Cette table
ne ressemble probablement à aucune autre que je connaisse en Catalogne et même
probablement ailleurs. Ma première visite dans le Vall de Bianya remonte à il y
a juste deux années et je me rappelais parfaitement de ce moment très
privilégié que j’avais vécu chez « Ca L’Enric ». Comme je le disais, pas
un restaurant étoilé conventionnel avec le service parfois un peu ampoulé ou
sans grande imagination qui suit les principes d’une bonne école hôtelières,
mais plutôt cette impression de se trouver presqu’en famille dans un lieu où
l’on « aime le client » et où l’on vous attend.
Un premier
repas aux heures du déjeuner mais cette fois-ci le soir, ce qui vous demandera
de trouver un endroit pour passer la nuit. Chose plutôt facile car il y a un
certain nombre d’hôtels dans la région.
Le long de
cette route dans la Garrotxa, vous ne pourrez manquer cette belle et ancienne bâtisse
grise avec son inscription extérieure moderne qui est un joli contraste avec le
lieu. Parking derrière la maison et passage par un couloir en pente pour
arriver sur ce joli patio où à l’époque il y avait encore un feu dans une
cheminée. Sur le haut, un coin pour de probables réceptions ou fêtes d’été.
Comme la première
fois, avant de passer à table, vous prendrez l’apéritif et ses amuse-bouches sur
cette très agréable terrasse entourée que de quelques murs avec un peu de
lierre grimpant ci et là, des parasols, assis dans l’un des fauteuils ou sur
l’une des banquettes Un accueil charmant par l’un des garçons qui s’exprime en
Français et quelques instants plus tard, l’un des propriétaires apparaitra.
Cette
famille Juncà avec Isabel et Jordi en cuisine, Joan en salle et pour la
cave m’avait grandement impressionné lors de ce premier repas. Une gentillesse
comme dans de rares endroits, une écoute attentive des clients et une
anticipation du service assez étonnante. Ce soir cela sera Joan qui viendra en terrasse
saluer chaque table et même très élégamment simuler un baise-main aux dames.
Les « menus
dégustations » de chez « Ca L’Enric » démarrent donc toujours
dans ce patio avec une série de petites bouchées présentées sur des éléments
naturels tels que bois et pierre. Il faut se rappeler qu’il s’agit d’une
cuisine Catalane réinventée mais complètement différente de ce que l’on peut
trouver en Catalogne chez les frères Roca et autres tables étoilées de
Barcelone. C’est une cuisine qui va à l’essentiel, le goût ! Toujours de
sublimes assiettes avec des éléments et ingrédients locaux de saison, des
recettes parfois séculaires et familiales revisitées. Ne vous fiez surtout pas
au menu décrit sur leur site internet car celui-ci est fréquemment changé,
pourrait induire en erreur si ce n’était pas la première fois que vous veniez.
Pour commencer nous voici proposé une flute de Cava rosé très agréable avant
donc de recevoir ces amuse-bouches qui semblent constamment changer.
Quatre bouchées
avec tout d’abord sur un support en bois sur lequel se trouve un croustillant bricelet
de parmesan sur lequel se trouve une gourmande mousse à base de tomates et poivrons
sous laquelle se trouvent deux macaronis, le tout appelée « el gratinat dels
macarrons ».
Ensuite une
astucieuse combinaison d’un croquant de peau de morue, de « l’esqueixada
de bacallà » qui est normalement un plat typique de la Catalogne, une salade
composée principalement de morue avec divers ingrédients mais ici avec du miel
de pin.
Nous
enchainons avec une pierre sur laquelle une peau de poulet croustillante sur
laquelle se trouve une crème de volaille et quelques lamelles de truffes d’été
de la région. Cela me rappellera ma première visite plus tôt dans la saison ou
la truffe d’hiver était à son honneur.
Et pour le
plaisir, la « coca de vidre » qui est une fine galette croustillante
sur laquelle nous trouverons de l’anchois de l’Escala et de « l’escalivada »
qui est une spécialité catalane, à base de légumes du pays, qui provient du
verbe « escalivar », qui signifie rôtir dans les braises. Une combinaison
de trois légumes frais, les poivrons, les aubergines et les oignons, ce met est
tout simplement savoureux à souhait, tendre et juteux, mais ici il a
complètement été repensé en créant de petites billes à leurs saveurs.
Très
intéressante idée que de proposer une bouchée appelée « la
carbonera », le charbon. Une référence à cette région volcanique qu’est
cette Garrotxa. A première vue, cela
ressemble à des morceaux de charbons empilés mais en regardant de plus près, il
y a deux gâteaux de pommes de terre découpés en rectangle qui ne diffèrent que
peu visuellement. Réalisés en fines lamelles un peu comme un gratin, ils seront
trempés dans une excellente sauce pimentées, faisant un joli et très élégant
rappel aux « patatas bravas ».
