Voici
probablement l’une des plus belles tables ces derniers temps, non pas que pour
la cuisine mais pour le concept dans son entier, voulant dire par cela, l’emplacement,
le bâtiment, l’atmosphère, le service, le décor et le chef qui est surement l’un
des plus prometteurs d’Italie aujourd’hui.
« Del Cambio » se trouve dans le centre de Turin sur la place
Carignano en face du palais du même nom. Un palais qui fut fait érigé par le
prince Emmanuel-Philibert de Savoie-Carignano, l’une des plus importantes et
remarquables architectures du Baroque italien, l’aile postérieure qui donne sur
la place Carlo Alberto fut construite après 1861 pour abriter les séances du
premier Parlement Italien. Une très belle place pavée entourée d’autres très
beaux édifices.
Devant ce palais
et à côté du théâtre Carignano, ce restaurant se situe dans une magnifique
maison datant du 18ème, qui selon ce qui m’a été compté fût dans le
passé une mais d’échange de chevaux pour les voyageurs et qui servait également
des repas. Un certain nombre de transformations et voilà aujourd’hui probablement
l’une des plus belles salles classiques dans laquelle il m’a été donné la
possibilité de dîner. Une terrasse entourée de buis, des personnes à l’accueil
devant l’entrée principale élégamment habillés ; tout semble à priori être
très luxueux.
« Del
Cambio » qui fût ouvert en 1757 et qui est l’un des plus anciens
restaurants au monde, était plutôt à l’époque réputé pour sa clientèle que sa
cuisine. Un certain nombre de célébrités y sont passées telles que Nietzsche,
Mozart, Maria Callas et Audrey Hepburn pour n’en citer que quelque uns, sans
oublier la « dynastie Turinoise », les Agnelli. Sous le régime
Napoléonien, le nom fut franchisé et devint « Café du Change », puis
le nom original fût réinstauré. Cette table devint alors la salle à manger non
officielle du premier parlement du pays. Une économie dans le pays qui déclina à
partir des années 80 et un lieu qui frôla la banqueroute en raison des coûts
élevés de maintenance. C’est alors en 2012 qu’un investisseur racheta l’ensemble
du bâtiment pour en faire ce qu’il est aujourd’hui.
Dans les
années 70, « Del Cambio » n’était fréquenté que par une clientèle
vieillissante et était un endroit où la cuisine était plutôt mauvaise et l’intérieur
complètement défraichi. Turin, capitale du slowfood, Fiat prenant le contrôle
de Chrysler, cet investisseur souhaita redonner la splendeur d’antan à cet
établissement. Les salles furent rénovées en s’inspirant du film le « Great
Gatsby » de Jack Clayton et du « Marie Antoinette » de Sophie
Coppola. Une centaine d’ouvriers rénovèrent le lieu en rafraichissant les boiseries ainsi que ce salon qui
date du 19ème. Pour amener
une petite touche un peu moderne, on demanda à l’artiste Izhar Patkin de décorer
200 assiettes de Sèvre.
Un premier
petit salon qui sert à l’accueil avant d’entrer dans cette merveilleuse salle.
Dans une
seconde salle qui est aussi utilisée pour la restauration, les panneaux
modernes ont été réalisés par le designer Martino Gamper. Les tables rondes
sont en bois assez épurées avec des chaises avec du velours rouge.
Même si l’endroit
est des plus chic, on s’y sentira parfaitement à l’aise sans jamais ressentir
une ambiance trop empruntée ce qui aurait pu être le cas. Voilà l’endroit que vous
découvrirez, chargé d’histoire, magnifique, romantique ; cette splendide
salle avec ces lustres de cristaux, ces gerbes de fleurs, ces chandeliers. C’est
tout simplement très impressionnant et émouvant.
Des tables
magnifiquement et classiquement dressées de nappes blanches et de couverts en
argent avec un petite bougie sur la table. Le service est incroyablement
professionnel, une armée de serveurs avec une probable hiérarchie, certains en
queue de pie, d’autres en costumes. Chemises blanches avec bouton de manchette,
nœuds papillon, il y a quelques chose d’un peu magique dans cette salle.
Mais venons-en
à la cuisine et au cuisinier. On pourrait s’imaginer immédiatement trouver une
cuisine très classique, presqu’un peu décalée par rapport à la génération de
cuisinier actuelle, eh bien non ou alors pas tout à fait… Matteo Baronetto qui
a travaillé au préalable à Milan chez Carlo Cracco sera tenté par cette
nouvelle expérience liée donc à l‘ouverture de cette nouvelle maison et se
trouve être en train de révolutionner la cuisine Piémontaise. Partagé entre une
cuisine séculaire et une approche innovante, ce repas sera une magnifique
expérience avec des hauts et quelque fois un peu moins de réussite que je vais
expliquer. Le problème majeur que l’on peut trouver en Italie c’est ce côté un
peu conservateur dans la gastronomie. Combien sont les chefs qui s’aventurent
vers de nouvelles contrées comme des Massimo Bottura et d’autres ? Eh bien
très peu. La clientèle ne peut concevoir de manger un plat complètement
transformé et c’est bien cela le problème de Matteo Baronetto. Il se sent
obligé de satisfaire plusieurs sortes de clientèle et sans ces plats
traditionnels comme par exemple le Financier, il y a fort à parier que le lieu
serait déserté par cette bourgeoisie turinoise. Un peu contraint donc d’avoir
une carte variée avec deux types de cuisine car on ne vient pas encore du bout
du monde pour sa cuisine personnelle. Une situation un peu comme un dilemme et
qui illustre clairement que « les étoiles », « le nom » et
probablement « la ville » influencent considérablement la cuisine d’un
chef. A ce jour un macaron mais pourrait bien se transformer en deux.
