Presque
chaque année j’ai la chance de découvrir une table totalement exceptionnelle
qui me laissera de magnifiques souvenirs probablement pendant plusieurs années.
Maintenant le terme exceptionnel peut signifier différentes choses pour
différentes personnes. Certains
apprécient le maniérisme, le classicisme ou je ne sais quel qualificatif pour
une table qui se voudrait être au plus proches des « règles strictes de la
restauration » soit par le service, soit par tout ce qui est décoration et
évidement par des mets réalisés à la perfection selon les principes culinaires
des grandes écoles de cuisine.
En ce qui
me concerne, exceptionnel c’est quand je ressors d’un endroit où je me dis que
quelque de différents s’est passé et que l’on y a passé un moment comme nulle
part ailleurs. Un lieu improbable, un service de qualité mais loin de ces
tables où l’on est entouré de personnages en queue de pie….Ici ce sont des assiettes
sublimes, magnifiquement présentées, des plats qui ne ressemblent à rien de ce
que j’ai pu déguster ailleurs, une ambiance un peu irréelle, un magnifique et
original décor, une ambiance où l’on se sent attendu, accueilli et respecté…
Eh bien
c’est tout ceci que nous avons eu la grande chance d’apprécier chez « In
De Wulf », une table dans les Flandres à quelques kilomètres de la
frontière française et non loin de Lille. Un établissement qui au long des
années a atteint un incroyable niveau de notoriété probablement cette fois-ci
grâce aux « foodistes » de tout genre et même un peu le bouche à
oreille. Pour les amateurs de classement, je me rappelle que le OAD avait classé cette table en 2012 no
30, en 2013 no 5, et en 2014 no 1… Le GM
l’avait choisi Kobe Desramaults comme cuisiner de l’année 2013 et seul le
Michelin n’a vraisemblablement pas compris grand-chose à sa cuisine en ne lui
attribuant qu’un seul macaron. Ce qui à mes yeux discrédite ce guide d’une
autre génération et qui est totalement dépassé, mais là n’est pas le sujet.
Pour un peu
comprendre qui est ce Kobe Desramaults sans évidement le connaitre personnellement,
je qualifierais ce chef au look « actuel » avec son catogan « à
la chinoise » et sa barbe de quelques jours, de quelqu’un qui se dépassera
continuellement pour inventer de nouvelles assiettes mais surtout partager sa
passion de la cuisine du nord. Une cuisine avec plein de clin d’œil à la
Belgique mais aussi probablement aux Pays-Bas bien qu’il restera surement assez
difficile d’identifier « qui le premier a inventé une
recette… ». Un chef qui s’est
entouré d’une brigade complètement internationale avec aussi bien de jeunes
cuisiniers provenant du Canada, des Etats-Unis, d’Australie ou d’Asie. Une
équipe qui se surpasse avec une motivation apparente comme dans peu d’endroits,
chacun venant à votre table vous expliquer en détail le concept et les ingrédients
d’un plat. Un ballet de cuisinier encadré par Kobe qui lui aussi viendra à
votre table pour probablement commenter ses assiettes favorites. Une
impressionnante expérience de quelques heures dans un lieu plutôt inattendu…
Dranouter
dans la commune belge de Heuvelland située en Région flamande
dans la province de Flandre-Occidentale est l’endroit où se trouve cette
ancienne ferme flamande de « In De Wulf » au milieu de plaines vertes, humides et argileuses. C’est en face d’un champ de
maïs que vous trouverez un parking et cette très belle grange que vous longerez par le côté droit par un
petit chemin bordé de buis et d’hortensias.
Vous entrerez probablement dans la ferme et immédiatement vous devriez
être émerveillé par la beauté du lieu.
La structure est restée intacte sans
sombrer dans un modernisme qui parfois pourrait devenir presque commun lors de
rénovation. Les murs en briques ont été peint en blanc, le mobilier est
dirons-nous entre rustique, paysan avec une inspiration très nordique. Des
éclairages très doux, des bougies et des gerbes de fleurs tels que des
tournesols, des plantes séchées qui sont suspendues au plafond. Tout est
harmonieux et d’une très grande beauté.
A côté de la réception, un salon avec de de confortables fauteuils aux
tons chatoyants, face à un poêle et une décoration réalisée avec des épis de
maïs et de fleurs des champs séchées. Un endroit où il doit être très agréable
de passer un moment lors de temps maussade.
Mais en été c’est sur la terrasse que vous démarrerez votre repas. Un
patio ombragé avec une série de tables simplement dressées de chemins de table.