Puis pour
se rafraichir, un « Dry Tomatini » qui n’a rien avoir avec un Martini
mais une eau de tomates dans laquelle on trompe le dégustateur en faisant
penser qu’il s’agit d’une olive, mais pas du tout….c’est un raisin.
Voilà la
parfaite illustration de l’esprit de « Ca L’Enric », de solides
références à la cuisine catalane, des produits locaux et beaucoup d’idées. Avant
de passer en salle, une fois la porte principale franchie, vous traverserez le
salon et bar plutôt cossus mais probablement seulement utilisés par périodes
froides. Et ensuite le couloir avant d’arriver à la salle principale.
Mais avant
cela, nous aurons droit à nouveau à la visite de leur magnifique cave avec leur
impeccable sélection de vins de la Catalogne et d’ailleurs. Des bouteilles
parfaitement rangées dans des casiers de bois, un haut plafond joliment décorés
de grosses bouteilles vides qui représentent l’arbre généalogique de la famille
Juncà.
Et passage
immanquable devant les cuisines et la brigade en pleine action avec entre
autres, Isabel Juncà.
Et c’est
avec un très grand plaisir que nous retrouverons également Jordi qui se
rappelait de notre première visite. Quelqu’un de délicieux, à l’écoute, avec
lequel pour poursuivrons notre discussion enfin de repas.
Notre
maitre d’hôtel nous emmènera par la suite en salle mais nous fera saliver tout
d’abord avec un bol de verre dans lequel se trouvent un certain nombre de
truffes de la région.
Une salle
qui n’a pas changé mais ce soir un peu plus dans la pénombre puisque nous
étions venus pour le déjeuner. Ce qui me surprends à nouveau c’est l’espacement
entre ces tables offrant comme cela aux convives une certaine intimité. Les
lumières sont parfaitement axées sur chaque table, créant ainsi une ambiance presqu’un
peu particulière.
Le « menu
dégustation » est comme je l’ai indiqué au préalable presque complètement
différent de la première sauf un des plats « signature », le réputé
et délicieux sous-bois. Sur les recommandations du sommelier, nous démarrerons
avec une bouteille de Troç d’en Ros, cuvée Marcel 2013 de l’Emporda. Une
production confidentielle avec seulement un à peu près un mille deux-cent
bouteilles par année, un vin réalisé avec de vieux cépage de Xarello, une belle
élégance, complet en bouche. Des fruits murs, un léger goût boisé et des arômes
d’herbes.
Le pain qui
nous est servi est délicieux, surtout cette brioche un peu feuilletée à
l’excellent goût de beurre.
Nous
commencerons donc par ce plat signature appelé « sous-bois ». Une
assiette qui se doit de représenter la Garrotxa en cette saison. Visuellement
magnifique, il s’agit d’un plateau en verre dans lequel l’on voit de la mousse
végétale et sur le dessus, un tartare de bœuf, une sauce aux orties en dessous,
cette fois-ci de la truffe râpée et quelques fleurs. Ce tartare est
magnifiquement assaisonné, la sauce apporte une touche herbeuse en bouche
balancée par le goût de la truffe.
Avec donc
ce tartare, quelques toast joliment présentés sur une pierre et du beurre.
Une
magnifique découverte avec ce très rafraichissant et gourmand « jardin de
femmes », qui consiste à associer la tomate sous diverses formes. En
granité, en mousse ou plutôt espuma qui rappellerait les saveurs du gaspacho et
ensuite en cubes en dessous. Il y a une vraie cohérence dans cette assiette
très estivale mais aussi vraiment séduisante par son jeu de textures.
Et comment
ne pas continuer avec ces magnifiques petits pains feuilletés à la tomate.
Plat
suivant, le taco de poulet et concombres de mer qui sont consommées depuis des
siècles par les pêcheurs des pays Catalans. Généralement un accompagnement des
typiques plats mariniers catalans à base de riz safrané, mais ici au centre
d’une tortilla avec la préparation de volaille en dessous et quelques grains de
maïs. Cela n’a rien avoir avec un légume mais est un animal marin qui
avait complètement été ignoré en dehors de l’Asie. Puis, une poignée de grands chefs de Barcelone
sont intervenus. Grillés frais à la plancha, les « espardenyes » ont
commencés à être servis avec un filet d'huile d'olive, du sel marin et une
tranche de citron. A vrais dire, ici ce sont plutôt les gonades des « espardenyes »,
de couleur blanche et d'environ cinq centimètres de longueur, qui sont très
appréciées dans la haute cuisine. Un taco original, avec une saveur terre-mer.
