jeudi 6 décembre 2018

La Estrella, Barcelone


Je me demande aujourd’hui pourquoi je n’avais pas eu l’idée jusqu’à présent de venir dans cet établissement. Un établissement pas du tout récent puisque son ouverture fût en 1924 avec l'arrière-grand-mère du propriétaire actuel. Mais ce n'est qu'en 1992 que Jordi Baidal et son épouse Pepi en ont fait ce qu'il est aujourd'hui, un restaurant historique que tous les gourmands devraient connaître. Donc je me demande vraiment pourquoi j’ai manqué cela jusque aujourd’hui ! Ce qui est le plus étonnant c’est que les réseaux sociaux n’en parlent que rarement, qu’il n’y a pas une explication logique à la raison pour laquelle un endroit d'excellent niveau, comme « La Estrella », est relativement peu connu, en tout cas par un grand nombre de « foodies ». La seule explication est que peut-être le fait que les nouvelles générations pourraient avoir une image d’un lieu ancien, ce qui est bien loin d’être le cas ! Mais aussi on peut penser que l’établissement possède sa fidèle clientèle et n’a aucune envie que de rendre le lieu plus médiatique.


Niché derrière l'Estació de França, à mi-chemin entre El Born et La Barceloneta, ce restaurant propose une délicieuse cuisine d'inspiration méditerranéenne préparée avec d’exceptionnels produits et beaucoup d'honnêteté. C’est d’ailleurs le chaleureux Monsieur Jordi Badal qui nous a admirablement conseillé lors de ce repas, parle un très bon français et qui s’est montré fort arrangeant puisque nous fûmes après le repas rejoints par une autre personne.




L’intérieur est vraiment très beau et probablement a dû l’être récemment réaménagé sans en avoir la certitude. Une très belle salle avec des tables élégamment dressées de nappes blanches, des banquettes de couleur vert olive, des luminaires simples mais de très bon goût, de belles et grandes baies vitrées qui donnent sur cette rue finalement un peu cachée.



L’établissement est le reflet de cette philosophie que je viens de mentionner : chaleureux, petit et familière, avec une décoration fonctionnelle à l’écart des mises en scène anciennes ou trop modernes mais tout de même assez élégant. Un endroit où vous vous sentirez rapidement chez vous.

Quelques traces du passé avec une horloge murale, des briques apparentes à certains endroits et quelques jarres de verre en hauteur. Sobriété et charme, voila comment l’on peut décrire l’endroit.


Comme c'est un restaurant basé sur la cuisine du marché, vous y trouverez des poissons, des fruits de mer et surtout la morue sont la spécialité de la maison. La carte propose des plats classiques de la maison et d’autres spécialités, généralement servies en portions généreuses avec des sauces soignées. Les suggestions sont présentées par le propriétaire et le maître, M. Baidal, avec une passion louable, mais à moins que cela ne soit explicitement demandé, le prix n’est pas mentionné, ce qui n’est pas un problème majeur car ici c’est une maison de confiance et les prix sont tout à fait raisonnables compte tenu de la prestation offerte. Il vous présentera généralement des plats en l'honneur de l'arrière-grand-mère, la fondatrice de l'établissement ; des plats traditionnels chargés d'histoire.  Et pour patienter, quelques petits choux dans un genre gougères, vraiment excellents.


En plat du jour, l’une de mes plats préférés qui ne se trouvent pas très souvent sur les cartes des restaurants, les anémones de mer. Elles poussent sur les rochers, à quelques centimètres sous l’eau. Elles se préparent comme ici généralement en beignets. Les uns recommandent de simplement les frire en chapelure, et de les assaisonner d’un soupçon de persil, et d’un filet de citron, d’autres préfèrent les frire dans une pâte à base de farine et d’œufs. C’est une rareté toujours savoureuse.