Soit vous pourrez manger à l’extérieure soit à l’intérieur qui sera ma
recommandation car la salle intérieure est vraiment exceptionnelle.
Une fois accueilli et installé dans le patio juxtaposant un très joli
jardin, le menu vous sera amené sur un morceau de bois.
Le menu dégustation est
à 160 euros et peut être associé à des
vins ou même une impressionnante série de jus de légumes ou fruits. Nous
choisirons pour l’apéritif non pas du vin mais une remarquable bière brassée pour
la maison, une gueuze « Mira belle ». Une impressionnante bière
réalisée avec deux lambics dans lesquelles ont été ajoutés de la camomille et
de la berce, une plante herbacée qui parfois est donnée comme nourriture aux
lapins. Le nom de cette bière étant le prénom de la fille du chef. Une acidité classique de la gueuze, un côté
fruité, des arômes d’herbes ; une boisson qui accompagnera parfaitement
les amuses bouches en lieu et place des classiques champagnes ou autres vins.
Première bouchée qui immédiatement ouvrira l’appétit par son côté très
vert et sa fraicheur, le maquereau et cœur de laitue. Une comparaison rapide
avec certains plats asiatiques où justement la salade sert de support pour
amener cette fraicheur mais aussi une texture croquante avec à l’intérieur le
maquereau qui lui est fumé et sur le dessus de feuilles de capucine. Une
bouchée qui met vraiment en appétit.
Nous continuons avec un surprenant bulot. Quelques coquillages sur de la
glace pillée pour décoration avec dessus une brochette où est enfilé le bulot
qui a été cuit dans un court-bouillon. Sur le dessus une fine mayonnaise montée
au jus de bulot, au parfum de réglisse et de fenouil. Une belle façon de mettre en valeur
un produit typique de la mer du Nord.
En suite la peau de porc, groseille blanche, capucines. Une technique probablement d’inspiration
asiatique avec de la couenne de peau de porc qui est frite, sur laquelle nous
retrouvons quelques fruits acides, également des épinards, de la poudre de
moutarde et de l’estragon. A nouveau les associations et textures sont subtiles
et parfaites.
Autre magnifique moment avec les escargots de « Comines ». Les
escargots sont moelleux, chauds et entourés d’une fine poudre de poireau.
Comines étant l’endroit où sont élevés à la ferme Helicicole les gastéropodes
de type gros-gris.
Nous poursuivons avec l’exceptionnel foie de lotte et seigle. Sur une
tranche de pain, trois fines lamelles de ce foie qui offre une texture assez dense comme le foie
gras mais avec certes une saveur très iodée. On y identifiera un léger goût de
miel sur le dessus ; la ciboulette apportera un côté frais en bouche.
Et pour terminer, la dorade sébaste : royale et ceviche. Un très
bon ceviche avec un poisson évidement de très grande fraicheur et
magnifiquement mariné, avec de fines
lamelles de radis pour apporter une touche croquante.
Quelques mets qui ne font pas partie du menu mais qui vraisemblablement
sont conçus au dernier instant, imaginés ou spontanément cuisinés pour le plaisir
du client que nous sommes. Un œuf dans lequel on peut trouver une incroyable
association de miso de crevette et de bouillon de crabe ainsi qu’une touche
vinaigrée. Une puissance en bouche qui nous rappelle que la mer n’est point
loin.
Une série de mises en bouches qui sont exceptionnelles, proches de la
nature, utilisant les produits régionaux avec sobriété mais aussi créativité.
Avant de passer à table nous aurons la chance de pouvoir passer par les
cuisines où l’équipe s’affaire à préparer et dresser les assiettes.
Evidement c’est une question de goût mais pour moi la salle principale qui
fut à une époque la grange et l’étable est absolument magnifique. Un côté assez
très épuré et rustique mais sans tomber dans quelconque cliché de ferme rénovée
avec lourdeur…comme c’est souvent le cas. Des tables en bois sans nappes mais
élégamment dressées avec des bougies, des chaises au design très scandinave, de
la brique aussi bien au sol que les murs mais qui eux ont été peints en blanc.
Les tables sont très bien espacées pour laisser assez d’intimité aux convives.
Une lumière très douce même en pleine journée confère au lieu un côté très
intimiste.
Un style très actuel car de plus en plus nappes et vaisselles classiques
disparaissent des tables étoilées. A noter qu’il y a quelques années, les
photos du restaurant montraient des tables plutôt très classiques dans le
dressage.
