 70 personnes actives pour 50 convives au maximum.
Impressionnant car à aucun moment il y a une impression de lourdeur ou
de comportement ostentatoire.
Assis dans ce jardin, et en train
de contempler l’endroit qui est idyllique, d’entrée on nous suggère
deux verres de Txakoli. J’apprécie grandement que l’on ne me propose pas
ces sempiternelles coupes de champagnes qui n’ont que peu d’intérêt. Le
Txakoli est un vin basque tout à fait rafraîchissant, parfois
légèrement gazeux et fort agréable pour être bu soit en apéritif soit
pour accompagner quelques fruits de mer.
Un des serveurs nous présente
le concept : un menu dégustation de 20 plats, et nous demande si nous
mangeons de tout ou avons des allergies. Étonnement on nous signale que
si l’un des plats pendant la dégustation ne nous convient pas, il sera
immédiatement remplacé !
Le chef Andoni Luis Aduriz qui vient
d’ailleurs de publier un extraordinaire ouvrage de cuisine est connu
pour avoir fait une énorme recherche sur les techniques culinaires à
«caractère émotionnelles » mais sans tomber dans de la cuisine
moléculaire insensée, réalisée principalement autour des produits
locaux et ceux de saison.
Il faut tout de suite préciser que le
menu après les premières mises en bouche vous est présenté et laissé
pour suivre cette aventure, car il s’agit bien d’un voyage. Mais la
grande difficulté reste qu’il est quasiment impossible d’imaginer
comment ces 20 plats sont construits si vous ne posez pas la question à
l’un de vos serveurs, suite à une première explication. Chacun sera
parfaitement disposé à vous expliquer comment chaque met est créé, les
techniques utilisées ainsi que les ingrédients principaux. C’est
indispensable d’établir une relation avec votre personnel de table pour
amplifier le plaisir que vous allez prendre pendant environ 4 heures.
Comme je l’ai déjà indiqué, le service est absolument parfait,
totalement à votre écoute, et presque dédié.
Première « pièce
», les « pierres comestibles »…Imaginez-vous des pierres déposées sur un
sable noir…On s’en empare et découvre une jeune pomme de terre qui a
été cuite dans de l’argile lui donnant un coté gris puis croustillant en
bouche. On trempe celle-ci dans un aïoli amené dans une soucoupe.
Visuel, simple, donne le ton à cette recherche culinaire peu
conventionnelle. Un met qui me semble probablement avoir inspiré Fleur
de Sel à Megève puisqu’il s’agit d’une création de 2003.
Pour
suivre le « Nuage de poissons et fleurs sèches ». Une incroyable
construction de blanc battus en neige au parfum de poisson un peu
semblable « à de l’île flottante » mais entouré de fleurs séchées jaunes
et oranges ainsi que de noisettes pilées. Quelques secondes en bouche
d’une impression de grand large…
Ensuite un “Toast de moelle
rôtie, herbes et cendres de radis », belle tranche de pain rôtie et
croustillante recouverte de moelle fondante et d’un peu de verdure
odoriférante. Une association croustillante et molle bien gourmande mais
allégée par le coté végétal.
Quatrième amuse-bouche tout à fait
surprenant, le « Papier “ Kraft” de lin et blé, graines de junco marino
». Une sorte de « cracker » sur lequel se trouvaient quelques miettes
de crabe. A nouveau une agréable saveur marine associée au coté un peu
rustique du support.
A ce moment arrive l’un des serveurs, ouvre
un coffre et nous montre un jardin de graines de sésame dans lequel
sont plantés les « Accords marins de pipeau croquant ». Deux bricelets
dans lesquels nous trouvons une préparation d’anémones de mer ! Nous
croquons dans ce très bon biscuit et la farce à la saveur très marine,
un peu proche des oursins se répand dans votre bouche. Une impression
très intense de goût d’iode qui me plut énormément.
Pour terminer
ces quelques instants privilégiés sur cette terrasse, une nouvelle
merveille visuelle ; les « “Epines” aux saveurs de citron, ail et
Cayenne ». C’est après discussion avec l’un des serveurs que nous
apprenons qu’il s’agit de minuscules turbots de 2 cm passés à la
friture, montés en strates avec du citron confit et de l’ail, présenté
sur une pierre noire. C’est magnifique visuellement. Cela croustille et
explose en bouche, mais on se demande un peu si ce n’est pas poussé à
l’extrême.
