Lorsque
l’on se trouve à Barcelone pour faire du tourisme, sans aucun doute vous irez
visiter les divers bâtiments de Gaudi et tôt ou tard vous vous trouverez à la
célèbre « Sagrada Familia », une extraordinaire cathédrale dessinée
par ce génie de l’architecture. Tout prêt de la se trouve un autre génie…certes
pas un architecte, quoique sa cuisine elle aussi est architecturée…ou je
devrais plutôt écrire le résultat d’une certaine alchimie…la transformation de
la réalité banale en une fiction poétique, miraculeuse ! Avec son étoile Michelin,
Jordi Vilà est un modèle de modernité et de créativité dans la nouvelle cuisine
catalane qui en a inspiré plus d’un. Certes Adria ou Arzak n’y sont pas pour
rien mais Vilà n’est surement pas quelqu’un qui s’amuse à plagier, loin de là.
Ici on ne peut qu’applaudir lorsque l’on comprend combien ce cuisinier est un
virtuose. Sa cuisine propose des plats très réfléchis, inspirés des recettes
classiques catalanes. Les produits sont évidemment de premier choix, les
recettes innovantes mais sans excentricités comme peut-être un Mugaritz.
Ma première
visite en 2012 m’avait tellement séduite que retourner manger ici ne pouvait qu’être
obligatoire.
Le décor de son restaurant est plutôt très épuré et principalement dans les tons blancs avec des lumières du designer catalan Carpyen, qui rend l’endroit plutôt minimaliste, très dans la tendance actuelle de plusieurs grandes tables espagnoles. Quelques sculptures un peu inspirées de Calder ci et là, dans cette salle en longueur où certaines tables se trouvent comme dans des alcôves. Une ambiance mais pas trop guindée non plus, un service compétent mais évidemment pas au niveau de trois macarons.
Sans hésitation c’est le menu Alkimia qui nous séduit à nouveau qui en tout cas
sur le papier promettait d’être sublime. Une fois le vin sélectionné, on nous
apporte pour démarrer une délicieuse tuile de fromage sur laquelle se trouve des
noix de macadamia écrasées.
Le premier amuse-bouche est un « shot »…Un verre
dans lequel se trouve dans le fond une eau de tomate sur laquelle se trouve un
filet d’huile d’olive et des brisures de pain. A côté une fine tranche de
saucisson que l’on déguste en premier avant d’avaler d’un trait la partie
liquide. L’impression est sidérante car l’on a l’impression de déguster une
réinterprétation du gaspacho mais approché de manière aérienne. C’est d’ailleurs
deux mets que j’avais déjà dégustés précédemment.
Arrive ensuite un extraordinaire panier de pain dans laquelle j’ai sélectionné
une tranche au fruit qui s’est avérée être d’une grande finesse avec ses fruits
moelleux comme des pruneaux et de l’abricot, ainsi que des noisettes.
Le second
amuse-bouche fut extraordinaire. Une fine tranche de thon qui a été fumée sur
laquelle se trouve une gelée subtilement vinaigrée et entourée d’une crème de
basilic. Les saveurs explosent en bouche, on en redemanderait…
Le premier plat sera pour moi la découverte de l’année dans la « catégorie foie gras ». Je n’aurais jamais pensé que l’on puisse trouve une alliance de saveurs aussi subtile et audacieuse qu’ici. De fines lamelles de foie de canard marinée rapidement dans un vinaigre et superposées avec une sorte de bricelets également très fin. Le foie gras râpé dessus comme un fromage. Sur le côté ces champignons locaux « rovallons » marinés dans le sel une année… et des morceaux de poires aussi marinés avec une sauce construite à partir de ces mêmes poires et quelques trompettes de la mort. Les associations vinaigrées, sucrées ou plutôt douce et salée se marient à merveille. On joue également avec les textures sur cette assiette. Un plat mémorable et une brillante démonstration que l’on peut toujours créer quelque chose de nouveau avec du foie gras.
Nous
continuons avec le tartare de poisson au caviar. Sur une assiette nous
trouverons une combinaison de maquereau et de gambas coupés en petits cubes. L’assaisonnement
est délicat car ni acide ni trop salé. La serveuse arrive avec un récipient
dans lequel une boite de caviar arrive et dépose une cuiller sur le dessus.
Autour une fine trace de sauce à base de yoghourt et de ciboulette. Le mélange
de toutes ses saveurs est très fin, c’est une très belle assiette réalisée avec
des produits luxueux.
Le plat
suivant nous aura un peu moins séduit malgré que le visuel soit plutôt soigné.
Une soupe d’oignon aux moules. Ces dernières arrivent décortiquées dans une
coupelle de très belle porcelaine turquoise sur quelques oignons émincés et
probablement cuits dans un bouillon. On vient y ajouter un bouillon au dernier
moment et on s’aperçoit que le tout devient de couleur bleue ! Ce que j’ai
compris c’est qu’au départ nous partons avec un PH neutre et que le bouillon
est réalisé avec de la carotte pourpre à laquelle on ajoute quelques gouttes de
citron qui transforme le tout en bleu.
Quelques petites algues sur le dessus pour ajouter un côté marin. Des
saveurs plus linéaires avec cette assiette que ce que nous avons eu au
préalable.
Petit entremets
un peu anecdotique selon moi avec une sorte de « crostini » sur
lequel on trouvera une préparation à base de crabe et de zestes de citrons
verts.