Les lumières sont soit au sol réalisées avec du bois flottant et celles
au plafond ont un côté plus industriel. Afin d’éviter de se retrouver dans une
grange ou tout serait simplement aligné, quelques demi-niveaux ont été créés
afin de casser le côté longueur de cette salle à manger.
Notre chef ne plaisante pas avec le « fait maison » car le pain qui nous est offert et excellent, au levain et cuit au feu de
bois dans l’âtre qui se trouve derrière la ferme.
Il sera accompagné d’huile de colza, premier pressurage à froid du Hofter Vrijlegem de Asse
et un beurre à la crème de Sec-Bois
tourné maison.
Autre signe de notre temps, les couverts sont amenés tous ensemble dans
des râteliers de bois. Nouvelle approche de présenter de manière moins
conventionnelle les couverts lors d’un repas. A noter également que la
vaisselle elle aussi est très contemporaine avec parfois des assiettes en poterie
ou alors cette vaisselle typique de la Flandre avec un fond blanc et de fins
dessins bleu.
Premier plat appelé salade « monde de milles couleurs ». Une sorte de mille-feuilles d’une très grande
fraicheur composée de fines lamelles de courgette, de concombre, de
topinambour, de céleri avec une sauce à base d’anis, d’hysope, des fleurs de
capucines et étonnement de Saint-doux pour apporter un côté un peu gourmand et
moelleux en bouche. Le genre de met exclusivement préparé avec des légumes qui
n’est pas simple de composer car on pourrait tomber dans quelque chose d’un peu
sec ou fade, ce qui est loin d’être le cas ici. On pourrait même se rappeler le
célèbre « gargouillou » de Michel Bras qui lui aussi est
exclusivement végétal.
Une très originale manière de préparer la courgette ; ici ronde,
amenée à table avec son chapeau qui par la suite est découvert. On trouvera une
onctueuse crème de ce légume sur laquelle sera ajouté un caviar osciètre de Belgique
élaborés à
partir des œufs de l'esturgeon sibérien. Un plat absolument divin. Associer
caviar et courgette est une fantastique idée.
Nous continuons avec le tourteau de la mer du Nord, chou-fleur. Le
tourteau est recomposé comme un flan où l’on peut discerner quelques senteurs
de miel et de vinaigre. Le chou-fleur est râpé et assaisonné simplement afin de
ne pas écraser le goût du crustacé. Une combinaison parfaite.
D’entrée j’avoue
que je ne suis pas un grand amateur d’homard. C’est plutôt simple…c’est un
produit qui n’est que très rarement bien préparé, trop cher pour ce qui est
servi dans la plupart des établissements et un peu trop là pour impressionner
la galerie. Une hérésie sur la plupart
des plateaux de fruits de mer car caoutchouteux et de provenance souvent douteuse
avec une fraicheur pas toujours garantie. Même dans certains établissements
renommés, il est parfois pas bien cuit ou alors noyé dans une sauce qui enlève
toute sa finesse. C’est plutôt simple…les deux seules tables ou le homard fut
une perfection fut chez les exceptionnels Alexandre Couillon de la Marine à
Noirmoutier et chez Eneko Atxa de chez Azurmendi
à côté de Bilbao.
Voici
depuis aujourd’hui la troisième fois où l’on rend justice et de plus de manière
exceptionnelle à ce crustacé provenant d’Audresselles. D’après ce que j’ai
compris, cuit-en deux fois avec un rapide plongeon dans l’eau bouillante,
ensuite dans la glace et une cuisson finale pour conserver tout son moelleux. Préparé
au beurre blanc avec une maestria parfaite et de légères fragrances citronnées
qui magnifient superbement le plat. Je ne peux que qualifier d’exceptionnel ce
plat qui ne mérite finalement pas grand-chose de plus dans son accompagnement.
Autre
magnifique assiette avec le calamar et cornichon. Non pas des cornichons au
vinaigre….mais frais en lamelles. Un jus
de concombre fermenté et une sauce à base de l’encre de seiche pour compléter ce mollusque
très tendre.
Un moment
plutôt impressionnant lorsque l’un des chefs barbu évidement tatoué… (un «must »…en
2015…) arrive avec une « Eclade de moules », un plat de plage. Une
préparation typique des Charentes Maritimes qui consiste à apporter un plat où
les moules doivent être dressées verticalement et ensuite recouvertes d’aiguilles
de pin. Ici c’est avec du foin qu’elles ont été recouvertes. On soulève le
dessus et dégustent ces moules qui sont étonnement très parfumées aux saveurs
de foin. Certes quelque chose de simple mais tellement essentiel. Le produit
est magnifique, la cuisson sublime le produit, un peu comme chez un Asador Etxebarri.
