lundi 16 octobre 2023

Noor, Cordoue

 

Voilà probablement “le” repas de 2023 comme je ne l’aurais jamais imaginé tellement celui-ci fut lumineux. C’est en 2016 que Paco Morales le chef de cet établissement a « levé le volet » sur NOOR avec plusieurs objectifs en tête. L’un d’eux était de construire un projet gastronomique qui, service par service, réinterpréterait et rendrait hommage à une période cruciale de l’histoire de l’Espagne: l’ère andalouse. Une autre était de transformer sa ville natale de Cordoue en un lieu incontournable pour les gastronomes chevronnés, les gourmets curieux et les amateurs de bonne nourriture. Le tout avec la plus grande excellence comme mot d’ordre omniprésent.

C’est donc avec une grande impatience qu’il me tardait de découvrir cet établissement, légèrement en dehors du centre historique mais parfaitement atteignable à pied. A vrai dire on sera un peu étonné de la première approche de l’établissement car celui-ci se trouve dans une rue un peu impersonnelle qui ne laisse pas voir grand-chose de ce qui se trouve à l’intérieur. On passerait presqu’à côté de ce bâtiment sans s’apercevoir qu’il s’agit d’un restaurant. Murs à l’apparence métallisée et juste une porte sur l’un des côtés.

Une fois entré, c’est à nouveau une surprise vous arrivez dans un couloir plutôt étroit et noir avec rideaux, spots au plafond, un comptoir de réception et au fond des bouilloires sur des socles et un lavabo de pierre brute. Après avoir patienté quelques instants, vous serez accueilli et l’on vous proposera de nous laver les mains avec de l’eau de fleur d’oranger.

Immédiatement le ton est donné, vous entrez dans une autre dimension, un lieu avec une atmosphère un peu mystique.

La salle à manger est tout aussi surprenante et belle, de taille plutôt raisonnable avec le front de cuisine ouvert sur celle-ci. Un peu de pénombre mais les tables sont parfaitement éclairées, avec la particularité de ne pas encore être dressées.

Vous êtes un peu arrivé dans une salle où l’on s’apprête à voir un spectacle, voir presque une cérémonie avec le maitre à droite à qui rien n’échappe aussi bien en cuisine qu’en salle. Il faut préciser que vous serez convié 20 :30, un peu comme l’on allait assister à une représentation.

Ce qui est remarquable, c’est en même temps ce silence en cuisine où la brigade murmure ou se fait principalement des signes, cette impressionnante coordination et supervision de Paco Morales qui inspecte chaque dressage sur les assiettes, les finitions, les préparations de dernières minutes. Il y a un incroyable respect autour du chef lorsque ce dernier donne quelques instructions ou enseigne probablement quelques techniques à l’équipe autour de lui qui prend même des notes.

Un autre aspect magnifique, c’est cette bande sonore tout au long de la soirée qui oscille entre lounge orientale, musique ambiante ou encore cœurs d’église.

Le service est d’une parfaite précision et n’est jamais omniprésent. Tout est magnifiquement orchestré, les plats se suivront sans empressement.

Le menu est choisi dès la réservation et nous retiendrons celui à 170 EUR appelé Morisco, qui explore donc la cuisine hispano-musulmane dans une perspective résolument contemporaine... Il présente également une contextualisation historique détaillée de ce que les gens appréciaient et comment les gens mangeaient à l’époque. Lorsque l’on découvre les plats, on réalise que Paco Moralès a su créer une cuisine, quelque chose qui est à la portée de très peu de chefs. Une ligne personnelle, personnelle, différente de tout ce qui est connu, dans laquelle il combine à parts égales avant-garde et tradition. Les recettes sont le résultat d’un travail consciencieux de recherche, d’une part, et de mise à jour dans une vision contemporaine, d’autre part, de ce que les gens mangeaient et comment les gens mangeaient en al-Andalus au 10ème siècle, avec le magnifique califat de Cordoue ; au 11ème siècle, avec sa fragmentation dans les royaumes de Taifas ; et 12ème et 13ème siècle, avec l’hégémonie des empires almoravide et almohade.

Pour commencer une flute de champagne Sadi Malot Terre d’Origine. Un champagne ample, long en bouche aux belles notes d'agrumes. Le premier acte étant la présentation des épices qui seront utilisées lors de ce repas, avec aussi un tableau décrivant celles-ci.


Le choix du vin pour ce repas se porteras tout d’abord sur un Très Miradas Sierra de Montilla Cerro Franco 2019. Vin fait avec le raisin Pedro Ximénez, de la parcelle la plus élevée de la Sierra de Montilla, à la fin de la place de Riofrío Alto, orientation sud-est et à une hauteur de plus de 600m. Ce sont de vieilles vignes de l’agriculteur José Antonio Rosa Bobi, cultivées en verre et taillées très bas « à l’aveuglette ». Après une récolte manuelle sélectionnée, un égrappage et un pressurage direct, la fermentation a été réalisée dans de vieux fûts, préalablement vinés avec le Fino CB. Après avoir terminé spontanément la fermentation malolactique, le vin repose dans les mêmes fûts, sous un voile de fleurs, pendant 22 mois. 

