dimanche 1 août 2021

Agreste, Barcelone

 

S'il y a bien une table que je ne manque jamais à Barcelone c’est bien celle de Fabio et Roser de Agreste dans le quartier de Carmel. Je ne sais combien de fois j’y suis déjà allé, car c’est devenu presqu’un lieu de pèlerinage culinaire. A une époque cela s’appelait Malahierba, le nom changea il y environ deux années avant la pandémie et évidemment cette situation m’empêcha de revenir visiter l’établissement. Première opportunité donc de revenir apprécier la cuisine tellement unique de Fabio dans ce quartier que peu de personnes connaissent mais facilement atteignable du centre en métro et bus. Je ne reviendrai pas sur toute l’histoire de ce couple et de leur démarche mais peut-être expliquer le pourquoi de cette admiration pour la cuisine de cet endroit.

Fabio est donc d’origine italienne, sa partenaire est catalane. A Barcelone environ 50 % des étrangers viennent d’Italie et bien entendu il existe un grand nombre d’établissements qui proposent une cuisine de leur pays. Mais si vous discutez avec des Italiens gastronomes, aucun d’entre eux ne recommandera vraiment une table italienne en ville car très souvent cela frise la banalité ou la médiocrité, a part une ou deux exceptions. Un peu difficile d’ailleurs à comprendre pourquoi…

Si l’on se réfère à la cuisine Catalane, il faut admettre que c’est souvent très limité en terme de choix de plats, pas toujours très léger, et assez répétitif d’une table a l’autre.

C’est la que Fabio amène tout son génie car d’une part il sait utiliser les meilleurs produits locaux, s’inspire des recettes locales mais y amène très souvent non seulement une touche italienne ou je devrais dire une touche très personnelle. Il transforme une recette connue en quelque chose d’une autre dimension gustative. Il y a toujours le petit plus qui fait que l’on s’émerveillera devant tel ou tel plat. Le goût du légume, sa cuisson, les associations, le produit lui-même et ces quelques clins d’œil à l’Italie. Mais soyons bien clair, ce n’est pas une cuisine fusion, ce sont des créations savamment étudiées, une cuisine réconfortante, où saveur, gourmandise et produit sont au cœur de l’assiette.

Puis sa cuisine évolue au cours des saisons, non seulement en ce qui concerne les ingrédients soigneusement choisis mais aussi au fil des années. Il se peut qu’il y ait un ou deux classiques mais je ne me rappelle pas d’avoir mangé deux fois les mêmes plats.

Aujourd’hui sa compagne Roser n’est plus en salle car un petit Pietro est venu au monde mais l’équipe aura été enrichie de nouveaux venus en salle dont entre autres un nouveau jeune sommelier plein d’enthousiasme.

Donc une fois a table c’est avec un QR code que maintenant nous aurons la carte affichée. Comme d’habitude, une série de plats que nous aimons partager. Le premier est complétement le reflet de ce que j’expliquais au-dessus…  La salade de tomates… Cela peut paraître un peu simpliste mais pas du tout ! Tout au contraire. Déjà la qualité impeccable avec les célèbres tomates rose du Maresme que tous les restaurateurs s’arrachent, ensuite pelées et découpées en quartiers. Puis une mousse ou une espuma de queso manchego fumé absolument aérienne amenant bien entendu la touche hispanique, des piparras basques qui sont de petits piments verts au vinaigre qui amènent un côté un peu vinaigré et du peps en bouche. Quelques feuilles de basilc, probablement un peu de sauce à base de tomates et une huile d’herbes. Un savant équilibre entre douceur, rondeur et acidité en bouche. Une salade assez unique en son genre qui illustre ces associations entre Espagne et Italie.


