mercredi 8 juin 2022

Molino de Pez, Barcelone

 

Voici la table qui manquait à Barcelone et l’on ne peut que féliciter celles et ceux qui ont pensé à ouvrir cet établissement il y a quelques jours de cela. Ce n’est pas si facile que cela que de trouver des tables qui servent du poisson préparé de manière sublimée sans le masquer sous des sauces, ou sans le surcuire, ou encore sans le recouvrir de je ne sais quel beurre.  Sur les centaines de restaurants que je connais, je ne pense pas qu’il existe une offre équivalente à celle-ci sans oublier le cadre qui est tout bonnement exceptionnel. Mais commençons par le début…

Le groupe Ancha est indirectement connu à Barcelone en raison du restaurant Fismuler où je suis bien allé trois ou quatre fois. Cela fait tout juste un siècle que l’Asturien Santiago Redruello, arrière-grand-père des frères Santi et Nino Redruello, a ouvert à Madrid une modeste taverne dans le quartier d’Usera qui qui ensuite devinrent une demi-douzaine d’établissement sous le nom de La Estrecha. Quelque temps plus tard, un membre du clan lui-même ayant enregistré la marque, le grand-père Redruello fût forcé de transformer le nom en La Ancha. Aujourd’hui, ce groupe est dirigé par Nino Redruello, avec plusieurs adresses réparties entre Madrid et Barcelone (Fismuler, Las Tortillas de Gabino, dans le passé La Gabinoteca, Escalope Armando). Le groupe La Ancha incarnent dans une version contemporaine l’essence des anciennes maisons de restauration madrilène. Des endroits où survivent des recettes succulentes que l’on trouve à peine ailleurs.

C’est donc cette semaine que s’est ouvert cette nouvelle adresse non loin de la Diagonal et du Paseo de Gracia, appelée Molino de Pez dans l’hôtel Seventy. C’est donc Nino Redruello, chef cuisinier et responsable visible du groupe La Ancha, Pachi Zumárraga, et l’efficace Jaime Santianes de Fismuler qui sont les têtes pensantes de ce projet.

La cuisine qui est donc au centre de ce concept est comme je l’ai dit non pas calquée sur une offre classique et répétitive des plats de la mer que l’on trouve un peu partout, mais une cuisine basée sur le produit acheté directement par exemple au marché aux poissons, dans le port, mais aussi des produits d’autres marchés de poissons d’Espagne peu fréquents à Barcelone. Ou encore des produits locaux tels que des légumes dons les tomates du Maresme, pour ne citer que quelques exemples. Pas une cuisine avec des ingrédients exotiques, ou des techniques modernes trop vues ou encore des préparations complexes, mais le produit au centre de l’assiette avec des cuissons absolument fabuleuses, la plupart du temps au grill, sur un feu de bois. Et je ne parle pas de braises comme dans un Josper mais de vraies buches de bois très parfumés qui confèrent une saveur magique aux aliments.

La salle de restaurant est absolument magnifique, sur deux niveaux et s’inspire légèrement de Fismuler mais est bien plus chic. Par exemple on trouvera comme chez Fismuler une grande table allongée où les convives peuvent s’asseoir pour manger et dans laquelle un piano- clavier a été intégré qui, à première vue, passe inaperçu jusqu’à ce que son couvercle se déplie. Avec ce soir une chanteuse pianiste. Bien entendu des tables individuelles mais aussi la possibilité de manger autour de l’un des bars ou d’un ilot central.

Dans un coin, un bar pour éventuellement démarrer la soirée avant de passer à table.

Tables élégamment dressées avec nappes blanches et vaisselle choisie.

Ne pas manquer de contempler la cuisine ouverte sur la salle où s’affaire une importante brigade. Tout semble précisément orchestré, la cuisson au feu de bois est une affaire de minute, soit sur des grilles, soit sur des planchas, puis des finitions et dressages minutieux sur les plans de travail face à la salle.



Une impressionnante installation de la maison Jónico-Vulcano dont chaque installation est conçue par Nicolas Grave, qui en plus d’être inventeur, possède de nombreux brevets qu’il a déposés au fil des ans, rendant ainsi ses machines exclusives et efficaces dans chacun de leurs aspects.

La carte est d’une incroyable richesse et diversité, oscillant entre poissons et viandes bien entendu principalement cuite au feu de bois, mais tout de même une série de plats un peu plus traditionnels, probablement imaginés dans les autres établissement Madrilènes. Ce qui fera plaisir c’est de trouver un ensemble de mets que l’on a rarement l’occasion de voir, des produits d’autres région d’Espagne.

