vendredi 14 avril 2017

Estimar, Barcelone




C’est chez le Sévillan Rafa Zafra que notre nouvelle escapade barcelonaise démarre. Un chef qui n’arrête pas de faire parler de lui, ancien de chez El Bulli et qui a ouvert une table dans le quartier de la Ribera. Un personnage comme je les aime avec son look de hipster, son côté artiste, un peu rebelle peut-être et définitivement dans la mouvance actuelle. On n’arrive pas par hasard chez « Estimar » car l’endroit est presqu’un peu caché dans l’une de ces petites ruelles et pas forcément un lieu de passage. Ensuite le nombre de couverts ne doit pas dépasser une vingtaine donc une réservation bien à l’avance s’impose.



Ce que j’ai tout de suite beaucoup apprécié, c’est cette impression de ne pas être arrivé dans un restaurant classique mais plutôt dans un atelier, voir une cuisine chez un particulier. La salle en longueur avec sa presque longue table d’hôte amène un énorme cachet à l’endroit. Le centre névralgique de cette salle est donc au fond où se trouve cette cuisine ouverte où sont exposés les produits de la mer.



Au fond une autre petite salle un peu contiguë, un peu comme une pièce cachée mais cela sera vraiment la salle principale que nous préférerons.


Observer les cuisiniers en train de préparer leurs assiettes, de dresser les préparations, d’observe l’utilisation de ce fantastique four qui permet de cuire les aliments sur la braise et amener une touche fumée est un vrai plaisir.






Les produits de la pêche du jour sont à côté de nous, crevettes roses, petites lottes, langoustines, coques, dorades, pouce-pied, pour n’en citer que quelques-uns.  





« Estimar » ne rentre vraiment dans aucune catégorie et surtout pas dans ce que certains pourraient appeler banalement « restaurant de poissons ou de fruits de mer ». Ici tout approche l’excellence avec beaucoup d’imagination, de créativité et finalement aussi de la simplicité. Une cuisine basée sur des produits de première fraicheur, des recettes parfois très surprenantes et d’un équilibre prodigieux, mais aussi si on le souhaite des assiettes simplement centrées sur le produit et sa parfaite cuisson.


La carte qui est proposée ce soir est vraiment impressionnante avec un choix de plats naturels donc de produits bruts, des salades et mets marinés, des assiettes utilisant des ingrédients cuits à la vapeur ou bouillis, des plats cuits à la braise ou avec de l’huile d’olive. Ici toutes les techniques de cuisson sont utilisées. Aussi les poissons du jour qui sont vendus au poids et des accompagnements. Vous observerez sur cette carte qu’en préambule, le chef rend hommage à certains établissements qui ont marqué la gastronomie Catalane en se focalisant sur l’excellence du produit. Cela explique également pourquoi vous trouverez un ou deux plats de l’époque des frères Adria.

Le service est d’une très grande gentillesse, l’atmosphère absolument délicieuse, le décor a quelque chose de presqu’un peu magique, la décoration de table avec ses assiettes avec des touches bleues véhiculent l’amour de la mer.


Tout démarre avec quelques olives qui seront vraiment impressionnantes et taille, très charnues et goûteuses.


Le premier plat restera ancré un sacré bout de temps dans nos souvenirs car ce carpaccio d’écrevisses aux oignons caramélisés, « hommage à El Bulli 1995 » sera quelque chose de vraiment exceptionnel. Dégusté avec une sorte de petite truelle, les tranches sont d’une extrême finesse, recouverte d’une impressionnante sauce un peu douce à base donc d’oignons et d’huile d’olive. Les saveurs sont envoutantes, un fabuleux plat.


On accompagnera ce crustacé de fines lamelles de pain grillé.


Autre impressionnante assiette avec les coques XXL bouillies, servies avec la sauce de Albert Adrià « La Cala ». Ce qui surprend immédiatement c’est cette sauce complètement inhabituelle à base de vinaigre et plutôt assez pimentée. Ceci amène un vrai coup de fouet en bouche et surprendra plus d’un. Une manière de préparer des coquillages de manière inventive et délicieuse. Probablement une référence à l’épicerie fine de Adria qui propose des produits à base de vinaigre de Jerez et d’épices, qui sont d’ailleurs exposés et surement vendus dans le passage à l’autre petite salle.


Nouveau plat avec les couteaux poêlés dans une marinade chaude. Une qualité exceptionnelle pour le crustacé et une cuisson à la seconde. La sauce est une sorte d’escabèche qui est une marinade relevée à base d'huile et de vinaigre avec ail, laurier, purée de tomate et ici de la carotte.


On peut penser que cela n’est pas encore de saison mais lorsque le produit est remarquable, la salade de tomates natures devient un miracle. Très joliment dressées, plusieurs sortes de tomates bien sucrées et pelées, un filet d’huile d’olive, un peu de poivre et lamelles d’oignon. On croirait presque voie une salade de fruit !



