dimanche 16 août 2015

In De Wulf, Dranouter




Presque chaque année j’ai la chance de découvrir une table totalement exceptionnelle qui me laissera de magnifiques souvenirs probablement pendant plusieurs années. Maintenant le terme exceptionnel peut signifier différentes choses pour différentes personnes.  Certains apprécient le maniérisme, le classicisme ou je ne sais quel qualificatif pour une table qui se voudrait être au plus proches des « règles strictes de la restauration » soit par le service, soit par tout ce qui est décoration et évidement par des mets réalisés à la perfection selon les principes culinaires des grandes écoles de cuisine.

En ce qui me concerne, exceptionnel c’est quand je ressors d’un endroit où je me dis que quelque de différents s’est passé et que l’on y a passé un moment comme nulle part ailleurs. Un lieu improbable, un service de qualité mais loin de ces tables où l’on est entouré de personnages en queue de pie….Ici ce sont des assiettes sublimes, magnifiquement présentées, des plats qui ne ressemblent à rien de ce que j’ai pu déguster ailleurs, une ambiance un peu irréelle, un magnifique et original décor, une ambiance où l’on se sent attendu, accueilli et respecté…

Eh bien c’est tout ceci que nous avons eu la grande chance d’apprécier chez « In De Wulf », une table dans les Flandres à quelques kilomètres de la frontière française et non loin de Lille. Un établissement qui au long des années a atteint un incroyable niveau de notoriété probablement cette fois-ci grâce aux « foodistes » de tout genre et même un peu le bouche à oreille. Pour les amateurs de classement, je me rappelle que le OAD avait classé cette table en 2012 no 30,  en 2013 no 5, et en 2014 no 1… Le GM l’avait choisi Kobe Desramaults comme cuisiner de l’année 2013 et seul le Michelin n’a vraisemblablement pas compris grand-chose à sa cuisine en ne lui attribuant qu’un seul macaron. Ce qui à mes yeux discrédite ce guide d’une autre génération et qui est totalement dépassé, mais là n’est pas le sujet.

Pour un peu comprendre qui est ce Kobe Desramaults sans évidement le connaitre personnellement, je qualifierais ce chef au look « actuel » avec son catogan « à la chinoise » et sa barbe de quelques jours, de quelqu’un qui se dépassera continuellement pour inventer de nouvelles assiettes mais surtout partager sa passion de la cuisine du nord. Une cuisine avec plein de clin d’œil à la Belgique mais aussi probablement aux Pays-Bas bien qu’il restera surement assez difficile d’identifier « qui le premier a inventé une recette… ».  Un chef qui s’est entouré d’une brigade complètement internationale avec aussi bien de jeunes cuisiniers provenant du Canada, des Etats-Unis, d’Australie ou d’Asie. Une équipe qui se surpasse avec une motivation apparente comme dans peu d’endroits, chacun venant à votre table vous expliquer en détail le concept et les ingrédients d’un plat. Un ballet de cuisinier encadré par Kobe qui lui aussi viendra à votre table pour probablement commenter ses assiettes favorites. Une impressionnante expérience de quelques heures dans un lieu plutôt inattendu…

Dranouter dans la commune belge de Heuvelland située en Région flamande dans la province de Flandre-Occidentale est l’endroit où se trouve cette ancienne ferme flamande de « In De Wulf » au milieu de  plaines vertes, humides et argileuses.  C’est en face d’un champ de maïs que vous trouverez un parking et cette très belle grange  que vous longerez par le côté droit par un petit chemin bordé de buis et d’hortensias.





Vous entrerez probablement dans la ferme et immédiatement vous devriez être émerveillé par la beauté du lieu. 



La structure est restée intacte sans sombrer dans un modernisme qui parfois pourrait devenir presque commun lors de rénovation. Les murs en briques ont été peint en blanc, le mobilier est dirons-nous entre rustique, paysan avec une inspiration très nordique. Des éclairages très doux, des bougies et des gerbes de fleurs tels que des tournesols, des plantes séchées qui sont suspendues au plafond. Tout est harmonieux et d’une très grande beauté.



A côté de la réception, un salon avec de de confortables fauteuils aux tons chatoyants, face à un poêle et une décoration réalisée avec des épis de maïs et de fleurs des champs séchées. Un endroit où il doit être très agréable de passer un moment lors de temps maussade.



