S'il y a
bien une table que je ne manque jamais à Barcelone c’est bien celle de Fabio et
Roser de Agreste dans le quartier de Carmel. Je ne sais combien de fois j’y suis
déjà allé, car c’est devenu presqu’un lieu de pèlerinage culinaire. A une
époque cela s’appelait Malahierba, le nom changea il y environ deux années
avant la pandémie et évidemment cette situation m’empêcha de revenir visiter l’établissement.
Première opportunité donc de revenir apprécier la cuisine tellement unique de
Fabio dans ce quartier que peu de personnes connaissent mais facilement atteignable
du centre en métro et bus. Je ne reviendrai pas sur toute l’histoire de ce
couple et de leur démarche mais peut-être expliquer le pourquoi de cette admiration
pour la cuisine de cet endroit.
Fabio est
donc d’origine italienne, sa partenaire est catalane. A Barcelone environ 50 % des
étrangers viennent d’Italie et bien entendu il existe un grand nombre d’établissements
qui proposent une cuisine de leur pays. Mais si vous discutez avec des Italiens
gastronomes, aucun d’entre eux ne recommandera vraiment une table italienne en
ville car très souvent cela frise la banalité ou la médiocrité, a part une ou
deux exceptions. Un peu difficile d’ailleurs à comprendre pourquoi…
Si l’on se
réfère à la cuisine Catalane, il faut admettre que c’est souvent très limité en
terme de choix de plats, pas toujours très léger, et assez répétitif d’une
table a l’autre.
C’est la
que Fabio amène tout son génie car d’une part il sait utiliser les meilleurs
produits locaux, s’inspire des recettes locales mais y amène très souvent non
seulement une touche italienne ou je devrais dire une touche très personnelle.
Il transforme une recette connue en quelque chose d’une autre dimension
gustative. Il y a toujours le petit plus qui fait que l’on s’émerveillera devant
tel ou tel plat. Le goût du légume, sa cuisson, les associations, le produit lui-même
et ces quelques clins d’œil à l’Italie. Mais soyons bien clair, ce n’est pas
une cuisine fusion, ce sont des créations savamment étudiées, une cuisine
réconfortante, où saveur, gourmandise et produit sont au cœur de l’assiette.
Puis sa
cuisine évolue au cours des saisons, non seulement en ce qui concerne les
ingrédients soigneusement choisis mais aussi au fil des années. Il se peut qu’il
y ait un ou deux classiques mais je ne me rappelle pas d’avoir mangé deux fois
les mêmes plats.
Aujourd’hui sa compagne Roser n’est plus en salle car un petit Pietro est venu au monde mais l’équipe aura été enrichie de nouveaux venus en salle dont entre autres un nouveau jeune sommelier plein d’enthousiasme.
Donc une fois a table c’est avec un QR code que maintenant nous aurons la carte affichée. Comme d’habitude, une série de plats que nous aimons partager. Le premier est complétement le reflet de ce que j’expliquais au-dessus… La salade de tomates… Cela peut paraître un peu simpliste mais pas du tout ! Tout au contraire. Déjà la qualité impeccable avec les célèbres tomates rose du Maresme que tous les restaurateurs s’arrachent, ensuite pelées et découpées en quartiers. Puis une mousse ou une espuma de queso manchego fumé absolument aérienne amenant bien entendu la touche hispanique, des piparras basques qui sont de petits piments verts au vinaigre qui amènent un côté un peu vinaigré et du peps en bouche. Quelques feuilles de basilc, probablement un peu de sauce à base de tomates et une huile d’herbes. Un savant équilibre entre douceur, rondeur et acidité en bouche. Une salade assez unique en son genre qui illustre ces associations entre Espagne et Italie.