Délicieuse raie « diable » style Sanluqueño et aïoli.  Les morceaux ou plutôt lamelles semblent avoir été frites. La sauce sera évidemment un accompagnement parfait.




Un hommage à Miguel Palomo du restaurant « Alhucemas » près de Séville avec les calamars panés style andalous avec une mayonnaise à l’encre de seiche. Probablement un des plats « signature » ou en tout cas souvent cité car présenté comme un « fish and chips » sur une feuille de papier avec des petites « taches » de sauce. Les petits calamars sont tellement tendres, pas huileux. La sauce à l’encre est fine et gourmande.



En dessert, selon moi le meilleur « cheesecake » de ma vie et qui mérite rien que pour lui le voyage… Accompagné d’une sauce fraise mais qui s’avère être presque superflue tellement le goût et la texture du gâteau est sublime.






Et un excellent riz au lait avec des zestes parfaitement exécuté avec un lait travaillé comme un babeurre. Ici présenté dans une étonnante tête de vache.



Fin de repas et de cuisine avec la brigade qui semble être bien affairée et qui ont l’air d’anticiper les besoins du lendemain.


Pour commencer un excellent et élégant Cava Raventos i Blanc Conca del Riu Anoia , de Nit, 2014.


Suivi d’un vin galicien, l’Albarino Pazo Pondal 2015, Rias Baixas ; très souple en bouche et idéal avec ce repas.


« Estimar » n’est pas une table comme les autres car élève l’expérience de déguster des produits de la mer comme dans peu d’endroits. Tout y est absolument parfait, chaque plat fut une découverte en soit, soit par la qualité du produit soit par la préparation. L’ambiance n’est pas non plus ordinaire car il y a beaucoup de magie et de bonheur qui émanent de l’équipe en cuisine. Un gemme barcelonais de plus.

lundi 10 avril 2017

Les évènements: Déjeuner Palégrié & Mont Salève, 9 Avril 2017, Neydens




C’est un peu par hasard en parcourant les réseaux sociaux que je m’aperçois qu’à quelques kilomètres de chez moi va se dérouler un événement culinaire et gustatif des plus intéressant, complètement inattendu. Tout d’abord le lieu, la micro-brasserie du Mont Salève  à Neydens qui peut s’enorgueillir de proposer un magnifique choix de bières brassées sur place par Michaël Novo. Une brasserie qui se réinvente constamment, avec de très belles découvertes comme ces diverses bières aussi bien légères que fortes, ces bières qui sortent de l’ordinaire et qui sont parfois expérimentales.

Et l’un des chefs les plus formidable qu’il soit, Guillaume Monjuré du restaurant « Palégrié » dans le passé à Lyon, qui depuis plus d’une année se trouve dans l'Hôtel du Golf à Corrençon-en-Vercors  et qui a décroché cette année un macaron. Un cuisinier inventif dont j’avais grandement apprécié ses assiettes d’une grande fraicheur, sa cuisine du marché vivante et pleine de délicatesse.  Auréolé en 2013 par le Guide Fooding et passage sur scène dans le World Omnivore Tour, rien que cela…

Une rencontre entre ces deux hommes et voici le chef qui s’engage sur l’exploration des accords mets-bière. Un événement surtout à ne pas manquer, unique et seulement pour une quarantaine de personnes. C’est donc dans la zone artisanale de Neydens que se passera ce repas du dimanche midi, dans le lieu de la micro-brasserie ou plutôt sa « Buvette » à quelques centaines de mètres  qui propose quelques soirs la semaine un bar et une vente à l’emporter.

Les heureux participants arriveront donc aux heures de midi. Une journée ensoleillée, la devanture de la buvette réaménagée en terrasse de restaurant avec tables communautaires et parasols.


En attendant que tout le monde soit là, nous consommerons déjà quelques bières à l’intérieur où se trouvent une série de tonneaux.  Des bières qui seront vieillies en barriques de vins et où auront séjournés aussi bien du Chardonnay que des Whiskies ou même Sherry.



Sur l’ardoise murale les bières du moment servies en verre de diverses tailles. Une lager et une black lager qui me rappelle plutôt une stout avec un goût de cacao et de café.



Cela commence à se peupler, ambiance nonchalante, tout le monde vient chercher de quoi boire au bar et discute sur le pas de porte ou alors même derrière le comptoir avec Michael. De jolies rencontres, des expériences partagées et aucune prise de tête.



Ce qu’il faut bien comprendre c’est que cette buvette n’est pas un restaurant avec une cuisine équipée et que Guillaume Monjuré aura la complexe tâche de réaliser un très beau menu avec les moyens du bord. Certes il y aura probablement quelques préparations déjà anticipées mais les finitions, certaines cuissons et les dressages se feront sur place. Un petit passage « dans le local qui sert de cuisine » et le chef avec sa partenaire Chrystel. Sourire, bonne humeur, enfants qui qui viennent observer, on sent tout de suite que l’on vivra un moment inoubliable.