Nous voici à ce moment prié de rejoindre la belle et
élégante salle à manger aux lumières douce et une fois assis à notre
table je remarque que celle-ci comme il y a deux jours de cela est
déserte. Probablement que la mode est de dresser les tables au fur et a
mesure des plats, ce qui évidement s’est confirmé à la suite.
Quelques
mots sur les vins car ceux-ci ont été absolument remarquables . Un vin blanc de la
région de Rueda, le Belondrade Y Lurton 2009, réalisé a partir du cépage
Verdejo ; un vin très fin en bouche dont les grappes sont étonnement
récoltées la nuit, aux arômes de citron vert avec quelque chose d’un peu
épicé. Une vraie merveille.
Grâce aux recommandations de
l’exceptionnel sommelier français qui nous a aussi facilité ce repas
avec quelques judicieuses explications, nous avons eu la chance de
déguster un vin plutôt atypique et rare (200 bouteilles), le San Martin
de chez Emilio Valeiro, en Navarre, à base de grenache et tempranillo.
Une extraordinaire structure en bouche avec une surprenante longueur,
des parfums de cassis.
Assis dans cette balle salle aux murs en
bois nous continuons contempler le service toujours aussi aimable et
efficace et attendons impatiemment le plat suivant ; « Stimuler
l’insipidité: bouchée croquante d’œufs salés ». Une verrine où l’on
retrouve un mélange de jeunes petits pois avec des œufs de dorade.
Rafraîchissant mais les œufs n’ont pas trop de saveur.
Le plat
suivant est probablement à l’unanimité ce qui nous a le plus plu. De »
fines tranches de foie gras à la cendre et baies de Sichuan, sur un
extrait de pomme ». Un foie gras « séché », en réalité traité d’une
manière a ce qu’il perde un peu de son eau, qu’il devienne plus
consistant en bouche et accompagné d’un sirop de pommes granny-smith,
elles traitées à la cryogénisation pour n’en garder que les sucs. Vous
déguster des lamelles de ce foie au goût intense avec le sirop
extrêmement parfumé. Prodigieux !
Pour continuer, des « nouilles
végétales dans un jus de veau et oignons caramélisés ». Nouilles conçues
à partir d’oignons nouveaux et recouvertes de deux bouillons aux
densités différentes. Agréable au goût mais sans plus.
Autre met,
des « Pâtes de lait à peine imbibées. Fines tranches de lard, jus de
tomate et potiron. » Un peu selon un modèle japonais, des nouilles très
blanches qui s’imbibent de jus une fois versé dans l’assiette et qui
restent un peu croquante, accompagnées d’une fine lamelle de lard blanc
contrebalançant le coté presque croquant en amenant le coté moelleux.
L’association marche mais le résultat en bouche est moins prometteur.
Et
la un moment un peu théâtral ou l’on sent que quelque chose va se
passer… Arrive sur la table deux manches…A quoi vont-ils bien servir ?
Quelques instants plus tard on nous incite à utiliser cet instrument
comme un pilon afin de réduire en poudre le contenu d’un bol de fonte
dans lequel on retrouve du sésame, divers poivres, du safran et des
graines de lin. L’ensemble des convives écrasent consciencieusement le
mélange jusqu’à ce que l’on nous amène un bouillon je crois réalisé avec
des graines de fleurs. Le tout est ensuite mélangé et bu. Peut-être
plus ludique que réellement savoureux à mon goût.
Et la un grand
moment se passe…la visite des cuisines ! J’ai eu l’occasion d’en voire
certaines mais je dois bien admettre que c’est un moment de pure extase
que de voir tout se petit monde s’affairer. Tout est orchestré, pas de
cris, pas de bousculade, c’est un vrais ballet... Nous sommes
accueillis par l’ un des cuisiniers d’origine Mexicaine qui nous
explique ce qui se passe. En réalité, il y a 3 cuisines ! La première où
l’on prépare les ingrédients, la seconde où l’on cuisine et la
troisième où l’on dresse, c’est dans cette dernière que notre visite se
passe. Nous restons contemplatifs…C’est très beau…et tout le monde est
d’une très grande amabilité, répondant à nos questions. A un moment
donné notre cuisinier nous offre un « Macaron “nombril de moine” », nous
explique que celui-ci par sa couleur brune est réalisé avec du sang et
au-milieu duquel se trouve un bleu basque. Vraiment bluffant car l’on a
l’impression de déguster un macaron au chocolat avec de la truffe…
Nous
repassons à table et sommes proposé le « Cannelloni tiède de lait
toasté et mollusques ». Réalisé avec de la peau de lait en dans lequel
se trouve une farce aux coquillages. Le goût marin est assez prononcé
dans cette « fausse pâte » extrêmement souple en bouche.