De la
bonite marinée avec un salmorejo de tomates vertes, coriandre, basilic et petits
légumes au vinaigre. La bonite regroupe plusieurs espèces de poissons de la
famille des thons et des maquereaux. On peut plutôt ici apprécier un poisson
tendre plus apparenté à la première espèce, qui est présenté un peu a la
manière d’un ceviche mais sans vraiment se dire qu’il s’agit d’un plat d’inspiration
sud-américain. Tout d’abord une ingénieuse idée que d’y associer un salmorejo qui
normalement est plus une crème assez compacte originaire de Cordoue, en
Andalousie, composé de tomates, de pain, d'huile et d’ail. Mais ici ce n’est
pas tout à fait cela car déjà ce sont des tomates vertes et la texture est bien
plus légère. On retrouvera quelques éléments du ceviche tels que les herbes, le
côté acidulé du citron et vinaigré des oignons rouges. Encore un de ces plats
inspirés de la pluri-culture locale et du savoir faire de Fabio.
Bien entendu certaines assiettes feront plus penser à l’Italie surtout avec les tagliarini maison associées avec de tellines. La tagliarini est une pâte aux œufs du nord de l’Italie, semblable à son cousin plus large et plus célèbre, les tagliatelles (le nom vient du verbe tagliare, couper). Ces minces rubans plats sont souvent servis avec du beurre et des truffes, mais ici avec des fruits de mer. Notez que contrairement à de nombreux autres types de pâtes, les tagliarini cuisent extrêmement rapidement, une ou deux minutes pour les fraiches comme ici. La sauce absolument parfaite à base d’ail, de persil et de piment de cayenne. Les tellines de Carles de la Rápita sont des coquillages très typiques du Delta de l’Ebre, également connus sous le nom de pipes de mer et ont un goût très caractéristique ; cela est dû à la bonne alimentation des mollusques, car ils sont situés sur les rives ou à l’intérieur de la baie d’Alfacs.
On ne pourra pas résister au risotto « mantecato » au « morralet » de Tarragone et tomates. Sorte de mollusque de la famille des sépioles. Ils sont bruns mais peuvent changer de couleur à volonté, un corps très similaire a une petite seiche aplatie sans crête qui les entoure mais avec des petites oreilles qui les aide a bouger. En cuisine et en italien « montecato » s'emploie lorsque l'on met du beurre ou de l'huile d'olive dans le risotto et que l'on travaille à la cuiller de bois. Un risotto toujours parfaitement bien cuit.
En plat
principal, un succulent pigeon cuit de différentes manières avec un demi-glacé
et les abats tels que foie et cœur hachés et transformés en un léger parfais
étalé sur une tranche de pain grillé. Pigeon rosé et aussi confit pour les
cuisses.
Un dessert
très innovant et audacieux, parfaitement équilibré, une glace au miel, espuma
de cardamome, namelaka de chocolat blanc, citron vert, curry et pollen. Le
terme « Namelaka » vient du Japon et son sens littéral est
« ultra crémeux / extrêmement crémeux », est très délicat, et
surprend ceux qui ont le plaisir de le déguster. Il s’agit d’une ganache au
chocolat blanc, mais aussi d’une mousse au chocolat blanc, et d’une crème très
spéciale qui ne contient ni œufs ni farine ! La combinaison des différentes
épices est vraiment magnifique autour de cette glace.
Comme vin, une bouteille de Garnatxa de Cervolès Les Garrigues 2018 avec d'élégantes notes minérales et balsamiques rappellent les bois et les montagnes, donnant au vin le caractère nécessaire pour se parer d'une entité, tout en faisant preuve de douceur.
En fin de repas nous seras proposé un verre de vin de Terrano Skerlj du Frioul-Vénétie, vin rouge d’une grande minéralité et d’une texture tannique agréable qui naît sur le sol rouge argileux et riche en fer de la région karstique. La tenue aromatique est riche en suggestions de fruits rouges, de terre, de sous-bois et de notes d’épices douces. En bouche, il est rond et doux, avec une grande fraîcheur minérale et de fins tanins.
A nouveau un repas toujours aussi exceptionnel chez Fabio où à chaque fois c’est une succession de plats qui oscillent entre surprise, confort, gourmandise et joie. Toujours l’une des plus belles adresses en ville.
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