Il faut
quand même bien admettre que parfois il est difficile de de prétendre si une
table est meilleure qu’une autre dans le style de cuisine italienne plutôt
classique. Comment différentier deux établissements qui savent parfaitement cuisiner
les pâtes… Selon moi, il n’y a que peu de nuances et tout restera plutôt très
subjectif pour cette cuisine… Etre vraiment très étonné est plutôt rare même si
l’on sort toujours plutôt satisfait de la majorité des trattorias.
Eh bien « Consorzio »
c’est l’exception confirme la règle à savoir qu’il existe des lieux un peu
improbables où l’on déguste une cuisine que je pourrais qualifier de « traditionnelle
inventive »… On se demandera bien ce que cela veut dire… Je vais m’expliquer.
Cette table
toujours dans le centre-ville n’est pas franchement des plus attirantes lorsque
l’on voit le bâtiment extérieur avec sa devanture plutôt banale mais une fois à
l’intérieur, on s’étonnera par le côté assez convivial, entre trattoria et lieu
branché « slow foodiste ». Deux salles au charme presque désuet mais décorées
dans le but de surprendre avec des murs peut-être faussement abimés pour donner
un aspect un peu vieillot ; des chaises disparates, des lampes murales
assez artistiques et un ensemble d’affiches toutes vantant les mérites du vin.
Un petit
comptoir central et un tableau avec les crus au verre. Il y a quelque chose de
très calculé dans ce décor car on décèle immédiatement le côté épicurien de cet
endroit où l’on a affaire à une équipe très pointue rien que déjà dans la
discussion de la prise de la commande mais aussi en expliquant le concept
culinaire qui se cache derrière tout cela. Un ensemble de plats qui semblent très régionaux
mais à qui on a insufflé une approchante nouvelle dans la construction ou les
associations parfois téméraires mais justes.
Dans un
autre coin, un très joli plateau de fromages de la région et les huiles d’olives
choisies.
Signe que l’on
est arrivé dans un lieu qui connait ses grands classiques presque inconnu des
jeunes générations, un affiche de la « Grande Bouffe », film de 1973
de Marco Ferreri qui avait fait scandale à l’époque. Une histoire de suicide gastronomique, de quatre
hommes qui veulent mettre fin à des vies monotones en mangeant jusqu'à en
mourir, non sans inviter des femmes pour ne pas mourir sans orgasme, racontant
aussi la société de consommation, la vacuité des plaisirs de la chair.
Présentation
de la carte et quelques moments de réflexion…Ce qui est admirable c’est que
face à notre hésitation, tout de suite notre serveur nous a aimablement proposé
de partager chaque assiette en deux afin d’avoir un éventail de plats plus
large que normalement. Et quand je dis partager, ce n’est pas « se passer
l’assiette » à mi-parcours…mais de servir à chaque fois deux assiettes !
Premier plat
le « Capunet » avec de la moelle fumée. Le « Capunet » est
un plat piémontais traditionnel qui est un rouleau de chou. Il est traditionnellement
préparé avec des restants de viande la veille et plus
généralement avec ce qui est se
trouve au réfrigérateur. Il n’est
d’ailleurs pas rare de trouver sur les
tables ce met après les fêtes de Noël, lorsque l’on veut
éventuellement retravailler les restes. Evidement ceux-ci sont préparés sans
restes et l’on peut y déceler un mélange de viandes hachées très fine, de
jambon cru, de chapelure, parmesan, des herbes et surement de l’œuf. Si la
recette n’est pas totalement juste, on s’en approche ici… Ce chou est absolument délicieux ici et
accompagné d’un os à moelle coupé en deux sur lequel j’imagine on a saupoudré un
peu de sel fumé. L’association du chou et de ce goût fumé de la moelle est prodigieuse !