L'offre peut changer assez en fonction de la période de l'année, mais si vous avez la chance d'essayer les canyuts, une sorte de petits couteaux du Delta de l'Ebre, ne les manquez pas car vous ne les trouverez pas sur les différents marchés de la ville. Ils sont très savoureux et ne contiennent pas de sable. Ils sont absolument idéaux pour aiguiser votre appétit. Normalement c'est un plat fixe à la carte tant que la mer le permet parce que lorsque celle-ci est agitée, ils deviennent beaucoup plus difficiles à attraper et « La Estrella » sont très exigeants avec la qualité de leur matière première. Ici ils sont donc salés, préparés avec de l'huile d'olive, puis saupoudrés de noisettes broyées, une recette qui est presque devenue légendaire. Un plat que vous n’oublierez jamais et que nous avons même commandé deux fois !


Autre entrée sur les suggestions du jour, des lentilles noires avec une tranche de foie gras poêlé. Surnommée caviar végétal ou caviar des lentilles, la lentille Beluga est un légume sec de couleur noire. Originaire du Canada, elle est riche en fibres, en protéines, vitamines et minéraux. Bien ronde, noire et lisses, sa saveur douce proche de la noisette et de la châtaigne sublime de nombreuses préparations. L’ajout du foie-gras chaud est bien entendu une parfaite association, la vinaigrette bien équilibrée, la tuile de fromage est délicieuse.


Puis on sait que les plats de morue sont une marque de la maison et indispensables pour tout gourmet, nous choisirons la morue à la mousseline d’ail noir, plat à la saveur douce avec une sauce onctueuse. La cuisson du poisson est une référence ainsi que sa texture. Plat pas trop salé avec en plus de fines lamelles de topinambours en garniture. Une excellente assiette avec un très beau produit.


Nous serons comblés avec cet extraordinaire filet de thon provenant toujours de la région du delta de l’Ebre. Thon bluefin qui a été pêché selon le TAC (Total Allowable Catch) que le SCRS (Scientific Committe) de l’ICAT a défini comme durable. Un poisson qui a été nourri exclusivement de pêche extractive, sans aucun additifs, antibiotiques ou compléments alimentaires. On peut aussi prendre connaissance du pédigrée du poisson sur internet, donc sa traçabilité. Sa cuisson est un modèle du genre car cela peut paraître évident mais cela ne l’est pas. Avoir le centre encore moelleux et presque cru mais non froid, nécessite un sacré tour de main. Ce que l’on apprécie c’est de ne pas trouver d’ajour à ce produit comme c’est souvent le cas avec du sésame et autres idées asiatique dans une approche « tataki ». Ici c’est le produit, sa texture, sa saveur, et voila…c’est tout bonnement parfait. Quelques pimento del Padron et si on le souhaite une sauce additionnelle sur le côté.


Un seul dessert avec une excellente crème glacée au fromage de chèvre. Original, onctueux et délicat.


Un fromage pour l’un des convives avec une pâte de coing. Fromage de chèvre d’une certaine puissance dont je n’ai pas noté le nom.


Comme vin, ce fantastique Montsant Acustic Blanc 2016, couleur jaune paille aux reflets assez dorés. Au nez une bonne intensité aromatique aux notes de fruit blanc mûr (pommes, poire et abricot) avec quelques nuances de fruit tropicale et d'agrumes. Ils sont accompagnés d'arômes floraux subtils, fleurs d’oranger et touches d'herbes aromatiques intéressantes sur un fond onctueux de pâtisserie et notes grillées.


Une très belle adresse avec beaucoup d'âme, de tradition familiale et un grand respect pour la matière première. Cela peut sembler évident mais, précisément dans cette synthèse de simplicité, certes beaucoup plus difficile à réaliser qu’il ne le semble, réside le succès de cet établissement comme le montre toutes les années de sa création depuis 1924. Une magnifique table qui continue à fidéliser sa clientèle et à conserver, année après année, le type de cuisine qui les identifie, en dépit du fait que l'on en parle très peu (du moins dans les médias), c'est probablement parce qu'ils font quelque chose de bien. En tout cas, nous avons adoré !

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