Encore une
illustration que Kobe qui passe à notre table, souhaite faire partager ses
recettes de sa famille ou celles qui sans aucun doute sont séculaires comme le « Zurkelstoemp »,
une purée à l’oseille qui est une plante au goût
légèrement acidulé et citronné. Kobe amène des pommes de terre cuites
avec leur peau dans le sel et la cendre. La boule de cuisson est donc brisée.
Dans un
bol, on trouvera l’oseille ciselé.
Et sur le
côté un beurre manié à la moutarde.
Vous
écraserez le tout pour en faire donc une purée… Une combinaison douce et
magique, et qui s’épouse aussi bien avec les viandes qu’avec les poissons mais
ici simplement en dégustation. Il faut aussi savoir qu’au préalable la maman du
chef tenait dans le même lieu un café où elle servait une cuisine flamande
traditionnelle.
Nous
continuerons avec une très gouteuse tartelette de joue et de cervelle de porc
servie sur un crâne.
En plat
principal un poulet de « Lauwe », salicorne, câpres d’ail des ours. La
volaille est moelleuse, sur le dessus sa peau croustillante et sur le côté un
agréable mélange de salicorne au léger goût marin et ces câpres qui sont en
fait les bourgeons de l’ail des ours avant floraison qui apportent un subtil
goût aillé. Un fond de sauce basé sur un miso et de l’estragon. Un plat presque
classique mais tellement bien cuisiné qu’il en devient merveilleux.
Comme
premier fromage, une excellente idée que d’amener une flamiche au vieux gris de
Lille. La flamiche est une sorte de tarte traditionnelle de la Belgique mais
que l’on retrouve également dans le nord de la France. Le vieux Lille est une
pâte de Maroilles. Salé deux fois, sans croûte, de couleur grisâtre à odeur
légèrement ammoniacale, son goût est plus prononcé, plus salé et un peu piquant.
Un met de fin de repas tout à fait de propos rien que pour le côté régional
mais aussi parce que vous serez encore en appétit pour déguster ce met.
Second plat
de fromage ou peut-être dessert avec le caillé de chèvre et verveine. Un
fabuleux mélange où l’on retrouve un granité de verveine, du chocolat blanc, le
fromage frais en dessous et le chèvre plus sec râpé sur le dessus.
Le tout est
servi dans un bol de glace d’un très grand esthétisme.
Second dessert
avec les prunes et coquelicots. Sur le dessous des prunes confites dans une
sauce de coquelicots et sur le dessus une crème brulée à la capucine. Un
dessert très gourmand.
Et en fin
de repas, oseille et concombre. Une incroyable meringue a l’oseille avec un
sorbet au concombre qui laissera en bouche une impression de grande fraicheur.
Quelques
petites mignardises pour achever ce repas avec des tartelettes aux myrtilles
qui elles ont vraiment du goût, de simples mais divines framboises et pâtes de
fruits.
Il ne
faudra pas terminer ce repas sans que l’on ne nous apporte ce dessert que
toutes personnes dans les Flandres et Pays-Bas vénèrent, les « Oliebollen »
se traduisant littéralement comme des boules de graisse. Ce sont des boules de
pâte frites, parsemées de raisins secs et
saupoudrées généreusement de sucre glace. Il est de tradition de servir
les « Oliebollen », en période Noël et la Saint-Sylvestre l'année,
avec du café.
La très sympathique
sommelière britannique nous a suggéré pour commencer ce repas un très agréable Pinot
Blanc Barriques Domaine Ostertag 2013, Un
vin ample avec du gras, passé en barriques, 50 % de pinot blanc et 50 %
d'auxerrois.
Et ensuite
un vin rouge du Languedoc-Roussillon dont malheureusement je n’ai pas noté le
nom et dont je ne me rappelle plus à vrais dire ses caractéristiques…probablement
trop absorbé à apprécier la cuisine de Kobe.
Je ne sais
plus à quelle heure nous sommes sortis de table mais cela devait facilement avoisiner
les 17 :00… Un repas absolument
exceptionnel, une équipe en cuisine et en salle pleine d’énergie. Beaucoup d’émotion
pendant ce repas, une expérience culinaire sensorielle et technique qui alterne
des moments de cuisine classique des Flandres totalement repensée avec à
certains moments des associations folles mais aussi naturelles, des produits
parfois simplement travaillés mais avec génie et parfois des assiettes ou l’on
sent que le travail est énorme, absolument incomparable avec n’importe quel
autre chef ou si peu… Un moment culinaire unique.
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