Mais en été c’est sur la terrasse que vous démarrerez votre repas. Un patio ombragé avec une série de tables simplement dressées de chemins de table. Soit vous pourrez manger à l’extérieure soit à l’intérieur qui sera ma recommandation car la salle intérieure est vraiment exceptionnelle. 





Une fois accueilli et installé dans le patio juxtaposant un très joli jardin, le menu vous sera amené sur un morceau de bois. 


Le menu dégustation est à 160 euros et  peut être associé à des vins ou même une impressionnante série de jus de légumes ou fruits. Nous choisirons pour l’apéritif non pas du vin mais une remarquable bière brassée pour la maison, une gueuze « Mira belle ». Une impressionnante bière réalisée avec deux lambics dans lesquelles ont été ajoutés de la camomille et de la berce, une plante herbacée qui parfois est donnée comme nourriture aux lapins. Le nom de cette bière étant le prénom de la fille du chef.  Une acidité classique de la gueuze, un côté fruité, des arômes d’herbes ; une boisson qui accompagnera parfaitement les amuses bouches en lieu et place des classiques champagnes ou autres vins.



Première bouchée qui immédiatement ouvrira l’appétit par son côté très vert et sa fraicheur, le maquereau et cœur de laitue. Une comparaison rapide avec certains plats asiatiques où justement la salade sert de support pour amener cette fraicheur mais aussi une texture croquante avec à l’intérieur le maquereau qui lui est fumé et sur le dessus de feuilles de capucine. Une bouchée qui met vraiment en appétit.




Nous continuons avec un surprenant bulot. Quelques coquillages sur de la glace pillée pour décoration avec dessus une brochette où est enfilé le bulot qui a été cuit dans un court-bouillon. Sur le dessus une fine mayonnaise montée au jus de bulot, au parfum de réglisse et de fenouil. Une belle façon de mettre en valeur un produit typique de la mer du Nord.



En suite la peau de porc, groseille blanche, capucines.  Une technique probablement d’inspiration asiatique avec de la couenne de peau de porc qui est frite, sur laquelle nous retrouvons quelques fruits acides, également des épinards, de la poudre de moutarde et de l’estragon. A nouveau les associations et textures sont subtiles et parfaites.


Autre magnifique moment avec les escargots de « Comines ». Les escargots sont moelleux, chauds et entourés d’une fine poudre de poireau. Comines étant l’endroit où sont élevés à la ferme Helicicole les gastéropodes de type gros-gris.


Nous poursuivons avec l’exceptionnel foie de lotte et seigle. Sur une tranche de pain, trois fines lamelles de ce foie qui  offre une texture assez dense comme le foie gras mais avec certes une saveur très iodée. On y identifiera un léger goût de miel sur le dessus ; la ciboulette apportera un côté frais en bouche.



Et pour terminer, la dorade sébaste : royale et ceviche. Un très bon ceviche avec un poisson évidement de très grande fraicheur et magnifiquement mariné,  avec de fines lamelles de radis pour apporter une touche croquante.


Quelques mets qui ne font pas partie du menu mais qui vraisemblablement sont conçus au dernier instant, imaginés ou spontanément cuisinés pour le plaisir du client que nous sommes. Un œuf dans lequel on peut trouver une incroyable association de miso de crevette et de bouillon de crabe ainsi qu’une touche vinaigrée. Une puissance en bouche qui nous rappelle que la mer n’est point loin.


Une série de mises en bouches qui sont exceptionnelles, proches de la nature, utilisant les produits régionaux avec sobriété mais aussi créativité.

Avant de passer à table nous aurons la chance de pouvoir passer par les cuisines où l’équipe s’affaire à préparer et dresser les assiettes.












Evidement c’est une question de goût mais pour moi la salle principale qui fut à une époque la grange et l’étable est absolument magnifique. Un côté assez très épuré et rustique mais sans tomber dans quelconque cliché de ferme rénovée avec lourdeur…comme c’est souvent le cas. Des tables en bois sans nappes mais élégamment dressées avec des bougies, des chaises au design très scandinave, de la brique aussi bien au sol que les murs mais qui eux ont été peints en blanc. Les tables sont très bien espacées pour laisser assez d’intimité aux convives. Une lumière très douce même en pleine journée confère au lieu un côté très intimiste.










Un style très actuel car de plus en plus nappes et vaisselles classiques disparaissent des tables étoilées. A noter qu’il y a quelques années, les photos du restaurant montraient des tables plutôt très classiques dans le dressage.