Retour à
une délicieuse assiette plus conventionnelle ou plutôt dans un registre de produits
et de saveurs plus connues, le Suquet de rivière. Le Suquet est généralement une sorte de
bouillabaisse à la catalane réalisée par exemple avec de la langouste, des crevettes
et ces « espardenyes ». Il nous est expliqué qu’il s’agit d’une
recette du bouillon de la grand-mère qui a été revisitée au goût absolument et
agrémenté de petit raviolis végétaux réalisées avec du navet et farcis avec des
crustacés.
Seconde
bouteille avec le Gresa Expression 2009 de chez Olivardots, un vin rouge d'appellation
Empordà élaboré à base du meilleur de la grenache et du carignan, à la couleur
de cerise intense, avec des arômes de fruits murs.
Un poisson
pour suivre, une excellente bécasse de mer. Poisson auquel on a aussi donné le
nom de brochet de mer, parce qu’il ressemble à notre brochet, et que sa chair
en a le gout. Ici dans une sauce type hollandaise mais plus avec un gout d’œuf,
quelques légumes et fleurs de courgettes.
Maintenant
une énigme car je n’ai plus le souvenir de ce qu’étais ce plat qui semblerait
être un ajout au menu classique. Une probable surprise de Jordi, dégustée à une
heure tardive…et qui me semble être un plat inhabituel pour le restaurant.
Maintenant…seul le chef pourra me rafraichir la mémoire.
Cette
huitre appelée « Ostres quin morro !! », comme on peut le voir
dans l’assiette, une huitre chaude recouverte d’une feuille d’huitres et
accompagnée de quelques pois-chiches.
La par contre
un très bon souvenir de cette Botifarra de ventrèche de thon, truffe et chou.
La Botifarra est une saucisse catalane farcie de viande de porc mais ici
réalisée subtilement avec le meilleur de ce poisson, la truffe râpée sur le
dessus, un fond de sauce d’une très belle puissance et le chou pour une agréable
touche végétale plus légère.
Pour
terminer dans le salé, un délicieux canard avec littéralement en chinois la « mandarine d'or » qui est un
petit fruit rond ou ovale de 2-5 cm de long, on mange donc ce kumquat avec son écorce, ici avec une
farce. Parfaitement cuit et bien associé aux saveurs de ce fruit.
Passage au
dessert avec un très visuel pain doux, « cake à la carotte ». Une
reconstitution gourmande de ce gâteau mais ici déstructuré avec de fausses
carottes qui sont en réalité des bâtons glacés à la carotte déposés sur le
gâteau étonnement très léger.
Nous
poursuivrons avec un dessert très frais autour de la fraise avec un sorbet, une
crème et quelques brisures de meringues contenant le fruit et des morceaux en
dessous.
Autre
dessert très léger aux trois laits, déclinés sous forme de glace, espuma et
crème. Des laits comme entre autres brebis et vache.
Une très
belle surprise avec ce vin offert en dessert appelé Auslese ou plutôt un vin du
Dr. Von Basserman Jordan tonel 111 Auslese 2015 (Pfalz). Un extraordinaire
Riesling allemand d’une remarquable concentration en bouche. Aujourd’hui, ces
rieslings allemands comptent à nouveau parmi les plus grands vins blancs du
monde. Un côté mandarine à l’attaque et une finale portée par la verveine et la
citronnelle. Très beau jus avec une grande finesse qui inspirera un tout
nouveau dessert qui sera servi pour la toute première fois ce soir !
Je dois
admettre que de jouer au cobaye est plutôt très grisant et surtout de trouver
probablement le dessert le pus accompli que j’aie pu manger cette année. Une
assiette qui selon Jordi doit parfaitement s’harmoniser avec ce vin, répliquer
les saveurs mais à partir de divers éléments et textures. Du granité, un
financier, de la crème, une gelée. Des saveurs citronnées, de raisin, de
menthe, de verveine et j’en passe. Ce dessert est un monument de légèreté, de
saveurs ; une parfaite transcription du précédent vin.
Ce repas s’achèvera
avec le classique « volcan en éruption » qui à nouveau symbolise ce
Valla de Bianya et la région. Une série de mignardises qui seront momentanément
recouverte d’azote liquide.
Un second
repas et la même émotion qu’il y a deux ans. Cette table est magique, la
famille Juncà est à nouveau parvenu à nous surprendre non seulement
culinairement mais aussi par leur coté aussi humain et généreux. Une cuisine profondément
humaine, qui livre le meilleur de la région, des recettes de l’histoire de la
Catalogne mais avec cette touche créative qui est si différente d’autres
établissements. Une adresse tellement délicieuse et qui va bien au-delà de la
simple étoile.
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