Dimanche
soir à Barcelone et en plus Pâques, pas facile de dénicher quelque chose
d’ouvert et d’intéressant. Pourquoi donc ne pas essayer ce restaurant nikkei
qui se trouve dans le quartier du Born/Ribera face au centre culturel. Mais
tout d’abord, il faut se rappeler ce qu’est cette cuisine. Il s’agit
principalement d’un nouveau courant dans le paysage gastronomique mondial en
mêlant les influences japonaises et péruviennes.
Après les
migrations espagnoles, chinoises et italiennes, c’est le japon qui est à
l’honneur. Le mot « nikkei » est celui donné aux japonais qui ont
émigré en Amérique du sud suite à des accords signés en 1897. Le Pérou manque
de bras pour cultiver ses terres côtières et développer le chemin de
fer. Les gouvernements décident donc de à mettre à disposition les côtes
péruviennes aux agriculteurs japonais. Deux ans plus tard, 790 immigrés
japonais s’installent au Pérou, suivis de nombreux autres. Les péruviens
surnomment alors leurs hôtes les Nikkei et leur cuisine est un mélange de saveurs
des deux pays. Associations parfois un peu incongrues mais qui est vraiment
très mode en ce moment. D’ailleurs le précurseur à Barcelone qui lança cette
mode est incontestablement Albert Adria et son exceptionnelle offre.
Ces
japonais s’intéressent alors aux plats emblématiques de la culture « criolla »
et l’on trouvera donc des plats qui utilisent comme au Japon du poisson cru.
Cependant ces émigrés se mirent a à cuisiner les produits péruviens dans
leurs recettes traditionnelles. Ils ont alors remplacé le wasabi par les
piments locaux, le vinaigre de riz par les citrons verts. Si l’on prend par
example le ceviche, dans la cuisine nikkei, le poisson cru est coupé en cubes
puis mariné dans du jus de citron,
le tiradito qui est un ceviche sans
oignon ni citron est taillé en fines lamelles de poisson et servi complètement
cru à la manière d'un sashimi. Dans cette cuisine on retrouve les ingrédients
principaux tels que la coriandre,
le piment, le citron et l’oignon rouge. Pour résumer nous retrouverons des produits japonais
dans des recettes péruviennes ou, à l’inverse, des produits péruviens dans des
plats japonais.
Revenons
donc à « Big Kokka » qui est la suite logique du bar
« Kokka » dans le barrio gotico. Un établissement avec des chefs
japonais et péruviens ; Juan Otivo et Kyoko Li. Tout deux ont des
références plutôt assez élogieuses comme Astrid & Gastón à Madrid, Asiana
Next Door ou Pakta. A relever que Gastón Acurio a récemment ouvert sont « Yakumanka »
à Barcelone et que « Pakta » reste une référence incontestée en
ville, donc le niveau ici se doit d’être élevé.
Dans l’un
des magnifiques bâtiments du Passatge Mercantil, on s’aperçoit à travers les
baies vitrées que le lieu est plutôt grand avec une terrasse sur le devant
puisque la rue est sans véhicules.
L’intérieur
est vraiment magnifique. Un très beau décor qui est vraiment enchanteur qui
impressionnera plus d’une personne, lieu idéal entre autres pour un repas
galant. Hauts plafonds, un côté un peu baroque, de grands sofas sur lesquels
l’on peut s’asseoir pour manger, coussins confortables et quelques lustres
assez originaux. Un côté légèrement colonial, une atmosphère assez feutrée et
envoutante. Couleurs bleu turquoise, blanc et brun ; tout est parfaitement
mis en valeur.
Le bar de
l’entrée est tout aussi magnifique avec ses grandes structures vitrées blanches
avec une série de bouteilles d’alcools illuminées par derrière. Endroit où l’on
peut démarrer sa soirée avec l’un des originaux cocktails de la carte.
Les tables
sont vraiment bien organisées, certaines le long des canapés de cuir, d’autres
pour deux personnes avec il faut le reconnaître de très confortables fauteuils.
Fort appréciable car nombreux sont aujourd’hui les lieux où l’on est mal assis.
Face à la
salle, une cuisine partiellement ouverte qui donne sur une série de table
peut-être un peu plus moderne avec un côté industriel, selon moi plus adaptées
pour un déjeuner.
Maintenant
je dois dire d’entrée que je suis un peu étonné de la carte. La partie droite
de celle-ci semble être principalement japonaise avec des nigiris, sashimis,
futomakis et urumakis, mais avec parfois quelques ingrédients péruviens. Difficile
de savoir ce qui est purement japonais de nikkei sans en voir le résultat
final. A gauche, des plats au robata, des apéritifs, ceviche et plats au wok.