Les lumières sont soit au sol réalisées avec du bois flottant et celles au plafond ont un côté plus industriel. Afin d’éviter de se retrouver dans une grange ou tout serait simplement aligné, quelques demi-niveaux ont été créés afin de casser le côté longueur de cette salle à manger.

Notre chef  ne plaisante pas avec le « fait maison » car le pain qui nous est offert et excellent, au levain et cuit au feu de bois dans l’âtre qui se trouve derrière la ferme.


Il sera accompagné d’huile de colza, premier pressurage à froid du Hofter Vrijlegem de Asse  et un beurre à la crème de Sec-Bois tourné maison. 


Autre signe de notre temps, les couverts sont amenés tous ensemble dans des râteliers de bois. Nouvelle approche de présenter de manière moins conventionnelle les couverts lors d’un repas. A noter également que la vaisselle elle aussi est très contemporaine avec parfois des assiettes en poterie ou alors cette vaisselle typique de la Flandre avec un fond blanc et de fins dessins bleu.


Premier plat appelé salade « monde de milles couleurs ».  Une sorte de mille-feuilles d’une très grande fraicheur composée de fines lamelles de courgette, de concombre, de topinambour, de céleri avec une sauce à base d’anis, d’hysope, des fleurs de capucines et étonnement de Saint-doux pour apporter un côté un peu gourmand et moelleux en bouche. Le genre de met exclusivement préparé avec des légumes qui n’est pas simple de composer car on pourrait tomber dans quelque chose d’un peu sec ou fade, ce qui est loin d’être le cas ici. On pourrait même se rappeler le célèbre « gargouillou » de Michel Bras qui lui aussi est exclusivement végétal.


Une très originale manière de préparer la courgette ; ici ronde, amenée à table avec son chapeau qui par la suite est découvert. On trouvera une onctueuse crème de ce légume sur laquelle sera ajouté un caviar osciètre de Belgique élaborés à partir des œufs de l'esturgeon sibérien. Un plat absolument divin. Associer caviar et courgette est une fantastique idée.


Nous continuons avec le tourteau de la mer du Nord, chou-fleur. Le tourteau est recomposé comme un flan où l’on peut discerner quelques senteurs de miel et de vinaigre. Le chou-fleur est râpé et assaisonné simplement afin de ne pas écraser le goût du crustacé. Une combinaison parfaite.


D’entrée j’avoue que je ne suis pas un grand amateur d’homard. C’est plutôt simple…c’est un produit qui n’est que très rarement bien préparé, trop cher pour ce qui est servi dans la plupart des établissements et un peu trop là pour impressionner la galerie.  Une hérésie sur la plupart des plateaux de fruits de mer car caoutchouteux et de provenance souvent douteuse avec une fraicheur pas toujours garantie. Même dans certains établissements renommés, il est parfois pas bien cuit ou alors noyé dans une sauce qui enlève toute sa finesse. C’est plutôt simple…les deux seules tables ou le homard fut une perfection fut chez les exceptionnels Alexandre Couillon de la Marine à Noirmoutier et chez Eneko Atxa de chez Azurmendi à côté de Bilbao.

Voici depuis aujourd’hui la troisième fois où l’on rend justice et de plus de manière exceptionnelle à ce crustacé provenant d’Audresselles. D’après ce que j’ai compris, cuit-en deux fois avec un rapide plongeon dans l’eau bouillante, ensuite dans la glace et une cuisson finale pour conserver tout son moelleux. Préparé au beurre blanc avec une maestria parfaite et de légères fragrances citronnées qui magnifient superbement le plat. Je ne peux que qualifier d’exceptionnel ce plat qui ne mérite finalement pas grand-chose de plus dans son accompagnement.


Autre magnifique assiette avec le calamar et cornichon. Non pas des cornichons au vinaigre….mais frais en lamelles. Un  jus de concombre fermenté et une sauce à base de  l’encre de seiche pour compléter ce mollusque très tendre.



Un moment plutôt impressionnant lorsque l’un des chefs barbu évidement tatoué… (un «must »…en 2015…) arrive avec une « Eclade de moules », un plat de plage. Une préparation typique des Charentes Maritimes qui consiste à apporter un plat où les moules doivent être dressées verticalement et ensuite recouvertes d’aiguilles de pin. Ici c’est avec du foin qu’elles ont été recouvertes. On soulève le dessus et dégustent ces moules qui sont étonnement très parfumées aux saveurs de foin. Certes quelque chose de simple mais tellement essentiel. Le produit est magnifique, la cuisson sublime le produit, un peu comme chez un Asador Etxebarri.