Aujourd’hui
nous avons particulièrement de la chance car la table qui nous est attribuée
était celle du premier ministre Cavour. Table située dans un coin d’où il
pouvait voir s’il était appelé depuis la terrasse du palais Carignano.
Avant de
regarder la carte nous prendrons une coupe de Ca’del Bosco Franciacorta 2011 Collection
Saten. Une méthode champenoise très élégante et fine à base de Chardonnay et de
Pinot blanc.
Comme
accompagnement une série de petites bouchées très inspirées entre classiques et
modernes avec une petite brioche surmontée de lamelles de mortadelle, des
olives avec une farce à base de veau et porc, une gelée de Campari avec une
touche de beurre de cacahouète et une madeleine aux amandes. Tout est gourmand
et dans un terrain de saveurs locales.
Il nous sera
également amené une corbeille de chips de riz parfumée avec diverses saveurs
comme épinard, seiche, tomate et aussi des fleurs de courgettes traitée comme
une chips.
La carte
reste très classique dans l’intitulé des plats mais ne donne pas toujours une réelle
idée de ce qui réellement arrivera. C’est pour cela que je vous recommande de
demander ce que sont les plats « signature » et ceux créatifs afin de
vraiment découvrir la cuisine du chef. La lecture de la carte laisse transparaître
qu’il y a deux sortes de cuisine. Comme le choix s’avère être difficile, deux
menus « dégustation » sont proposés en six et neuf plats respectivement
à 110 et 140 euros. C’est ce dernier que nous choisirons. Un menu composé au
dernier instant par le chef qu’il annotera sur un papier, composé seulement
partiellement des mets à la carte.
Pour commencer
une « feuille » qui s’avère être deux fins bricelets réalisés à base
de farine bise entre lesquelles se trouvent quelques feuilles de salade ainsi
que des œufs de saumon. Probablement une manière d’éveiller le palais avec le
côté très puissant de l’œuf de poisson et la touche croustillante. Un peu
mono-saveur mais une entrée en matière tout à fait plaisante.
Quelques
grissins nous serons amenés ainsi que deux excellents pains maison.
Première
réelle entrée qui nous impressionnera particulièrement avec des fèves surmontée
d’un sorbet à la fleur de sureau sur lequel on trouvera du caviar. A prime
abord un peu surpris de trouver des fèves non pelées mais celles-ci sont très
tendre et probablement contrastent avec le produit de luxe du dessus. L’idée d’un
sorbet doux et tellement parfumé avec le côté puissant des œufs de poisson est
une vraie merveille. Une assiette très étudiée tout en harmonie.
Seconde assiette
tout aussi mémorable à l’apparence plutôt classique mais elle aussi très
étudiée avec la Salade piémontaise. Non pas celle que l’on trouve un peu
partout mais on y trouvera chaque ingrédient complètement repensé. Légumes
découpés de diverses manières pour jouer avec les textures, diverses feuilles,
herbes, radis, asperges crues, oignons farcis, fenouil, champignon, poivron.
Certains légumes ont été légèrement marinés, d’autres sont simplement crus et
au centre quelques feuilles de salade dans lesquelles se trouve une farce avec
une fine saveur d’anchois. C’est très frais, parfaitement équilibré et avec
quelques belles découvertes en bouche plutôt inattendues.
Autre moment
assez impressionnant avec le jambon et melon Del Cambio. A priori on se
dirait.. « ah..du jambon melon comme à la maison…mais…. ». L’apparence
laisse pensif. Un morceau de melon enrobé de gras de porc…Eh bien non. En
bouche on hésite un moment et s’aperçoit que la fine lamelle blanche est
légèrement croquante. Il s’agit d’une fine lamelle de radis blanche cuite à
basse température avec du jambon Pata Negra de chez la célèbre maison espagnole
Josélito qui ne sert qu’à donner un parfum. Du jambon qui n’en est pas… A noter
que l’Italie reconnait en ce moment la qualité des produits espagnols et cela
reste plutôt surprenant.
Prochain
plat plutôt visuellement surprenant avec quelques feuilles de salade
Castelfranco cuites qui sont légèrement passées à l’huile d’olive et un piment
doux.