Les prix sont aussi assez élevés comparé à d’autres établissements dans le même
registre, on espère que le niveau sera donc élevé. Pour commencer, un ceviche
de poissons et fruits de mer, poivron aji et émulsion d’avocat. Pour dix-sept
euros, la portion est minuscule, le poisson en quantité réduite, le lait de
tigre un peu trop acide et un peu trop de « cancha », ce maïs
péruvien.
Ensuite des
« causa » de poulpe avec un confit d’olives. On l’appelle
généralement « causa rellena » ou « causa a la limeña » (de
Lima). « Rellena » signifie « farci » Et causa ? L’histoire
nous dit que ce mets est né pendant la Guerre du Pacifique, en 1879, où le
Chili a lutté contre le Pérou et la Bolivie. L’armée péruvienne avait tellement
de mal à obtenir de la nourriture que les femmes collectaient des pommes de
terre et d’autres aliments dans toutes les villes. Ainsi, elles ont créé ce
repas qu’elles offraient aux soldats « pour la cause » (de défendre
leur territoire). Voilà pourquoi « causa » ! Déjà apprécié dans
plusieurs établissement nikkei de Barcelone, ici il n’est comme à l’accoutumée
comme une boulette de purée de pommes de terre assaisonnée surmontée
d’ingrédients variant les recettes, mais plutôt une petite crème de pommes de
terre, de morceaux de poulpes travaillés en tempura, de quelques oignons rouges
émincés et d’une chips plantain. On peut aussi s’imaginer que la recette est
également inspirée d’une certaine manière par le poulpe à la Galicienne. C’est
plutôt réussi et gourmand.
Pour
suivre, du crabe mou frit dans une pâte filo avec une émulsion de topinambours.
Quelques morceaux sur une ardoise, plutôt bon mais un poil huileux, l’émulsion
est plus là pour le visuel qu’une saveur réelle, mais cela reste un joli plat.
En plat
principal, des côtelettes de porc ibériques cuites à basse température,
accompagnées de pommes de terre douce rôtie et d’une sauce « criolla ».
La viande est de qualité, laquée à l’asiatique, l’accompagnement correct. La
sauce au piment, aux oignons rouges et au citron vert indispensable pour
accompagner de nombreux plats péruviens. C’est assez simple mais bien réalisé.
Pour
terminer, un poulet aji, recette traditionnelle péruvienne réinterprétée avec
un confit de pommes de terre olluco et échalotes. Un incontournable à
connaître et à maitriser !
Probablement
originaire de cuisiniers français exilés en Amérique après la révolution
française, l’ « Aji de Gallina » est le résultat d’échanges
culturels, comme la plupart des mets péruviens. Le piment (Aji) donne cette
couleur jaune et relève le plat pour une explosion de saveurs en bouche. Sur le
côté ces pommes de terre ou plutôt tubercules des Andes aux diverses couleurs
jaunes, oranges, rouge et rose. Tranches confites comme d’ailleurs les
échalotes à côté. Une fois de plus on pourra se plaindre des quelques morceaux
de poulet qui trainent dans l’assiette.
Quelques
desserts sur une autre carte plus internationaux que réellement japonais ou
péruviens mais tout de même avec quelques ingrédients exotiques. Cela sera un
cheesecake au tofu avec un crumble au sésame et de la prune. Rien de
particulièrement mémorable.
Un très bon vin
blanc du Ribeiro, un Pazo Casanova. Des arômes floraux, du pamplemousse et des
notes d'agrumes. En bouche, il présente une belle structure, sincère dans son
expression, pleine d'herbes Un vin vif, complété par une agréable minéralité.
Le service fut
vraiment plus que quelconque, du personnel pas formé, parfois beaucoup d’attente ou alors tout arrive en même temps, une serveuse pas capable de décrire les plats
sur la carte et aucune connaissance de la carte des vins,
Je me
souviendrai surement du lieu, de la décoration, de l’architecture et de l’ameublement,
mais c’est à peu près tout. Pas que cela ne soit pas correct ce qui soit servi dans
l’assiette, mais tenant compte des prix parfois exagérés, d’un peu de la
banalité des plats, de la taille des portions et surtout de la comparaison avec
d’autres établissements dans le même genre de cuisine, la promesse est loin d’être
tenue. Il ne faudra pas me rétorquer que les prix soient élevés parce que les
ingrédients sont chers, la plupart des bonnes tables utilisent de bons produits
et ne sont pas obligés tout d’abord de forcer à la consommation et de majorer
de manière un peu étrange certains plats.
Clairement
un établissement qui cible non pas vraiment les foodistes de tout genre mais
plutôt une clientèle branchée plus intéressée à se montrer que par son
assiette. Tout est parfaitement étudié, une très bonne stratégie marketing, une
grande présence sur les réseaux sociaux, mais cela suffira-t-il à la
longue ?
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