Second met
qui sur le papier aurait pu sembler un peu étrange mais qui s’avéra être à
nouveau tout à fait exceptionnel. Le poulpe grillé et cervelle de veau sur une
crème de pommes de terre au citron. Jamais je ne me serais imaginé que cette
association fonctionnerait mais bien au contraire. La cervelle est panée et frite ;
le poulpe est grillé et découpé en tronçons. La pomme de terre au-dessous est plus
proche d’une sauce qu’une purée, quoique l’énoncé parle bien de crème, ce qui
est plutôt très juste. Très fine et délicatement parfumée au zeste de citron,
du basilic frit et un peu de paprika fumé saupoudré. La combinaison de ces
trois textures est absolument parfaite.
Nous
partagerons ensuite tout d’abord des « Agnolotti Gobbo ». Je dois
admettre qu’à ce moment je suis un peu confus avec la géométrie des pâtes. Je comprends
que les Agnolotti sont proches des raviolis mais réalisés avec un seul cercle
ou carré de pâte plié en deux alors que le Ravioli est réalisé avec deux carrés
de pâtes…Toute la différence ! Des pâtes dont la recette originellement
provient d’Asti, avec une farce à base de veau, porc, lapin, saucisse,
parmesan, scarole. Des pâtes certes classiques mais délicieuses avec ce beurre
légèrement assaisonné au parmesan.
Nous
continuerons avec des raviolis à la financière. J’avais déjà décrit l’origine de
ce classique turinois, le « finanziera » ou financier piémontais que
nous avions dégusté la veille
et je dois dire qu’à part les ingrédients, le résultat fut plutôt assez
différent et à nouveau extraordinaire. Imaginez la recette traditionnelle
mélangeant tous ces abats de coq et veau qui seront utilisée comme sauce pour
les pâtes mais en plus, chaque pâte a une farce différente ! Un ravioli à
la crête de coq, un au ris de veau, le troisième à la cervelle et ainsi de
suite. Le résultat est d’une très grande délicatesse et ne devrait pas choquer
quelqu’un qui serait réticent à ce type d’ingrédients. Un très grand plat !
A noter que je ne suis plus trop sur s’il s’agit de raviolis car la forme me fait
plus penser à une pâte de la famille des Tortelli pour les puristes… cela ne
change en rien le résultat.
Troisième
plat de pâtes, les « plin » d’orties farcis au fromage de chèvre au
beurre d’anchois et thym. Les « plin » sont des sortes d’Agnolotti
pincés ou plissés. Réalisé avec une pâte aux orties, la farce de fromage s’associe
parfaitement avec le goût de l’anchois et de l’herbe.
Comme
dessert une crème de mascarpone avec des biscuits de Savoie. Lorsque l’on dit
Savoie on devrait préciser Savoie italienne à l'époque du Duc Amedeo IV de
Savoie dont les pâtissiers créèrent ces petits biscuits en l'honneur du Roi de
France. Ils devinrent si célèbres qu'on trouve la recette dans le livre
d'Alexandre Dumas "Le Grand Dictionnaire de Cuisine" et
servent au Tiramisu. Ici ils accompagnent cette crème qui est bien plus légère
que le dessert italien le plus connu au monde.
Pour terminer
quelques biscuits avec une très bonne crème citronnée.
Pour accompagner
ce repas, un Grignolino d’Asti de la Cascina ‘Tavijin 2013. Comme le nom l’indique,
le cépage Grignolino ; un vin assez particulier du Piémont plutôt clair avec
un léger goût de cerises amères. Très plaisant et parfait pour un déjeuner.
Voici une
remarquable table qui en quelque sorte innove et ne propose pas que des plats
piémontais comme l’on pourrait trouver un peu partout ailleurs dans les bons
établissements. Les ingrédients sont choisis, les préparations étudiées, les
saveurs très pointues et le dressage sur de belles assiettes en terre cuite
apporte une touche visuelle très plaisante. Nous n’avons que pris des entrées
et « Primi », mais les « Secondo » semblèrent également
être très intéressants pour un diner. Probablement l’une des plus belles tables
turinoises.
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