Tout commence par une série d’amuse-bouche amenés sur différents supports toujours sur une vaisselle rappelant les formes géométriques des faïences et décorations murales du monde islamique. Au centre une fine tranche de pain noir avec des haricots sur lesquels nous trouvons une alternance de mole et de mayonnaise à l’anchois. On pourrait trouver étrange que de trouver cette sauce mexicaine mais il faut se rappeler que les conquistadors tels que Bernal Díaz, Hernán Cortès et ses capitaines auraient été accueillis comme des princes par les chefs de tribus en débarquant au Mexique et que cette sauce, qui était offerte aux dieux, leur aurait été servie. En dessous une coupelle avec une soupe de concombre parfumée à l’orange et menthe. A gauche un tartare de cerf dans une lamelle de courgette et de la rose. Puis à droite un beigner frit au fromage et safran. Tout est très léger, parfumé et bien équilibré, d’une bien belle originalité.

Premier plat mémorable à base de caillé de Khan, de jaune d’œuf de ferme, de caviar, de piment habanero et de capres. Le fond est donc ce caillé réalisé de ce que l’on comprend de la morue, puis le reste est magnifiquement dressé sur l’assiette permettant de créer un jeu de saveur entre mer et une fine acidité, un ajout aussi d’huile de romarin.


Ensuite une huitre marinée déposée sur une gelée d’épinard, de la crème de brebis carrément représentée comme une faïence, et poivron vert. C’est d’une grande fraicheur, l’huitre a beaucoup de mache.

Les pains sont tout aussi exceptionnels, amenés dans un objet métallique ancien, chaque pain étant présenté et offert. Un de ceux-ci étant basé sur une recette arabe, l’autre fabriqué indéniablement avec du beurre et le troisième au levain.



Un des plats qui m’aura le plus marqué c’est ce Karim de pignons, pomme verte et ras-alhanout. Je peux m’imaginer que ce Karim est une personne toujours est-il que ce plat m’a un peu fait penser à un type de sauce comme les préparations à base de tahini qui elles sont faites avec de la pâte de sésame. Une texture entre donc le tahini et un ajoblanco, avec une crème glacée, des croutons et pignons toastés.

Ensuite de superbes crevettes crues déposées sur de fines lamelles d’endives, des voiles de joues de porc Josélito sur le dessus, une cuiller de caviar, des épices du désert et un soupçon de vinaigre Pedro Ximenez. A nouveau le jeu des textures, la qualité des produits et les associations de saveurs sont parfaites.

Second vin local et même de la région de Cordoue avec un Dulas del Lagar de la Salud Fût Français Rouge 2021. De couleur cerise intense avec des reflets rubis. Un nez agréable et parfumé de fruits rouges enveloppé de notes fraîches d’herbes aromatiques et de touches minérales. Une bouche séduisante, avec un corps enveloppant et un milieu de bouche velouté, accompagné d’une finale prolongée.

Nous poursuivons avec de délicieuses pâtes de blé dur, beurre fumé, bouillon de poule et petit calamar de Motril, citron brulé et et Abbasiya. L'Abbasiya, qui se traduit par maison ou propriété d'Abbad, était un plat du XVIIe siècle à base d'oiseaux, les oiseaux étant considérés comme un luxe que peu de gens pouvaient se permettre.  D'où le nom de ce plat qui était servi lors du séjour d'Abad.


Ensuite du bar mariné, anchois, poutargue et pickles de concombre. Un petit un peu garum dans la saveur de la sauce qui rend ce plat bien gourmand avec cette fine touche vinaigrée.

Autre plat avec cette lamelle de viande de bœuf maturée de type picana, crème au curcuma, sarrasin soufflé et croquant, huile de sauge, fromage labneh et poivron jaune. Une assiette complexe, détonante et délicieuse. Le visuel semblant vouloir représenter un palais.

Un poisson magistralement cuit avec du merlu cuit à la vapeur accompagné de courge aussi bien en sauce qu’en bâtonnet et de la vanille.

Pour le plat de résistance on nous présente comment le pigeon est préparé ou plutôt nettoyé et ensuite cuit avec une série de photos sur un tableau.

Ce pigeon cuit à la perfection est rôti et ensuite repose. Accompagné de tomates qui semblent avoir eu un traitement un peu particulier où elles sont d’abord recouvertes d'un couvercle et chauffées pendant deux jours sur un feu de mesquite. Ce processus dit de « tateming », selon les experts, donne au produit final une saveur spéciale et unique. Un pâté réalisé avec le foie et des oignons onctueux.

Les magnifiques desserts avec un sorbet à l’orange, fleur d’oranger, amandes, huile d’olive et menthe.

Une incroyable tarte à la caroube pour terminer en forme de faïence. Si la caroube reste plutôt méconnue du grand public, elle figure pourtant dans de nombreuses préparations culinaires que nous consommons régulièrement, telles que les glaces, sauces, soupes, produits laitiers et céréaliers. Elle possède aussi de nombreux atouts qui font d’elle un aliment de choix, à adopter sans hésiter ! Fruit du caroubier, arbre qui s’épanouit dans tout le bassin méditerranéen, la caroube est une gousse plate et légèrement courbée, longue de 10 à 30 centimètres, d’abord verte puis qui vire au brun foncé lorsqu’elle arrive à maturité. Aussi, la poudre de caroube s’utilise en cuisine exactement comme le cacao : crue, diluée ou chauffée. En pâtisserie, elle donne un goût original et doux aux gâteaux, biscuits, riz au lait, « chocolat » chaud…


Ensuite une impressionnante série de mignardises amenées sur un support en étages.


Une expérience, un repas absolument féérique et magique, où tout est sublimé, magnifié. Aucune faille aussi bien au niveau cuisine qu’ambiance et service. Une table où l’on vient pour vraiment déguster des mets différents, inhabituels et dont la sophistication va bien au-delà de ce que l’on peut imaginer.

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