A côté
quelques crevettes rouges de San Remo.
On entoure
celles-ci dans une feuille avant de les déguster. La crevette est
exceptionnelle un peu semblable à celle de Palamos, encore bien moelleuse et
peu cuite. L’entourer de cette feuille de salade parfumée est un très agréable
moment gustatif.
Nous
poursuivons avec une surprenante et délicieuse crème brulée réalisée avec
seulement de l’huile d’olive extra vierge, de la gousse de vanille et de l’eau
de cuisson de seiches. Un plat réputé et qui est vraiment impressionnant car
monter une crème comme celle-ci sans œufs et avec un tel parfum est plutôt un
exploit.
Prochaine
assiette tout aussi créative avec une gelée de tomate sur un assemblage de
fruits et légumes. Une gelée réalisée avec l’eau de tomate sous laquelle l’on
trouvera des tomates, fraises de bois, champignons en fines lamelles, quelques
brins de fenouil. C’est d’unt très
grande fraicheur et légèreté.
On s’étonnera
de trouver une autre assiette avec deux morceaux de pêches et des lamelles de
poutargue. L’idée étant de finir le précédent plat avec des saveurs différentes
et fortes. Pas franchement nécessaire selon nous.
La suite
sera un peu moins convaincante avec tout d’abord des Taglioni rôtis, sauce
tomate et anchois. Les pâtes rubans sont simplement croustillantes, un peu séchées
avec un coulis de tomates et quelques morceaux d’anchois frais. Un peu trop
simple et en décalage avec les subtiles précédentes assiettes. A noter que
cette technique de préparation de pâtes se trouve aussi en Chine.
Nous
continuerons dans quelque chose de très classique mais parfaitement réalisé,
des raviolis à la scarole, olives noires, vongole et citron. Cela reste de
bonnes pâtes mais les saveurs seront moins impressionnantes que dans les
premiers plats.
Le plat
principal sera un bar cuit dans la laitue de mer, radis et salade d’algues nori.
S’il y a bien un critère de première importance, c’est non seulement la qualité
du poisson qui est ici irréprochable mais aussi sa cuisson. Et c’est un peu la
que le bât blesse. La chaire est un peu trop cuite même si le goût est là. L’accompagnement
est plutôt bienvenu mais comme ce poisson est vraiment au cœur de l’assiette on
regrettera cette minute de trop.
Le dessert
en forme de boule de chocolat noir dans laquelle se trouve une autre boule de
chocolat blanc et une préparation à base de noix de coco et d’ananas est aussi
un peu classique au niveau des saveurs et un peu trop sucré.
Quelques
jolies mignardises pour compléter ce repas. Tartelettes, noisettes enrobées de
chocolat et fines lamelles d’agrumes et betteraves séchées.
La carte
des vins est un vrai roman et un modèle dans son genre, cependant extrêmement
chère. Une bouteille de Vie Di Romans Flors di Uis 2013. Un superbe vin du
Frioul réalisé à base de Riesling avec une couleur dorée, des nez de rose et de
jasmin.
Ensuite un Nebbiolo
d’Alba Hilberg 2011, très agréable vin du Piémont, élégant, structuré avec une
belle harmonie au nez et en bouche.
Nous continuerons
cette très belle soirée en passant au premier au bar Cavour qui ressemble un
peu à une bibliothèque.
On y verra
d’anciens menus affichés dans des cadres ainsi que d’anciennes peintures. Un
très joli bar où l’on peut également manger quelques petites assiettes.
Face à ce
bar une salle pour passer la soirée avec quelques cocktails.
Et même un tout
nouveau salon où l’on pourra fumer le cigare.
On se
réjouira de passer par les cuisines où nous pourrons discuter un moment avec le
chef qui s’avéra être tout à fait ouvert à la discussion et à l’échange d’idée.
Depuis la
réouverture du restaurant, celui-ci a racheté l’ancienne pharmacie adjacente
qui a été reconvertie en un lieu pour prendre un café, une épicerie et pâtisserie-chocolaterie
la journée.
En sous-sol
une impressionnante cave à vin avec plusieurs milliers de bouteilles.
Un concept
très ambitieux qui ne peut en rester là avec tous ces investissements. L’avenir
nous dira si la clientèle sera présente dans cette très grande structure. Quoi
qu’il en soit, cette salle de restaurant est absolument remarquable, de toute
beauté avec une élégance sans équivoque. La cuisine de Matteo Baronetto est
encore partagée entre une créativité de très bon goût car n’utilise pas de
techniques moléculaires mais se plait à retravailler de manière complètement
différente cette cuisine Piémontaise. De assiettes souvent impressionnante de
justesse mais quelques-unes un peu moins convaincantes car peut-être trop
classiques. Il y a fort à parier que sa cuisine évoluera en fonction de la
clientèle et de sa reconnaissance internationale. Toujours est-il que ce fût un
de mes repas en Italie les plus impressionnant dans son ensemble.
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