Le service est ici vraiment exceptionnel même si c’est une ouverture. Par exemple j’apprécie qu’après notre choix, notre serveur nous propose des demi-rations évaluant la commande probablement trop importante. Il est toujours un peu difficile de savoir à l’avance quelles sont les tailles des plats amenés. Puis en fin de repas, c’est sans problème que l’on a pu annuler un dernier plat n’étant plus dans la possibilité de continuer ; ça c’est vraiment du service ! Chapeau !

Une longue liste d’entrées avec pour commence une fabuleuse salade de pommes de terre et bar. Pas ressemblant du tout a la fameuse salade russe car plutôt des cubes de pommes de terre de belle taille avec une texture idéale, le poisson émietté mais tout de même avec des morceaux, une sauce crémeuse peut-être à base de fromage blanc, de l’oignon, de l’huile d’olive et le piparras sur le dessus. C’est vraiment équilibré, gourmand et finalement assez léger.

Un de mes mets favoris, le « Cazon en adobo », plat également typique de la région de Cadix. L'élaboration consiste en un majao (majado) d'ail, de paprika, de cumin, d'origan et éventuellement d'autres épices ou herbes aromatiques ; à quoi on ajoute du vinaigre blanc qui peut être du vinaigre de sherry et dans ce mélange on laisse généralement les morceaux de « chien de mer » pendant 4 à 8 heures et une fois cette fois on les passe à la farine ou on enduit les tranches, les faire frire dans l'huile d'olive et puis ils sont servis comme ici. Le « chien de mer » est un terme utilisé en français pour désigner, ou surnommer, plusieurs espèces distinctes de requins. Généralement ferme en bouche mais ici la texture est vraiment très tendre, presqu’inhabituelle, le serveur me dit que c’est parce que c’est du très jeune requin. Un peu de citron et une base de mayonnaise comme sauce d’accompagnement.

Comment de pas se ruer sur cette tortilla aux tripes ! Je me demandais si c’était presqu’une nouveauté mais en discutant avec le serveur, il m'a dit que c'était une recette d'il y a plus de 100 ans mais qui avait été oubliée ou délaissée... Une tortilla cuite avec des tripes à la Madrilène, qui peut sembler un peu étrange, qui se faisait souvent il y a quelques années et qu’aujourd’hui il ne soit pas si facile de la trouver. Il y a encore un bastion qui le défend, et c’est que c’est de la pure luxure ! Le secret, comme toujours, obtenir une bonne omelette aux pommes de terre puis, un ragoût de tripes de qualité, du chorizo, du boudin, avec aussi si l’on veut du pied et du nez et bien relevé, un point épicé.

Ensuite des « Chipirones de anzuelo » dans leur encre accompagnée de riz. Les « chipirones » sont de petits calmars, un mollusque céphalopode décapode. Ils sont largement consommés en Espagne, en particulier dans les restaurants côtiers. Un mollusque qui a une grande tête et un corps sphérique avec deux nageoires latérales. Les « Chipirones de anzuelo », calmars crochets, ou également connus sous le nom de calmars de potera, sont les plus appréciés. La grande différence c’est qu’ils sont capturés à l’hameçon de manière artisanale, ce qui empêche de libérer leur encre. C’est un fruit de mer très recherché compte tenu de sa rareté et extrêmement apprécié pour sa saveur de mer fine et sa texture délicate. Ces fruits de mer soutiennent des préparations culinaires sans fin. Les plus remarquables sont les calmars dans leur encre accompagnés ou non de riz blanc, comme ici. Ce qui est prodigieux c’’est qu’ils ont été grillés au feu de bois, que l’on sent distinctement la saveur boisée et fumée. La sauce à l’encre est définitivement la meilleure que j’ai pu manger !

La liste de dessert est aussi remarquable, on y trouvera même le célèbre cheesecake de Fismuler mais au vu du repas, cela sera quelque chose de plus léger et assez inédit, une glace au lait brulé. Point trop sucrée, entre glace et sorbet avec cette fine saveur lactée finement brulée. C’est étonnant, jamais écœurant, très léger.  

Un vin blanc avec un excellent Vora La Mar Alella Vineyards Barcelona 2021 Pansa Blanca. C’est un hommage à la ville de Barcelone, créée avec ses raisins indigènes et à partir des vignobles les plus proches de la ville, à seulement 10 km. « Vora la Mar » signifie « à côté de la mer » et les vignobles sont situés à 2 km de la Méditerranée. Il émane des arômes floraux et d’agrumes, et une légère touche saline qui évoque la fraîcheur de la mer si proche, propre, pure et cristalline.

Voila un repas mémorable qui nous a convaincu de revenir au plus vite afin de découvrir d’autres plats, assurément des poissons car c’est sans aucun doute ce qu’il faut privilégier ici, mais les viandes avaient l’air tout aussi appétissantes. Le cadre est magnifique, l’ambiance idéale, le service irréprochable. Une très grande réussite !


 

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