De la bonite marinée avec un salmorejo de tomates vertes, coriandre, basilic et petits légumes au vinaigre. La bonite regroupe plusieurs espèces de poissons de la famille des thons et des maquereaux. On peut plutôt ici apprécier un poisson tendre plus apparenté à la première espèce, qui est présenté un peu a la manière d’un ceviche mais sans vraiment se dire qu’il s’agit d’un plat d’inspiration sud-américain. Tout d’abord une ingénieuse idée que d’y associer un salmorejo qui normalement est plus une crème assez compacte originaire de Cordoue, en Andalousie, composé de tomates, de pain, d'huile et d’ail. Mais ici ce n’est pas tout à fait cela car déjà ce sont des tomates vertes et la texture est bien plus légère. On retrouvera quelques éléments du ceviche tels que les herbes, le côté acidulé du citron et vinaigré des oignons rouges. Encore un de ces plats inspirés de la pluri-culture locale et du savoir faire de Fabio.

Bien entendu certaines assiettes feront plus penser à l’Italie surtout avec les tagliarini maison associées avec de tellines. La tagliarini est une pâte aux œufs du nord de l’Italie, semblable à son cousin plus large et plus célèbre, les tagliatelles (le nom vient du verbe tagliare, couper).  Ces minces rubans plats sont souvent servis avec du beurre et des truffes, mais ici avec des fruits de mer. Notez que contrairement à de nombreux autres types de pâtes, les tagliarini cuisent extrêmement rapidement, une ou deux minutes pour les fraiches comme ici. La sauce absolument parfaite à base d’ail, de persil et de piment de cayenne. Les tellines de Carles de la Rápita sont des coquillages très typiques du Delta de l’Ebre, également connus sous le nom de pipes de mer et ont un goût très caractéristique ; cela est dû à la bonne alimentation des mollusques, car ils sont situés sur les rives ou à l’intérieur de la baie d’Alfacs.

On ne pourra pas résister au risotto « mantecato » au « morralet » de Tarragone et tomates. Sorte de mollusque de la famille des sépioles. Ils sont bruns mais peuvent changer de couleur à volonté, un corps très similaire a une petite seiche aplatie sans crête qui les entoure mais avec des petites oreilles qui les aide a bouger. En cuisine et en italien « montecato » s'emploie lorsque l'on met du beurre ou de l'huile d'olive dans le risotto et que l'on travaille à la cuiller de bois. Un risotto toujours parfaitement bien cuit.

En plat principal, un succulent pigeon cuit de différentes manières avec un demi-glacé et les abats tels que foie et cœur hachés et transformés en un léger parfais étalé sur une tranche de pain grillé. Pigeon rosé et aussi confit pour les cuisses.


Un dessert très innovant et audacieux, parfaitement équilibré, une glace au miel, espuma de cardamome, namelaka de chocolat blanc, citron vert, curry et pollen. Le terme « Namelaka » vient du Japon et son sens littéral est « ultra crémeux / extrêmement crémeux », est très délicat, et surprend ceux qui ont le plaisir de le déguster. Il s’agit d’une ganache au chocolat blanc, mais aussi d’une mousse au chocolat blanc, et d’une crème très spéciale qui ne contient ni œufs ni farine ! La combinaison des différentes épices est vraiment magnifique autour de cette glace.

Comme vin, une bouteille de Garnatxa de Cervolès Les Garrigues 2018 avec d'élégantes notes minérales et balsamiques rappellent les bois et les montagnes, donnant au vin le caractère nécessaire pour se parer d'une entité, tout en faisant preuve de douceur.

En fin de repas nous seras proposé un verre de vin de Terrano Skerlj du Frioul-Vénétie, vin rouge d’une grande minéralité et d’une texture tannique agréable qui naît sur le sol rouge argileux et riche en fer de la région karstique. La tenue aromatique est riche en suggestions de fruits rouges, de terre, de sous-bois et de notes d’épices douces. En bouche, il est rond et doux, avec une grande fraîcheur minérale et de fins tanins.

A nouveau un repas toujours aussi exceptionnel chez Fabio où à chaque fois c’est une succession de plats qui oscillent entre surprise, confort, gourmandise et joie. Toujours l’une des plus belles adresses en ville.

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