Encore une illustration que Kobe qui passe à notre table, souhaite faire partager ses recettes de sa famille ou celles qui sans aucun doute sont séculaires comme le « Zurkelstoemp », une purée à l’oseille qui est une plante au goût légèrement acidulé et citronné. Kobe amène des pommes de terre cuites avec leur peau dans le sel et la cendre. La boule de cuisson est donc brisée.


Dans un bol, on trouvera l’oseille ciselé.


Et sur le côté un beurre manié à la moutarde.


Vous écraserez le tout pour en faire donc une purée… Une combinaison douce et magique, et qui s’épouse aussi bien avec les viandes qu’avec les poissons mais ici simplement en dégustation. Il faut aussi savoir qu’au préalable la maman du chef tenait dans le même lieu un café où elle servait une cuisine flamande traditionnelle.


Nous continuerons avec une très gouteuse tartelette de joue et de cervelle de porc servie sur un crâne.



En plat principal un poulet de « Lauwe », salicorne, câpres d’ail des ours. La volaille est moelleuse, sur le dessus sa peau croustillante et sur le côté un agréable mélange de salicorne au léger goût marin et ces câpres qui sont en fait les bourgeons de l’ail des ours avant floraison qui apportent un subtil goût aillé. Un fond de sauce basé sur un miso et de l’estragon. Un plat presque classique mais tellement bien cuisiné qu’il en devient merveilleux.


Comme premier fromage, une excellente idée que d’amener une flamiche au vieux gris de Lille. La flamiche est une sorte de tarte traditionnelle de la Belgique mais que l’on retrouve également dans le nord de la France. Le vieux Lille est une pâte de Maroilles. Salé deux fois, sans croûte, de couleur grisâtre à odeur légèrement ammoniacale, son goût est plus prononcé, plus salé et un peu piquant. Un met de fin de repas tout à fait de propos rien que pour le côté régional mais aussi parce que vous serez encore en appétit pour déguster ce met.


Second plat de fromage ou peut-être dessert avec le caillé de chèvre et verveine. Un fabuleux mélange où l’on retrouve un granité de verveine, du chocolat blanc, le fromage frais en dessous et le chèvre plus sec râpé sur le dessus.


Le tout est servi dans un bol de glace d’un très grand esthétisme.


Second dessert avec les prunes et coquelicots. Sur le dessous des prunes confites dans une sauce de coquelicots et sur le dessus une crème brulée à la capucine. Un dessert très gourmand.


Et en fin de repas, oseille et concombre. Une incroyable meringue a l’oseille avec un sorbet au concombre qui laissera en bouche une impression de grande fraicheur.


Quelques petites mignardises pour achever ce repas avec des tartelettes aux myrtilles qui elles ont vraiment du goût, de simples mais divines framboises et pâtes de fruits.


Il ne faudra pas terminer ce repas sans que l’on ne nous apporte ce dessert que toutes personnes dans les Flandres et Pays-Bas vénèrent, les « Oliebollen » se traduisant littéralement comme des boules de graisse. Ce sont des boules de pâte frites, parsemées de raisins secs  et saupoudrées généreusement de sucre glace.  Il est de tradition de servir les « Oliebollen », en période Noël et la Saint-Sylvestre l'année, avec du café.


La très sympathique sommelière britannique nous a suggéré pour commencer ce repas un très agréable Pinot Blanc Barriques Domaine  Ostertag 2013, Un vin ample avec du gras, passé en barriques, 50 % de pinot blanc et 50 % d'auxerrois.


Et ensuite un vin rouge du Languedoc-Roussillon dont malheureusement je n’ai pas noté le nom et dont je ne me rappelle plus à vrais dire ses caractéristiques…probablement trop absorbé à apprécier la cuisine de Kobe.

Je ne sais plus à quelle heure nous sommes sortis de table mais cela devait facilement avoisiner les 17 :00…  Un repas absolument exceptionnel, une équipe en cuisine et en salle pleine d’énergie. Beaucoup d’émotion pendant ce repas, une expérience culinaire sensorielle et technique qui alterne des moments de cuisine classique des Flandres totalement repensée avec à certains moments des associations folles mais aussi naturelles, des produits parfois simplement travaillés mais avec génie et parfois des assiettes ou l’on sent que le travail est énorme, absolument incomparable avec n’importe quel autre chef ou si peu… Un moment culinaire unique.

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