Il aura même pensé aux enfants en leur préparant de magnifiques steaks hachés accompagnés de pommes de terre rissolées.


Le dressage se fera donc en toute simplicité dans la buvette. Malgré tout, la tâche ne sera surement pas simple car il faut lancer le tout au même moment et assurer un service immédiat. Chose qui fonctionnera parfaitement grâce au support de Michaël, sa femme et de quelques personnes « bien intentionnées ».



12 :45 et voici les quelques tables remplies. Immanquablement les liens se créent, certains se retrouvent, on parle de ci…de cela…de bières…et évidemment de nourritures !




Petites agréables bouchées pout démarrer avec des escargots bien moelleux qui ont dû cuire sur de la braise et sur lesquels nous trouverons de l’ail des ours.


Le pain qui est servi est absolument délicieux. Dommage que je n’aie pas demandé son origine mais au vu de la consommation autour des tables, celui-ci a complètement séduit les participants.


Le menu lui est affiché sur une grande ardoise placée contre le mur du bâtiment.


Pour démarrer, des asperges blanches, chèvre frais, herbes sauvages et cultivées, bouillon d’épluchure. Une assiette pleine de légèreté, complètement printanière qui nous rappellera les champs en fleurs. On y trouvera en fond ce délicat fromage blanc, une soupe crémeuse réalisée avec les épluchures des asperges, les asperges encore légèrement croquantes en tronçons et sur le dessus les diverses herbes.


Avec cette délicate entrée une Berliner Weisse, petit lait de chèvre. Quel moment intéressant car cette bière blanche sent un peu le lait en arrière-goût, pourrait se rapprocher presque de quelque chose d’un peu vineux mais se marrie magnifiquement avec le fromage de la préparation.


Seconde assiette avec la truite fumée, poivre des Alpes, salade, jus du dimanche. Toujours autant de fraicheur printanière avec un poisson délicat agrémenté de feuilles fraiches avec aussi de la chicorée et un poivre qui s’avère être un mélange d’épices des montagnes préparé par l’une des relations de Guillaume. En fond d’assiette un jaune d’œuf cuit à basse température, encore coulant. Et un jus de viande pour compléter le tout.






Cette fois ci une bière amère avec la Special Bitter. Un astucieux rappel avec la chicorée de l’assiette. Même si l’on n’apprécie pas forcement l’amertume, le tout fonctionne parfaitement.


Nous poursuivrons avec un excellent tartare de veau, coques, oignons nouveaux. L’association avec le coquillage est très fin, la sauce légère afin de ne pas trop couvrir la saveur de la viande. Une seconde référence marine à cette assiette avec cette algue rouge en poudre appelée Dulse ou Darusu au Japon, qui pousse en abondance dans l’Atlantique Nord et dans le Pacifique Nord-Ouest.


Avec ce plat une autre bière donc Michaël à le secret et savoir-faire, la Berliner Weisse sur marc de chasselas. Une belle acidité qui se marie magnifiquement avec le tartare.


En plat principal, du pigeon sur la braise, racine, oseille. Petits navets et radis poêlés tout d’abord dressés sur les assiettes par Chrystel pendant que Guillaume découpe les volailles.





Cuite à la perfection, encore rosé, le pigeon est déposé sur les légumes, quelques feuilles d’oseille finement acidulées, de la poudre betterave et un très bon jus de cuisson.




Une impressionnante association avec cette Stout Framboise. Une Stout dans laquelle des framboises auront mariné. Un mélange d’une incroyable finesse qui a nouveau s’harmonisera avec les saveurs du pigeon.


En et en dessert, pamplemousse, meringue, granité d’IPA. Des sorbets avec tout d’abord un premier au pamplemousse pas trop doux, un second à base de yaourt et ce granité de bière IPA (India Pale Ale) qui se réfère à une bière plus houblonnée que les autres avec une propension à affirmer l’amertume de ce houblon. Un dessert bien équilibré, qui sait nuancer les saveurs sucrées et amères avec une grande justesse. Pour la touche un peu croquante, un peu de muesli légèrement caramélisé et des brisures de meringue. Dessert accompagné évidement de l’IPA de la brasserie.



Un superbe moment de convivialité autour de très belles assiettes imaginées sur le thème des accords mets-bières. Quelques heures plus tard nous serons ravis d’avoir pu partager un tel moment avec des personnes passionnées comme Guillaume et Michaël, sans oublier la gentillesse de leur partenaire et épouse respective. De la simplicité dans les contacts humains, des moments de bonheur à la découverte de ces mets uniques car probablement imaginés pour cet événement épicurien, un dimanche pas comme les autres…