Pour suivre
une huitre en escabèche avec des joues de porc et des épinards. Un plat
complètement ahurissant tellement les saveurs explosent en bouche. Il s’agit d’
huitres Gillardeau marinées dans une sauce à base d’oignon, ail, de l’écorce
d’orange et de citron, de la coriandre en grains, du piment, du laurier, du
thym, du romarin, de l’huile d’olive et du vinaigre. Le porc lui est cuit dans
un bouillon pendant 10 heures à une température de 93 degrés ! Avec ce porc,
une sauce à base d’oignons, poireaux, carottes, ail, tomate, bouillon de poule,
thym, poivre de Cayenne. Il ne faut pas non plus oublier les épinards sautés
dans un peu de saké et de l’huile d’olive… Je vous explique grossièrement et
sommairement…ma compréhension de cette recette pour vous illustrer
l’ingéniosité d’un tel plat. L’huitre est magistralement présentée à côté de la
joue légèrement gélatineuse sur un lit d’épinard, et en bouche vous aurez une
sensation charnue et océanique, comme si des vagues s’écrasaient au fond de
votre bouche…
Pour continuer, une simple et fantastique crevette non décortiquée qui arrive sur un lit de sel odoriférant dans lequel on trouvera des feuilles de laurier brulées ainsi que des écorces d’agrumes râpées. L’idée étant de respirer l’assiette pour avoir quelques effluves marins et ensuite décortiquer cette splendide gamba de la région qui a cuit 3 minutes dans une eau frémissante lui conférant une texture encore moelleuse une fois l’enveloppe enlevée. Une approche un peu semblable de Asador Etxebarri.
Nous continuons avec une fine tartelette de pommes de terre au poisson. Des rondelles en un cercle sur lesquelles on trouvera de fines tranches de Saint Pierre, quelques oignons fondants, des tomates cerise confites et du persil plat. Un agréable met plus classique et sans aucun doute d’inspiration catalane.
Petit « ratage » pour le plat suivant qui devrait être une merveille…La bande de ravioli aux champignons. Une « sorte » de ravioli en longueur qui est enroulé au milieu duquel l’on trouve une duxelle de champignons. Sur le dessus de fine lamelles de truffes et sur les côtés des trompettes de la mort. On ajoute au dernier instant un jaune d’œuf cuit à basse température dans le creux du ravioli. L’idée de mélanger toutes ces odeurs de champignons est excellente mais une majeure partie de la pâte du ravioli est trop dure. Retour en cuisine et même constatation après un second essai. Il y a probablement un problème avec la pâte qui n’est pas ce qu’elle devrait être. Dommage.
Nous nous
sommes vu proposer en début de repas en place d’un pigeon le lièvre qui est un
plat plutôt rare. Celui-ci arrive « à la royale » mais en trois
services. En une délicieuse tourte ou plutôt pâté en croute.
En un
bouillon servi dans une tasse qui aura un sublime parfum entre épices et odeurs
de terre avec presqu’un côté de graines de café torréfiées.
Puis
finalement servi en assiette de manière plutôt originale sous forme de quenelle
accompagnée d’une fabuleuse sauce au vin réalisée avec les abats, le sang de la
bête et des alcools type porto et cognac. La consistance est parfaite, la sauce
a presque des effluves chocolatées. Un classique revisité et que l’on pourrait
même considéré comme allégé.
Les mets salés ayant été tous servis nous voici aux desserts. Je dois admettre que je ne suis pas « très sucre » et souvent déçus par ceux-ci. Il faut savoir que Jordi est un ancien pâtissier et cela expliquera pourquoi j’ai dû vraiment apprécier les deux desserts suivants.
Le premier
fut tout dans « l’acide » et « le végétal ». Pour commencer un sorbet à la
verveine avec un granité de vermouth et une base d’orange confite.
L’association est réussie, rafraichissante et magnifique avant le classique
dessert au chocolat.
Le couplage
d’une « sorte » de fondant, plutôt à mi-chemin entre une crème et un gâteau,
moelleux, fondant, à la saveur rarement égalée. Pour accompagner cela, un très
bon sorbet à la menthe. Par définition le cacao amène une certaine amertume
lorsqu’utilisé à fort pourcentage, ici amplifié par le côté croquant des
noisettes mais avec un coté très rond en bouche. Le sorbet est subtile et très
loin de ces saveurs mentholées chimiques que l’on trouve souvent en
chocolaterie. Evidemment l’association
des deux saveurs est connue et moins étonnante que le dessert au chocolat que j’avais
eu la première fois.
Encore quelques mots sur les vins ; en blanc un excellent Priorat Terra de Cuques 2012. Un vin joliment minéral avec des arômes de pommes.
Quelques
mignardises dont un sorbet aux fruits rouges avec une mousse de citron vert.
Jordi Vila est un peu un électron libre comme on plait à se dire chez les professionnels de la branche. Ce fut un excellent repas mais peut-être un peu moins aventureux qu’à ma première visite ou j’avais été ébloui du premier au dernier plat. J’ai aussi relevé que certains de ces mets étaient déjà présents il y a deux années de cela. A noter aussi que le prix de ce menu a sérieusement augmenté depuis la première fois et que pour 130 euros je m’attends a encore plus que ce qui m’a été servi. Malgré un plat qui s’est avéré un peu raté selon moi et un plus grand classicisme, cela reste l’une des plus belles tables barcelonaise dans la nouvelle cuisine catalane.
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