Pour
suivre, un « Potage de noisettes et nacre ». Encore un tour de magie
avec la nacre qui est desséchées et croustille en bouche sur un bouillon
fortement parfumé avec ces noisettes dont la consistance est étonnement
molle.
Notre premier poisson avec un « Merlu cuit au four et
graines de chou-fleur, fromage mascarpone et amandes ». Un morceau de
poisson associé avec de fins copeau de choux cru et d’amande donnant un
coté assez frais à la préparation mais peut-être un manque quelque part
d’acidité.
Très bon second poisson, le « Poisson de roche, oignon
confit et vinaigre maison » qui lui justement amène un contraste en
bouche avec ce coté acidulé recherché.
Alors que nous discutions
avec « nos » serveurs (en réalité sommeliers) nous nous sommes vu
proposer un plat additionnel…un « faux fromage » accompagné de pieds de
mouton. Une apparence de fromage mais pas du tout réalisé avec du lait
fermenté… Nous avons eu droit à une explication plutôt compliquée que
nous n’avons honnêtement pas tout à fait retenue…Dans tous les cas cela
s’apparentait bien en consistance à du fromage mais avec un seul goût de
lait en bouche.
Pour suivre, un « Veau et huître ». Un filet
sur une assiette recouvert d’une sauce réalisée avec des huîtres. Un
contraste terre mer assez puissant.
Belle assiette qui suit, le «
Ragoût de filet et cervelle d’agneau ». Assez proche des morceaux de
cochon cuit à la broche, accompagnée d’une sauce ou la cervelle était
écrasée. Contraste intéressant entre le coté caramélisé - croustillant
et la sauce à la saveur plus doucereuse.
Après cette messe
culinaire de plats salés voici que les desserts arrivent ! Et avec pour
démarrer, une « Glace de quinoa et épices. Poudre de pain doux et radis
brûlés. » Une assiette de toute beauté avec presque une éponge que l’on
déguste. Un coté assez « Noël » avec ces saveurs épicées.
Petit
entremet tout à fait sympathique apportant un peu de fraîcheur et qui
semblerait être un classique espagnol : un bricelet accompagné d’une
glace au citron.
Ensuite, le « Sablés glacé aux amandes ». On
nous explique qu’il s’agit à la base d’un biscuit espagnol aux amandes,
assez étouffe chrétien, que souvent les enfants mangent. Ici recomposé
sous forme de glace et également enveloppé dans le même papier que le
biscuit traditionnel. Des saveurs sures et agréables en bouche.
Arrive
une boite avec des « Cornet de fleurs et clous ». Encore une magnifique
présentation où l’on voit des clous rouillés…en chocolat plantés dans
un cornet…clous à la saveur de clous de girofle. Très astucieux !
Et
pour finir, des « Bonbons d’encens parfumés à l’eucalyptus ». On vous
apporte une boite fumante avec des morceaux de bois en train de fumer
dans lequel sont plantés deux tiges de chocolats aux senteurs
d’eucalyptus. Ludique et agréable pour terminer ce repas vraiment
incroyable.
Il faut reconnaître qu’un repas chez Mugaritz est un
moment atypique et exceptionnel que seuls peu de cuisiniers pourraient
réaliser avec autant d’imagination et autant de génie. J’en ressors
vraiment très fortement impressionné mais je me demande néanmoins si
toutes les dimensions d’une cuisine que je qualifierais de parfaite
aient été respectées. Aucun doute sur le visuel qui est au delà de ce
que l’on peut s’imaginer. Le jeu des textures est également totalement
maîtrisé. Cependant il me m’a semblé que sur la dimension des goûts, il y
avait parfois, et je dis bien parfois…un manque. On privilégie les
techniques, le minimalisme, les ingrédients « différents » au lieu de
trouver des assemblages qui rendent les plats gourmands et avec du
relief. Je suis charmé par cette grande découverte, par la ténacité de
ce fabuleux cuisinier qu’est Andoni Luis Aduriz mais je ne pense pas que
cela soit une cuisine « pour tout le monde ». Comme dit précédemment,
afin d’apprécier totalement ces nouveaux concepts culinaires, il
faudrait peut-être oublier tout ce que l’on a pu déguster depuis « le
début de notre vie» et reprendre à zéro…